Attentat de Lockerbie : La vérité a-t-elle rattrapé le mensonge ?
Attentat de Lockerbie
La vérité a-t-elle rattrapé le mensonge ?
Ulrich Lumpert a-t-il été pris d’un profond remords ou a-t-il été retourné par les services libyens ? Le revirement de ce témoin à charge contre la Libye dans l’affaire de l’attentat de Lockerbie a de quoi susciter toutes sortes d’interrogations. Alors qu’en 1988, après l’explosion d’un Boeing 747 de la PANAM au-dessus de Lockerbie en Ecosse, il avait tenu des propos qui accusaient la Libye, cet ex-ingénieur suisse vient de se dédire. Non, le retardateur de mise à feu qui aurait provoqué l’explosion de l’avion et la mort de 259 passagers n’a rien à voir avec la Libye. Il a été volé et utilisé comme preuve par les enquêteurs. Voilà en substance le contenu des déclarations de Lumpert, qui bouleversent les certitudes établies pour lesquelles la Libye a payé le prix fort : des années d’un sévère embargo, un ressortissant condamné à vie en Ecosse et 2,7 milliards de dollars versés aux familles des victimes. Pourquoi ce sexagénaire s’avise-t-il maintenant à "ouvrir son ventre" comme on dit, cela alors que l’affaire a été bouclée et les faits prescrits, que des populations libyennes ont vécu dans leur chair les affres de l’embargo et que la Libye a retrouvé sa place dans le concert des nations de par la volonté des grandes puissances ? En outre, quelle foi accorder à un aveu aussi tardif mais qui peut cependant faire du bien au maître de Tripoli tout en embarrassant les Occidentaux, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis en tête ?
Comme un mauvais film, le revirement de ce témoin clé nous replonge dans les enjeux qui se sont noués autour de ce véritable drame aérien que fut l’attentat de Lockerbie. Chaque acteur de cette crise, en son temps, se préoccupait prioritairement de son propre sort. Les proches des passagers tenaient à mettre un nom et un visage sur les "assassins", la compagnie PANAM et l’avionneur Boeing voulaient coûte que coûte préserver leur image en accréditant la thèse de l’accident et non celle d’une défaillance technique, les dirigeants britanniques et américains n’avaient pas d’avenir politique s’ils ne trouvaient pas un coupable. Et donc, toutes les autres pistes ont été balayées du revers de la main, pour ne privilégier que celle de l’attentat, et, de surcroît, la piste libyenne.
Si les démentis de Lumpert sont sincères, ils montrent que les dirigeants des grandes puissances, pour atteindre leurs fins, n’hésitent pas à manipuler la vérité. Et si donc le retardateur a été volé comme le révèle aujourd’hui le témoin Lumpert, cela disculpe non seulement la Libye, mais remet fondamentalement en cause la thèse même de l’attentat. Ce qui suppose que si réouverture du dossier il y a, toutes les pistes doivent être explorées, y compris celles de l’erreur humaine ou de la panne technique. En tout état de cause, le rebondissement intervenu dans cette affaire profite largement à Kadhafi, du moins sur le plan de son honneur bafoué. Car il serait étonnant que le procès reprenne de façon à disculper la Libye, à libérer son ressortissant incarcéré et à lui restituer les indemnisations versées aux ayants droit des victimes. Bref, à blanchir par le droit un Etat jadis voué à la géhenne. On voit mal l’Amérique et la Grande-Bretagne, même en bons démocrates, se renier au point de reconnaître que tout le dossier a été orienté par leurs soins dès le départ, vers le coupable idéal, la Libye. Ces pays courraient un tel risque qui les mènerait directement vers un scandale aux conséquences imprévisibles.
La Libye boit donc son petit lait et se trouve aujourd’hui non plus dans la position défensive, mais celle plus confortable de la victime d’une erreur judiciaire savamment organisée. On peut à la limite assister à un arrangement qui consisterait à l’extradition du Libyen vers son pays pour y purger sa peine. Exactement comme Kadhafi l’a fait pour les infirmières bulgares. Mais si les autorités libyennes veulent mettre très haut la barre des revendications pour avoir été injustement accusées et relancer la partie des enchères, elles peuvent réclamer des réparations pour tout le préjudice que leur pays a subi du fait de l’embargo imposé par les Occidentaux, suite à l’attentat de Lockerbie. Cette affaire d’enfants contaminés par le virus du Sida et qui a provoqué la tourmente dans laquelle furent prises les infirmières bulgares, est d’ailleurs intervenue aux temps sombres de l’embargo.
On le voit bien, l’aveu du témoin suisse est si lourd de conséquences qu’il mérite un examen sérieux. Si une erreur judiciaire –pour utiliser une terminologie politiquement correcte- a entaché le procès de Lockerbie, il faut rouvrir le dossier. D’abord au nom de la justice, mais surtout pour laver l’honneur sali des Libyens, s’il s’avérait qu’ils ne sont pour rien dans l’attentat. Aujourd’hui, la guerre entre l’Occident et la Libye a pris fin avec le bouclage du dossier des infirmières bulgares. Il n’y a donc pas de raison que les manipulations et les coups bas de la période de belligérance ne soient pas reconnus et les torts réparés.
La réconciliation totale semble donc se jouer sur cette affaire de laquelle chaque camp voudrait sortir la tête haute. La nouvelle page des relations entre la Libye et l’Occident qui s’ouvre ne doit pas être entachée par des dossiers qui resteraient en travers de la gorge des uns et des autres. Elle doit être vierge de toute maldonne. Les deux parties sauront-elles négocier ce virage avec toute la sérénité requise ? Ulrich Lumpert a en tout cas ajouté un surplus de difficulté à cette délicate phase des manoeuvres pour les retrouvailles.
Le Pays du 30 août 2007
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