Commerce mort, ville chaude à Ouagadougou
Ouagadougou
Commerce mort, ville chaude
"Autorisation ou pas, nous allons marcher le 28 février". Ces propos de Nana Thibaut dans notre édition du vendredi 22 février 2008 semblent avoir eu un écho favorable au sein de la population ouagalaise quand bien même, quelques jours plus tard, l’intéressé a revu dans les colonnes du quotidien d’Etat Sidwaya ses prétentions à la baisse, préférant désormais parler de "journée ville morte". Hier donc, beaucoup de commerces et de services étaient fermés, mais au lieu d’une ville morte comme annoncée, on a plutôt assisté dans la capitale à une chaude journée, marquée par des affrontements entre des jeunes et les forces de l’ordre et un déchaînement de violence sur des biens publics et privés.
En se levant hier matin, beaucoup de Ouagavillois se demandaient de quoi cette journée du 28 février 2008 serait faite. Après les émeutes intervenues à Bobo-Dioulasso, à Banfora et à Ouahigouya, les 20 et 21 février derniers pour cause de vie chère, de pression fiscale insupportable pour les commerçants, une journée "ville morte" était en effet annoncée dans la capitale, qui semblait vouloir se racheter d’avoir "lâché" les cités de l’intérieur.
Par mesure de précaution, de nombreux établissements scolaires, notamment ceux du centre-ville, avaient libéré leurs pensionnaires. Et les autorités, instruites par les précédents fâcheux de la semaine dernière avaient pris des dispositions pour parer à toute éventualité.
Hier matin donc, c’est un Ouaga presque en état de siège qu’on a trouvé. Des policiers, des militaires et des gendarmes patrouillaient en motos et en voitures et protégeaient certains sites sensibles comme la SONABHY, le COTECNA, les stations d’essence, les banques et établissements financiers, les édifices publics, les mairies ; de quoi dissuader d’éventuels casseurs.
Certains commerçants avaient préféré fermer boutique. Il en était de même pour les alimentations sans doute par mesure de précaution. Les marchés et yaars fonctionnaient un peu au ralenti. Tel était le décor dans la matinée jusqu’aux environs de 9 heures. Mais petit à petit, la tension, qui n’était pas perceptible au départ, commençait à monter.
Dans la zone commerciale, où d’ordinaire circuler est un enfer, le trafic était exceptionnellement fluide. Pas de camions stationnés de façon désordonnée, obstruant la voie, pas de dockers qui déchargent dans un tohu-bohu indescriptible, pas de vendeuses de riz, de benga ou de gaonré, et pour se restaurer au centre-ville, c’était la croix et la bannière.
Les grands magasins, le marché de cola, la grande mosquée de Ouagadougou et ses environs étaient déserts. Même les mendiants qui y sont à la recherche de leur pitance quotidienne avaient disparu. Seuls quelques petits marchands du secteur informel rôdent, mais sans leurs marchandises. Les éléments de la Compagnie républicaine de sécurité (CRS) aussi, armés jusqu’aux dents.
Mais les patrouilles, qui visaient à assurer la sécurité des personnes et des biens et à prévenir tout acte de vandalisme, ont produit l’effet inverse. La présence de ces hommes en treillis semblait incité les gens à manifester.
Guérilla urbaine
Et cela ne tarda pas à arriver. Très vite, de vieux cartons sont rassemblés et brûlés sur le bitume. Et c’est parti pour une course-poursuite dans les environs du grand marché Rood- Woko. Il était 9 h 30 à peu près. Au même moment, on nous annonce qu’à la Patte-d’Oie, des jeunes ont pris d’assaut une partie du Boulevard France-Afrique et progressaient comme des colonnes de rebelles vers le rond-point.
Deux jours plus tôt, comme en guise d’échauffement, ce quartier a connu une révolte nocturne au niveau des voies de déviation de l’échangeur Sud. Les manifestants avaient alors mis le feu aux pneus et érigé des cordons de pierres pour réclamer le bitumage de la rue Bagemnini, très fréquentée par des véhicules de tous gabarits, qui soulèvent la poussière et provoquent des nuisances sonores à toute heure du jour et de la nuit.
C’est cette même atmosphère surexcitée de la nuit du 26 février qui prévalait sur la grande avenue de Ouaga 2000. Cailloux en mains, les frondeurs s’acharnaient sur les feux tricolores, qu’ils détruisaient littéralement puis brûlaient tous les objets qui pouvaient l’être, contraignant les usagers de la route à rouler sur les abords, la peur au ventre.
Entre-temps, policiers et gendarmes font leur apparition pour charger les casseurs avec leurs gaz lacrymogènes. Ceux-ci font un repli tactique dans les six mètres pour se fondre dans la foule de badauds, amenant les forces de l’ordre à disperser tout le monde. Apparemment organisés, les jeunes gens se regroupaient de nouveau pour poursuivre leur travail dans ce qui confinait à une guérilla urbaine.
Ils arrêtent de force quelques passants juchés sur leur moto pour vider un peu de leur carburant en vue de brûler les pneus. Ne résistez surtout pas face à leurs "doléances" de contribution à "l’effort de guerre". Flics et pandores mobilisés à la Patte-d’Oie semblent débordés. Nous entendons un d’entre eux passer un coup de fil sans doute à un supérieur hiérarchique pour demander du renfort : "Il faut venir vite", hurle-t-il.
Quelques instants plus tard, comme dans un film policier, des voitures arrivent en trombes avec des hommes et des lacry qu’on distribue comme de petits pains. Ragaillardis, ils repartent à l’assaut et parviennent à faire des "prisonniers de guerre", de jeunes manifestants capturés, molestés et jetés dans les véhicules.
Tonnerre !
Hormis l’avenue Bassawarga, toutes les voies menant au Rond-point de la Patte-d’oie sont bloqués par les croisés de la vie chère. 11 h 30, nous quittons cette zone chaude pour faire le tour de quelques secteurs. Sur l’avenue Kadiogo, le trafic est quelque peu perturbé, car les manifestants étaient passés par-là. A hauteur de la station Total, les CRS sont stationnés au beau milieu de la route et veillent sur quatre jeunes de bonne volonté ou animés d’un esprit de civisme, qui dégageaient les débris de la voie.
A quelques mètres de là, le maire de Ouagadougou, Simon Compaoré, qui était aux premières heures sur le terrain, joue "au chef des loyalistes", comme face à une rébellion. Entouré de policiers en tenue de combat, il a le Talkie Walkie collé à l’oreille et communique sans cesse. Notre équipe de reportage s’approche pour tenter de lui arracher quelques mots sur la situation.
Il fait un signe de la tête et de la main puis lâche : "Ce sera plus tard, je n’ai pas le temps". Nous l’entendons citer un nom de code "Tonnerre" au téléphone. Sans doute donne-t-il des instructions à ses éléments. Nous progressons vers le centre-ville. Même décor au rond-point de la Bataille du Rail : pneus brûlés, volutes de fumée dans l’air devenu irrespirable du fait des lacrys.
Les mesures d’apaisement n’ont pas désamorcer la bombe
Situation identique à Dapoya, où la route de Sankaryaaré était devenue infréquentable avec des barricades dressées tous les dix mètres. Pour des raisons évidentes, nous n’avons pas fait le tour de toute la ville. Mais l’on apprend que les quartiers Nonsin, Larlé, Saint-Léon, Tampouy et Tanghin ont été touchés par ce déchaînement de violences sur les biens publics pour, dit-on, protester contre la hausse des prix de produits de première nécessité.
Quelques jours avant, Nana Thibaut, président du Rassemblement démocratique et populaire (RDP) et du Rassemblement des jeunes patriotes révolutionnaires, un mouvement non reconnu par l’Administration territoriale, annonçait une marche contre la vie chère, même si l’autorité lui en refusait l’autorisation. Il a beau revenir sur ses déclarations en renonçant à sa manifestation à la Une du Quotidien d’Etat Sidwaya, le bouche-à-oreille avait déjà fait le tour de la ville.
Et la campagne de communication fortement médiatisée du gouvernement à l’endroit des leaders religieux et syndicaux pour appeler au calme et à la retenue n’a rien pu contre ce qui était déjà ancré dans les esprits. Pas même les mesures d’apaisement annoncées par le gouvernement la veille, au cours d’une conférence de presse (cf. "Une lettre pour Laye" et notre édition d’hier).
"La journée ville morte" de Ouagadougou présentait hier un visage terrible où circuler était un véritable parcours du combattant. Il fallait en effet slalomer quand c’était possible, entre les pneus brûlés, les kiosques de la LONAB renversés et les débris de toutes sortes, et beaucoup de gens qui n’avaient pas d’obligations particulières ont préféré se terrer chez eux, le temps que l’orage passe.
Dans l’après-midi, après les courses-poursuites, le jeu du chat et de la souris entre manifestations et forces de l’ordre, ponctués par des dizaines d’interpellations, le came était revenu, avec toutefois une violence résiduelle par endroits, mais déjà, on imaginait ce que serait la circulation ce matin avec les feux tricolores, endommagés un peu partout et dont les premières victimes risquent même d’être les casseurs ; mais aussi la ruée vers les stations d’essence, les gens ayant épuisé leurs derniers centilitres à faire de grands détours pour rejoindre leur destination.
Adama Ouédraogo Damiss
L'Observateur Paalga du 29 février 2008
Quelques commerçants, qui ont fermé boutique puis devisaient tranquillement devant leurs échappes, s’expriment sur la hausse des prix et les manifestations violentes.
Abdoul Salam Kabré : "Je n’approuve pas les casses. Mais il faut reconnaître que ventre affamé n’a point d’oreille. Nos dirigeants semblent vivre sur une autre planète et se préoccupent peu du sort des populations. Nous suivons maintenant Africable et nous voyons des présidents tels qu’Abdoulaye Wade, Amadou Toumani Touré et Yayi Boni descendre dans les profondeurs de leur pays pour rencontrer les populations. Blaise Compaoré, lui, est plutôt soucieux de faire la paix chez les autres.
Ce qui est grave dans ce pays, c’est que chaque fois que l’on veut se plaindre, on vous qualifie d’opposant alors qu’on dit que c’est la démocratie. Si les prix des produits ont augmenté, ce n’est pas le fait du hasard. Le gouvernement, au lieu de nous divertir, qu’il diminue les impôts.
Nous les jeunes commerçants, nous ne pouvons pas évoluer à cause des impôts. Nous avons aussi des projets en tête, mais c’est difficile de les mettre en œuvre. Dans les banques pour avoir un crédit, il faut des garanties. C’est dur".
Martin Simporé : "Si les prix des produits ont augmenté, c’est parce que le coût du dédouanement aussi a augmenté. Tout ce que le gouvernement a dit, ce sont des histoires. Il ne dit pas la vérité. Quand il parle de fraude, il connaît bien les grands fraudeurs de ce pays.
Et puis quand il y a un problème comme c’est le cas en ce moment, les autorités choisissent de rencontrer les gens comme Alizet Gando, Oumarou Kanazoé, Barro Djanguinaba, qui sont leurs amis. Dans ces conditions, il n’y a pas d’échanges francs. Il faut qu’on invite tous ceux qui sont inscrits dans le registre du commerce pour un dialogue direct".
A.S. : "La vie est devenue trop chère. Un sac de riz coûte 16 500 FCFA. Si vous êtes au nombre de 5 personnes à la maison, le sac ne fait pas un mois. Le gouvernement, au lieu d’agir, passe son temps à s’expliquer et à comparer notre pays avec d’autres.
Qu’il mette en place son système de contrôle des prix et prenne les mesures qui s’imposent. On ne peut contribuer dans cette situation. Quand on se plaint, on dit que c’est l’opposition qui manipule les gens. Dans cette histoire de vie chère, il faut prendre les gens au sérieux et arrêter de faire des amalgames."
Propos recueillis par
O.A.D.
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