L'Heure du Temps (Blog d'Information sur le Burkina Faso)

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Démocratie en Afrique : Ce vent revigorant venu du Ténéré

Processus démocratiques en Afrique

Ce vent revigorant venu du Ténéré

 

Ce n'était donc pas un simple "baroud d'honneur" pas plus qu'une "tempête dans un verre d'eau" comme nous l'avions imprudemment écrit dans notre livraison de mercredi dernier.

Car la motion de censure, déposée le samedi 26 mai 2007 par l'opposition nigérienne, qui protestait ainsi contre "la gestion des affaires publiques, marquée par la corruption", a fait mieux que "secouer le cocotier de la démocratie nigérienne" : elle a déraciné l'arbre.

En effet, après une semaine de chicanes procédurières sur la question notamment de savoir si l'Assemblée nationale était en droit de débattre de sujets pendants devant la justice, les députés ont approuvé jeudi soir à 62 contre 51 le désaveu du gouvernement, entraînant ipso facto la démission du premier ministre, Hama Amadou, et de son gouvernement. Contre toute attente. Contre toute logique même et nos frères sahéliens viennent de nous administrer, la preuve que la politique, c'est tout sauf de la mathématique.

L'affaire, il est vrai, était, comme on dit, mal barrée et avait, quoiqu'on dise, les allures d'un combat désespéré livré seulement pour l'honneur.

Que pouvaient en effet 25 opposants face à une majorité introuvable de 88 élus apparemment soudés. Chef de gouvernement depuis 1999, c'est-à-dire depuis le premier mandat du président Mamadou Tandja, "Hama plus", comme le surnomment certains de ses compatriotes, n'avait-il pas résisté jusque-là à toutes les tempêtes socio-politiques, notamment à de nombreuses affaires de corruption, dont il s'est toujours défendu, et à quatre motions de censure ? Tel un roseau, il pliait sans rompre, mais la 5e tentative était la bonne. Le voici renvoyé à ses chères études politiques.

On le sait, la mise en minorité de celui qui était, en même temps, le président du Mouvement national pour la société de développement (MNSD) n'aurait pas été possible si les censeurs n'avaient pas eu le renfort inespéré de deux des trois groupes parlementaires de la majorité présidentielle, au premier rang desquels son principal allié de la Convention démocratique et sociale (CDS) de Mahamane Ousmane, le titulaire du perchoir en personne. Ce sont donc ses propres coéquipiers, représentés au gouvernement, qui lui ont donné le coup de Jarnac, car tout porte à croire qu'excepté les 47 élus du MNSD, la presque totalité des parlementaires mouvanciers ont approuvé le texte. Il fallait sans doute que l'heure fût grave pour qu'on en arrivât là !

A l'origine de ce bras de fer qui a tourné en faveur de l'opposition, se trouve, c'est connu, l'affaire dite du MEBA, entendez le ministère de l'Education de base où il est question du détournement d'un milliard et de quelques poussières de francs CFA, donnés par les bailleurs de fonds (autrement dit les contribuables des pays riches) pour financer le développement de l'éducation. Si cette ténébreuse histoire n'a pas encore livré tous ses secrets, c'est pour le moins un crime dans un pays pauvre très endetté et arriéré comme l'est le Niger, bon dernier depuis des lustres dans le classement du PNUD.

Ce scandale, mis au jour par le journal "Le Républicain", a d'ailleurs déjà valu l'incarcération depuis octobre 2006, en attendant leur jugement, d'Ary Ibrahim et d'Hamani Harouna, deux anciens ministres de l'éducation qui, pour leur défense, ont affirmé à haute et intelligible voix qu'ils recevaient leurs ordres (cela se conçoit aisément) du PM. Dans leur chute, ils auraient voulu entraîner leur ancien patron qu'ils ne s'y seraient pas pris autrement. Et qui sait si, effectivement, ce dernier n'est pas en train de payer cash le lâchage de ses anciens collaborateurs, qui n'ont visiblement pas envie de couler seuls.

Il faut dire qu'Hama Amadou, qui était jusque-là présenté comme le "successeur naturel" de Tandja, avait fini par se croire indéboulonnable et intouchable. C'est peut-être cette trop grande assurance qui l'a perdu dans la mesure où, confient certains élus, le vote de la motion de censure a surtout été motivé par son refus d'être entendu par la Haute Cour de justice, une émanation du Parlement.

En vérité, s'il ne peut s'en prendre qu'à lui-même pour avoir prêté le flanc, il faut reconnaître avec le débarqué que tout cela participe manifestement de "manœuvres politiciennes" et d'un "complot sordide" pour fragiliser le MNSD dans la perspective des prochaines échéances électorales. Tandja est en effet à mi-parcours de son second et dernier mandat, et les adversaires de Hama+, c'est de bonne guerre, ne pouvaient évidemment pas le laisser sur un tel boulevard. C'est donc les petites combines du "mid-term", pour emprunter au jargon politique américain, qui ont commencé avec cette (première) victime emblématique.

Quoi qu'il en soit, ce vent venu du Ténéré est particulièrement revigorant, car c'est une belle leçon nigérienne de démocratie que de nombreux pays comme le Cameroun, le Gabon, le Tchad ou le Burkina, pour ne parler que des plus passables, gagneraient à apprendre.

On a connu ici également notre affaire MEBA et de nombreux autres scandales qui jonchent le parcours de la IVe République, mais on ne se souvient pas qu'il y ait jamais eu une véritable volonté politique, de l'Exécutif, du Judiciaire ou du Législatif, d'y voir clair.

Comparaison n'est certes pas raison, mais imagine-t-on un seul instant Roch Marc Christian Kaboré (dans le rôle de Mahamane Ousmane) et le plus obscur des députés CDP ou de la mouvance présidentielle suffisamment  courageux pour ainsi défier le locataire de la primature et, par ricochet, l'hôte du palais de Kosyam ? Qui est fou ? La vérité est qu'à la différence du pays des hommes intègres où un seul parti, pour ne pas dire une seule personne, domine, "à hauteur d'homme", la scène de la tête au pied, l'espace politique nigérien est ouvert, les principales forces (MNSD, CDS, PNDS...) s'équivalant et se neutralisant donc mutuellement. Et leurs leaders, qui ont occupé pour la plupart de hautes fonctions politico-administratives (chef d'Etat, PM, président de l'Assemblée) ont une véritable stature d'homme d'Etat et disposent chacun d'un trésor de guerre considérable accumulé tout au long de leur carrière. Paradoxalement, l'instabilité chronique au pays d'Amani Diori, depuis la mort en 1987 de Seyni Kountché, en faisant tourner le personnel politique, semble avoir bonifié le jeu puisque chacun a pu acquérir une somme d'expériences qui lui est aujourd'hui profitable.

Chapeau bas donc à ce vaste pays qui peine, comme le Burkina, à sortir du sous-développement, mais qui, contrairement au nôtre, multiplie entre deux putsches les bons exemples démocratiques. Ce doit être ailleurs, sauf erreur ou omission, la première fois depuis   le renouveau démocratique entamé au début des années 90 qu'une telle chose se produit sur le continent.

Mais s'il est juste et bon de saluer l'initiative de Mahamadou Issoufou, le chef de file de l'opposition qui a osé lutter, il faut tout aussi s'incliner devant l'élégance républicaine du chef du gouvernement qui, dans son infortune, a su être fair-play.

Morceaux choisis : "Aujourd'hui (le jeudi 31 mai 2007 NDLR), le gouvernement s'est écroulé : je veux en féliciter l'opposition qui a réussi un travail de maître parce que la chose la plus improbable dans une majorité de 88 vient de se réaliser...

La démocratie vient de s'exprimer ; elle a ses règles, sa loi : nous sommes des démocrates et nous souhaitons que notre démocratie continue". Salut l'artiste !

Rideaux donc pour le charismatique Hama Amadou doté d'un sens politique aigu, mais si la motion de censure qui vient de l'emporter est, à l'évidence, une peau de banane glissée sur le chemin qui devait le conduire à la présidence, il faut se garder de prendre pour un adieu ce qui n'est peut-être qu'un au revoir. Car si la justice ne se met pas en travers de son parcours, une telle attitude qui ne manque pas de panache, de noblesse et de grandeur le met, pour ainsi dire, en réserve de la République.

 

La rédaction

L’Observateur Paalga du 4 juin 2007



04/06/2007
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