L'Heure du Temps (Blog d'Information sur le Burkina Faso)

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Et si Nicolas Sarkozy avait raison

Et si Nicolas Sarkozy  avait raison

 

La polémique née du discours de Nicolas Sarkozy à l'université Cheik Anta Diop de Dakar n'est pas près de s'arrêter. Dans cet écrit, l'auteur, juriste de formation, fait un commentaire composé sur ce discours en y dégageant son intérêt philosophique.

 

Il a fallu que Nicolas Sarkozy, chef de l'Etat français, prononce un discours historique sur l'Afrique à l'université de Dakar le 26 juillet 2007 pour que les africanistes changent brutalement d'humeur. Sans prendre des gants, ce discours a été présenté comme une véritable hérésie de celui que d'aucun qualifie de «président agité». Cette levée de bois vert a suscité ma curiosité et je me suis donné la peine de parcourir sans préjugé ce message retranscrit sur une dizaine de pages. Après lecture, je me suis demandé si c'est le même texte qui crée tout ce branle-bas au sein de la classe intellectuelle du continent tant les enseignements à tirer étaient riches. Je n'ai pas la prétention de me constituer avocat de ce «donneur de leçons», car je n'en ai ni le pouvoir ni le talent. Mais j'aimerais partager ma compréhension de ce long discours tenu dans un temple historique du savoir en Afrique : l'université Cheik-Anta- Diop de Dakar.

Il y a lieu tout d'abord d'apprécier la phrase à l'origine d'une polémique qui s'enfle chaque jour davantage : «Le drame de l'Afrique, c'est que l'homme africain n'est pas assez entré dans l'histoire...» Tel que formulé, on peut aisément conclure que l'orateur du jour affirme que l'Africain n'a pas d'histoire ou ne sait pas réaliser l'histoire. Une telle vision ne peut que légitimement choquer les dignes fils de l'Afrique. Toutefois, je ne pense pas que ce nouveau président puisse pousser l'outrecuidance, voire le cynisme aussi loin en lançant une telle grossièreté à la face de l'Afrique dans ses propres installations. Les phrases qui suivent immédiatement me confortent dans ma position : «Le paysan africain, qui depuis des millénaires vit avec les saisons, dont l'idéal de vie est  d'être en harmonie avec la nature, ne connaît que l'éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles».

 

Méditions sur certains passages

 

A travers ces mots, on se rend compte que "l'étranger de Dakar" stigmatise de façon générale le dénuement du paysan africain (ultramajoritaire) qui n'a pas eu l'opportunité de "s'approprier de la science et la technique moderne comme le produit de toute l'intelligence humaine». Il suffit de côtoyer nos braves paysans pour se rendre compte du degré de leur arriération. (Outils et techniques de production rudimentaires, mauvaise hygiène de vie, faible taux de scolarisations, habitations précaires, etc.). Et l'effort de nos dirigeants doit être axé surtout à ce niveau, seule voie royale pour impulser l'agriculture et l'élevage, piliers de tout développement. Dire que le paysan a un idéal de vie avec la nature n'est point insultant comme le laissent penser certains analystes. D'ailleurs, Sarkozy dit plus loin: «L'homme moderne qui éprouve le besoin de se réconcilier avec la nature a beaucoup à apprendre de l'homme africain qui vit en symbiose avec la nature depuis des millénaires.» On n'a pas besoin d'être devin pour apprécier l'ampleur du désastre que l'homme occidental, par son entêtement bovin à tout changer, a causé à notre environnement. Pour se convaincre que l'étranger français de Dakar ne reniait pas les valeurs historiques de l'Afrique, il suffit de méditer sur certains passages de son message qu'il a livré, dit-il, «avec la franchise et la sincérité que l'on doit à des amis que l'on aime et que l'on respecte.» Selon lui, «les Européens n'ont pas vu la profondeur et la richesse de l'âme africaine .Ils ont cru qu'ils étaient supérieurs, qu'ils étaient plus avancés, qu'ils étaient le progrès, qu'ils étaient la civilisation. Ils ont eu tort.

Le drame de l'Afrique n'est pas dans une prétendue infériorité de son art, de la pensée et de la culture. Car, pour ce qui est de l'art, de la pensée et de la culture, c'est l'Occident qui s'est mis à l'école de l'Afrique. L'art moderne doit presque tout à l'Afrique.»

Le président français reconnaît donc la grandeur et la profondeur de la civilisation africaine. Point n'est donc besoin de polémiquer sur le sexe des anges. De ce discours il y a trois leçons essentielles à tirer. La première est la nouvelle vision des relations entre la France et les pays africains. Sur cette question, il a été très clair : «Je ne suis pas venu, jeunes d'Afrique, pour pleurer avec vous sur les malheurs de l'Afrique, car l'Afrique n'a pas besoin de mes pleurs... Je ne suis pas venu pour m'apitoyer sur votre sort parce que votre sort est d'abord entre vos mains ...Ce que veut l'Afrique, ce n'est pas que l'on prenne son avenir en main, ce n'est pas que l'on pense à sa place ; ce n'est pas que l'on décide à sa place». Ces propos qui sonnent comme une véritable rupture valent leur pesant d'or. Notre destin est entre nos mains. Ce n'est pas la communauté internationale, perdue dans le prisme déformé des intérêts égoïstes des grandes puissances, qui fera le développement de nos pays africains. Du reste, les dirigeants des pays occidentaux sont maintenant éreintés par la persistance des maux en Afrique et restent aujourd'hui plutôt préoccupés par l'obligation de résultat qu'ils doivent à leurs peuples au soir de leur mandat. «La France n'a pas d'amis ; elle n'a que des intérêts», avait avoué Charles de Gaulle. Quand allons-nous comprendre cette vérité élémentaire ?

La maxime du «compter sur soi» n'est pas étrangère au bond qualitatif que le Burkina a fait au cours de la période révolutionnaire.

Pourquoi, malgré les pluies d'aides reçues, le statut d'assistanat collé à certains pays, l'Afrique, telle une veuve éplorée, pleure-t-elle toujours ? En réalité, toutes ces aides ne nous aident pas à nous passer de l'aide comme le souhaitait Thomas Sankara.

Comme si une main rageuse le pressait de vider tout son cœur aux Africains, Sarkozy  y est même allé plus loin en disant ceci: «Jeunes d'Afrique, vous voulez la démocratie, vous voulez la liberté, vous voulez la justice, vous voulez le droit? C'est à vous d'en décider. La France ne décidera pas à votre place». Comme on le voit, c'est un véritable appel à la «général de Gaulle que le premier des Français a lancé aux jeunes africains. Il appartient donc à cette jeunesse de donner sens à son existence au lieu de se laisser piéger dans un fatalisme irrémédiable comme mouche sur glu.

La deuxième leçon est la vision du développement indiquée par l'orateur français. Pour lui, il est nécessaire pour les Africains de rester fidèle à leur culture s'ils veulent créer les conditions d'une véritable renaissance africaine. S'adressant aux jeunes, il soutient : «Je suis venu vous dire que vous n 'avez pas à avoir honte des valeurs de la civilisation africaine, qu'elles ne vous tirent pas vers le bas mais vers le haut, qu'elles sont un antidote au matérialisme et à l'individualisme qui asservissent l'homme moderne, qu'elles sont le plus précieux des héritages face à la déshumanisation et à l'aplatissement du monde... N'écoutez pas, jeunes d'Afrique, ceux qui veulent vous déraciner, vous priver de votre identité, faire table rase de tout ce qui est africain».

Pour ceux qui ont lu le manifeste du PAREN, il y a une convergence parfaite sur cette vision du développement de l'Afrique qui se fonde sur la culture. A ce sujet, le fondateur du Parti de la renaissance nationale, Laurent Bado, affirmait dans une chanson des SOFA intitulée "Les bâtards" ce qui suit : «La société traditionnelle avec la solidarité comme principe de cohésion sociale était ; la société moderne avec la liberté comme principe de cohésion sociale est née. L'élite politico-bureaucratique croit que la première doit mourir et la seconde est mort-née : une erreur monumentale... La culture est un élément de vie, une source de puissance ; quiconque renie sa culture est condamné à divaguer parmi les ruines sociales du monde. Il restera un arbrisseau qui respire par ses feuilles mais ne deviendra jamais un arbre vivant de ses racines».

La dernière leçon à retenir du discours du président français est la prise de conscience par les Africains de leurs vraies réalités. S'adressant toujours aux jeunes avec la même conviction, il lance ceci : «Dès lors que vous regarderez bien en face la réalité de l'Afrique et que vous la prendrez à bras-le-corps, alors commencera la renaissance africaine».

 Nous devrons reconnaître avec ce Français que le drame de l'Afrique est lié au fait que les vraies réalités du continent sont occultées, voire royalement ignorées. Combien de chefs d'Etats africains aujourd'hui connaissent les vraies réalités de leur pays ? On a vu récemment dans une interview du président burkinabé comment celui-ci «bottait en touche», selon l'expression de Luc Ibriga, les questions pourtant essentielles du pays profond. Habitué à la politique du salon douillet, la plupart de nos dirigeants nous font avaler des couleuvres à chaque occasion avec des discours lénifiants et des chiffres sur l'état de la nation qui contraste fortement avec l'état du peuple. L'hôte d'Abdoulaye Wade ne s'est même pas embarrassé de montrer du doigt ces tristes réalités : la famine, trop de misère, la rareté et le manque de routes, le manque d'écoles, le manque d'hôpitaux, un grand gaspillage d'énergie, de courage, de talents, d'intelligences...

Voilà les vrais problèmes de nos pays que ce président français a eu tort de nous montrer. Reconnaissons qu'il est dans le vrai dans son diagnostic sans complaisance de la situation de notre continent. Que cela soit perçu comme le hululement d'un hibou blanc ou le survol sur la tête de l'Afrique d'un vautour étrange, ce sont là nos vraies réalités et on aurait aussi tort de donner de fausses réponses à ces vraies questions.

 

Tahirou Barry,

L’Observateur Paalga du 23 octobre 2007



23/10/2007
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