L'Heure du Temps (Blog d'Information sur le Burkina Faso)

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François Compaoré # L'Evenement joue à qui perd gagne

Procès François Compaoré contre L’Evénement

Qui perd gagne

 C’est l’exemple type de procès qui n’aurait jamais dû être intenté. Il a, hélas, bel et bien eu lieu. Appelé une première fois à la barre le 8 janvier 2007, puis renvoyé parce que le parquet n’avait pas pu produire l’original des articles incriminés, le dossier François Compaoré contre L’Evénement et ses deux responsables (1) a finalement été enrôlé le lundi 22 janvier 2007 dans l’après-midi.

 

A l’issue d’une audience tendue (pouvait-il en être autrement ?), le bimensuel a été reconnu coupable de diffamation sur la personne du plaignant, et les deux prévenus condamnés à deux mois de prison avec sursis, à payer une amende de 300 000 FCFA chacun ainsi qu’à verser solidairement à François Compaoré la symbolique somme de 1 FCFA comme prix de son honneur bafoué. Ils devront, en outre, publier ce verdict dans trois journaux burkinabè : L’Observateur Paalga, Le Pays et Sidwaya.

 

François Compaoré, agroéconomiste en service à la présidence du Faso, mais aussi et peut-être surtout pour certains le frère cadet du chef de l’Etat, reprochait à L’Evénement sa une du 25 octobre 2006. Après la sortie tonitruante de Robert Ménard, secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF), qui disait avoir emmené dans ses valises des charges nouvelles pour la réouverture du dossier Norbert Zongo, sortie dans laquelle Ménard chargeait volontiers et à nouveau François Compaoré, suspecté d’être le commanditaire de l’autodafé de Sapouy, le «quinzomadaire» avait en effet barré sa une de ce titre appuyé de la photo du petit président, comme certains l’appellent : «Ainsi donc, c’est lui !»

 

Une accusation jugée frontale qui tranchait avec les mots couverts et les allusions voilées qui avaient cours jusqu’à présent. «On pensait à lui sans oser le nommer. RSF vient de franchir le pas…», écrivaient en substance Germain Bitiou Nama (GBN) et Newton Ahmed Barry (NAB).

 

Visiblement, c’était plus que «lui», qui s’est senti morveux, pouvait supporter et «lui» a décidé de se moucher bruyamment. Le journal vient ainsi d'être condamné, mais en fait, ce sont nos deux confrères qui ont triomphé dans ce jeu du qui perd gagne.

L’affaire était en fait mal barrée. C’est bien connu, un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès.

 

Et des tentatives de conciliation auraient été entreprises, mais elles étaient d’autant plus vouées à l’échec que le journal incriminé enfonçait quelque peu le clou dans sa livraison du 10 janvier 2007 avec la désormais célèbre interview du «répenti» Moïse Ouédraogo (2).

 

De plus, pour retirer sa plainte, la partie civile avait exigé, semble-t-il, que l’organe de presse se dédise voire se déculotte en écrivant le parfait contraire de l’article à problème. Ce que, évidemment, L’Evénement ne pouvait pas faire. Il ne restait donc que le palais de justice pour régler le différend.

 

Un palais de justice d'où, quoiqu’il arrive, L’Evènement allait sortir grandi. Que pouvait-il en effet s’y passer alors que tout le monde sait qu’en l’état actuel des choses, il est difficile d’administrer la preuve formelle et irréfutable qu’ «ainsi donc, c’est lui» ?

 

Et de fait, Germain et Newton se sont défendus (manifestement sans trop convaincre le parquet et le tribunal) de l’avoir indexé eux-mêmes, mettant cette grave accusation au compte de RSF qui a «osé franchir le pas» dans son pavé du 20 octobre 2006. «S’il y a diffamation, ce n’est pas nous qu’il faut attaquer», ont-ils laissé entendre notamment. Ce à quoi leurs contradicteurs du jour ont rétorqué qu’il faut toujours avoir présent à l’esprit l’article 109 du code de l’information (3).

 

Qu’importe, pour l’opinion, avec le verdict de lundi dernier, c’est une preuve supplémentaire qui est donnée que la justice burkinabè est aux ordres, car contre de pauvres journalistes, elle est prompte du couperet alors que depuis plus de sept ans, les assassins de Norbert courent toujours.

 

Cette sentence participerait donc de la volonté de museler et d’intimider la presse. Le procureur du Faso, dans son réquisitoire, n’a-t-il pas, entre autres, demandé six mois de suspension pour le titre ? Ce qui aurait été une très très grosse bêtise.

 

«Ainsi donc, c’est à cela (ndlr : la suspension de L’Evénement) qu’on voulait aboutir», a d'ailleurs lâché maître Prosper Farama avec un mélange de raillerie et de perfidie.

 

L’affaire, on l’a dit, était mal barrée, et ce ne sont pas les arguments de droit, fussent-ils en béton, qui allaient y changer quelque chose. Courants philosophiques ou pas, certaines idées ont la capacité de faire mouche plus que celles juridiques. Il n’y a qu’à voir les applaudissements qui ponctuaient certaines interventions de la défense pour s’en convaincre.

 

Et si malgré tout, par extraordinaire, le plaignant avait été débouté, c’aurait été la preuve que sa ficelle était tellement grosse que même «leur justice» ne pouvait pas le suivre dans ses prétentions. A tous les coups donc, et à défaut de l’emporter au prétoire, les prévenus gagnaient la bataille de l’opinion.

 

C’est pourquoi, pensons-nous, François Compaoré aurait dû se contenter, par exemple, d’un droit de réponse s'il tenait à réagir  et ne jamais ester en justice. Mais, sans doute a-t-il été mal conseillé par les courtisans de tous poils, qui ont pu ou même dû lui tenir un discours du genre : «Chef, il ne faut pas laisser passer ça ! Les journalistes-là, ils se croient tout permis, mais il faut leur montrer qu’ils ne sont rien et qu’ils ne sont pas au-dessus de la loi».

 

C’est une constante en justice, celui qui a perdu un procès a toujours le sentiment que le droit n’a pas été dit. C’est davantage vrai dans un dossier aux relents politiques si forts comme celui-là.

 

San Evariste Barro

 

 

Notes :

(1) Germain Nama et Newton Ahmed Barry, respectivement directeur de publication et rédacteur en chef de L’Evénement

 

(2) Moïse Ouédraogo est le cousin de David Ouédraogo, alors chauffeur chez François Compaoré

 

(3) Article 109 : Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommé, mais dont l’identification est rendue possible par des termes, cris, menaces, écrits ou imprimés. Toute expression outrageante, terme de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait est une injure.

 



24/01/2007
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