Repression des opposants en Afrique : L'Ethiopie réinvente la perpétuité
Repression des opposants en Afrique
L'Ethiopie réinvente la perpétuité
Si la répression systématique des opposants fait partie des règles d'or dans certains pays africains, il faut reconnaître que rarement, de mémoire d'Africains, celle-ci n'avait atteint le seuil franchi en Ethiopie ces derniers temps. 35 opposants et des journalistes indésirables condamnés à la prison à perpétuité, voilà la prouesse que vient de réaliser la coalition au pouvoir à Addis-Abeba. Ainsi, jour après jour, ce sont des pages hideuses de la politique qui se succèdent en Afrique. A peine se remettait-on de cette troublante "affaire de la maîtresse du président" au Mali, que le pays qui abrite le siège de l'Union africaine s'illustre tristement à travers ce dégoûtant registre de la négation et du bafouement des libertés politiques. Pour une tragédie, cette condamnation en est vraiment une, surtout si l'on considère le nombre des prévenus et la gravité de la peine infligée. "A quand l'Afrique ?" Le Professeur Ki-Zerbo ne croyait pas si bien s'interroger, lui qui s'indignait face à l'incurie de certains gouvernants africains, toujours prompts à recourir à l'arme de la répression et à la banalisation de la vie humaine pour pérenniser leur règne. En mettant sous les verrous 35 empêcheurs de régner en despote, le régime éthiopien peut se frotter les mains. Il a désormais le champ libre pour gouverner à sa guise, sans la moindre crainte d'être dérangé ni contrarié. Mais est-ce la bonne solution ? Certainement pas. Cette condamnation, à y voir de près, résonne plutôt comme une fuite en avant qui laisse des problèmes structurels en souffrance, des défaillances graves qui rejailliront tôt ou tard sous des formes encore plus complexes et difficilement maîtrisables. Or, pour peu que ce régime ait le courage de regarder la réalité en face, il donnera de bonnes réponses aux différents problèmes posés, qui seront plus profitables à tous les Ethiopiens.
C'est donc un précédent grave qui n'épargne guère le pays de lendemains de soubresauts, les rancoeurs ne pouvant que s'accentuer et se renforcer. C'est souvent en Afrique qu'on peut assister à un aussi désolant spectacle en matière de gouvernance politique. Et le plus regrettable, c'est qu'il s'agit de l'Ethiopie ; un pays censé incarner l'idéal démocratique et l'unité du continent. Ce pays qui abrite le siège de l'Union, devait donner l'exemple et indiquer la voie à suivre. En se dérobant à cette mission de haute exigence citoyenne et en s'engageant dans la voie des turpitudes, l'Ethiopie a failli et cela est très dommageable non seulement pour elle-même, mais aussi pour le continent tout entier.
Le moins qu'on puisse dire, c'est que cette décision de justice est anachronique. Et comme toujours, peu de voix s'élèvent de l'intérieur du continent pour la dénoncer. Il n'y a eu que quelques timides réactions d'organisations de défense des droits de l'homme et des Etats-Unis. Ce pays est un allié historique du régime éthiopien; on peut donc aisément imaginer qu'il n'ira pas plus loin dans les condamnations.
Pour des manifestations populaires suite à des élections contestées, condamner des opposants à des peines aussi lourdes après les avoir accusés de "complot contre la Constitution", est très grave. Et le procureur qui a poussé l'outrecuidance jusqu'à requérir la peine de mort pour ces prisonniers de conscience qui n'ont eu pour seul péché que leur différence d'opinion, devrait avoir honte de son serment. Face à d'aussi graves manquements, l'accord de siège de l'Union africaine aurait pu être remis en cause par les dirigeants africains.
Les reliques de ce régime issu d'un groupe rebelle ayant combattu la junte militaire du Derg persistent. Il n'a visiblement pas réussi sa mue pour devenir un régime démocratique soucieux de la protection des droits élémentaires des citoyens. Que demandent, en fait, les citoyens africains ? Des élections transparentes et régulières, une justice indépendante et une juste répartition des richesses du pays. Rien de plus. Et c'est cela que nombre de dirigeants sur le continent ne réussissent pas à réaliser. Quand ils échouent et n'ont plus rien à proposer à leurs concitoyens, ils deviennent très frileux et hostiles à toute critique. L'embastillement des opposants devient la solution ultime à laquelle ils s'accrochent. Ce type d'image, on ne le dira jamais assez, n'honore pas l'Afrique et il est sans doute temps que cela change. Un nouveau vent doit souffler sur le continent. Pour ce faire, il faut absolument civiliser le débat politique. L'action politique doit sortir de l'animalité dans laquelle certains politiciens tentent de la maintenir pour revêtir un visage humain.
Le Pays du 18 juillet 2007
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