Gratuité des manuels scolaires : Heurs et malheurs d'une décision
Gratuité des manuels scolaires
Heurs et malheurs d'une décision
Le 23 août dernier la ministre de l'Enseignement de base et de l'Alphabétisation, Odile Bonkoungou, publiait la décision de rendre encore plus effective la gratuité des manuels scolaires à l'école primaire. C'est franchement la preuve que le gouvernement a pris à bras-le-corps le problème de la scolarisation des enfants burkinabè. C'est également la preuve que les partenaires bi et multilatéraux du Faso sont sensibles à ses préoccupations.
Plus d'un parent d'élève a applaudi après avoir entendu la décision du gouvernement concernant la gratuité des manuels scolaires au primaire même si elle ne concerne que l'année scolaire 2007-2008. Pour 2008-2009, 2009-2010, etc., on a le temps d'espérer voir des décisions semblables. Ce ne sont pas non plus les enseignants qui vont s'en plaindre, car du temps où ces manuels n'étaient pas gratuits, il leur était difficile de dispenser les enseignements à des élèves qui, malgré leur intérêt pour l'école et la bonne volonté de leurs parents, ne disposaient pas du minimum requis en lecture et en calcul ; sans oublier que l'incapacité des parents à doter leurs enfants de manuels était un facteur dissuasif dans l'inscription desdits enfants à l'école. Ce handicap levé, les conditions sont au moins théoriquement créées pour qu'il y ait davantage d'inscrits dans les écoles.
Ce qui est, en outre, encourageant à notre sens, c'est qu'en dépit des insuffisances parfois criardes dont l'administration publique fait preuve dans la gestion de la chose publique, il y a que la tendance générale est relativement bonne. Comment cela se manifeste-t-il ?
se demanderont avec raison les esprits critiques.
Pour nous, si les bailleurs de fonds continuent d'accompagner ou accompagnent davantage les pouvoirs publics dans la scolarisation des enfants burkinabè, c'est bien parce que d'une part nul n'est parfait (à commencer par les bailleurs de fonds eux-mêmes) et d'autre part bien de choses appréciables se font en dépit des imperfections.
Tous les contours ont-ils cependant été cernés ?
En décidant de la gratuité des manuels, le gouvernement a cru faire œuvre utile. Et il la fait. Malheureusement, et comme dans nombre de cas, tous les contours de la question ne semblent pas avoir été cernés, encore moins pris en compte.
Dans ce sens, le quotidien de service public Sidwaya dans sa livraison n°5981 du 24 août 2007 a abordé avec une pertinence indiscutable un des problèmes ; sous le titre "Gratuité des manuels et fournitures scolaires : la mesure du gouvernement fait des mécontents", le journal a fait le tour des "librairies par terre" et des librairies tout court. Conclusion : ce n'était pas la joie du côté des "libraires par terre", car c'est une occasion de faire de bonnes affaires qui s'évanouit.
Certes, un raisonnement à courte vue peut amener à se dire que c'est tant pis pour eux et qu'ils n'ont qu'à trouver autre chose à faire ou que, d'ailleurs, ce sont des commerçants "véreux" ; mais c'est oublier que quand on passe cinq, dix, voire (pour certains d'entre eux) vingt ans à exercer une activité, ce n'est pas du jour au lendemain que l'on peut se remettre à faire autre chose ; c'est également perdre de vue le fait que ces librairies constituent un maillon important de notre économie qui fait vivre, à l'évidence, beaucoup de personnes, contribuant ainsi à la lutte contre la pauvreté. Par ailleurs, il est avéré, même si nous n'avons pas de chiffres à notre disposition, que le volet manuels et fournitures scolaires forme une part importante de leur chiffre d'affaires.
Des questions qui attendent des réponses
Alors, les questions qui en découlent sont les suivantes : le gouvernement a-t-il pris le soin d'analyser et de simuler, à travers des scenarii, les conséquences probables de sa décision ? En a-t-il discuté avec les libraires de sorte à leur proposer éventuellement des mesures d'accompagnement (par exemple la diminution des taxes ou des frais de location des hangars) ? La douane et les impôts ont-ils été consultés afin d'éclairer l'exécutif sur l'impact direct ou indirect de cette mesure pourtant salutaire ? Les enseignants ont-ils été associés de sorte qu'ils puissent expliquer les difficultés qu'ils ont dans le domaine du stockage, de la distribution, de la collecte et de l'entretien des manuels ?
Au regard des informations en notre possession, rien de tout cela n'a été fait. Il se pose donc un problème de fond : en dépit de la promotion de la bonne gouvernance par les institutions républicaines, la réalité est souvent autre, car nombre de décisions, de mesures et de politiques qui devaient d'abord requérir (au moins) l'avis de certains partenaires de l'Etat et d'acteurs non étatiques ont été prises ou/et mises en œuvre par le gouvernement et le gouvernement seul.
Si ce comportement est compréhensible dans des situations où la mauvaise foi des interlocuteurs de l'Etat n'a d'égale que leur détermination à voir des problèmes partout, il est par contre inopportun d'en faire consciemment ou inconsciemment une constante ligne de conduite. L'exemple de la rédaction et de l'adoption du Cadre stratégique de lutte contre la pauvreté (CSLP) est assez illustratif, car le secteur privé et la société civile n'ont pas obtenu l'opportunité d'apporter comme il se doit leur contribution alors même qu'ils sont des acteurs incontournables du développement de ce pays.
La procédure tout aussi importante que le principe
Le principe de la gratuité est donc une très bonne chose. Cependant la procédure ayant abouti à la prise de décision ne participe pas de la gouvernance démocratique. Autrement dit, il ne suffit pas qu'une cause soit juste pour que toutes les manières de la défense soient également justes.
Sinon, ce serait une façon d'agir en se disant que la fin justifie les moyens. Or, ces derniers temps avec les fraudes aux examens et concours, c'est une attitude que les citoyens dignes de ce nom ne cessent de dénoncer.
Par ailleurs, ce qu'on qualifie en droit et en comptabilité de détournement de deniers publics n'est pas nécessairement synonyme de soustraction de ces deniers à son propre profit. Le mot peut désigner le fait d'orienter ces deniers vers une destination (tout aussi sinon plus noble) différente de leur destination initiale. La noblesse de la nouvelle destination ne fait pas d'elle pour autant une destination légale.
Zoodnoma Kafando
L’Observateur Paalga du 29 août 2007
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