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Histoire de l’Afrique : Au-delà de la vision sarkozienne

Histoire de l’Afrique

Au-delà de la vision sarkozienne


Le sang de l’historienne malienne Adame Ba Konaré n’a fait qu’un tour après le discours de Nicolas Sarkozy à Dakar le 26 juillet dernier. Touchée dans son amour-propre, l’épouse du président de la Commission de l’Union africaine vient de lancer un appel aux intellectuels africains pour défendre la mémoire de l’Afrique. Comme elle, bien d’autres intellectuels africains se sont indignés de la vision sarkozienne de l’Afrique, qu’ils jugent passéiste. Ce tollé, compréhensible, n’arrive-t-il pas cependant tardivement ? Les Africains semblent en effet se rendre compte seulement après ce discours, que leur histoire a été depuis longtemps ignorée, voire falsifiée.

Rien ne semble avoir été fait pour diffuser l’histoire réelle de l’Afrique et permettre sa réappropriation par les fils et les filles du continent. Les programmes scolaires continuent de privilégier l’histoire de France et les hauts faits de « nos ancêtres les Gaulois », s’ils ne véhiculent les poncifs éculés et colonialistes autour desquels Sarkozy a bâti son discours de Dakar. Les dirigeants ne font aucun effort pour rendre les ouvrages d’histoire accessibles à tous. La responsabilité est donc générale dans le regard méprisant que l’Occident continue de jeter sur le continent noir.

Nicolas Sarkozy a raison de venir débiter des contre-vérités sur les Africains en terre africaine. On lui a toujours appris que les Africains sont bons, donc c… Depuis le père du Gaullisme en passant par les autres dirigeants jusqu’à Chirac, la classe politique française s’est forgé une idée tenace : l’Afrique est prête à tout subir. Pour cela, il a suffi de mettre en place un savant maillage de réseaux occultes à la limite de la diplomatie et du copinage. Bon nombre de dirigeants africains ont flairé le bon coup : jouer le jeu de la France pour s’assurer de conserver aussi longtemps que possible le pouvoir.

Dans ces rapports qui entraînent une soumission politique, la culture du dominé n’a pas voix au chapitre. Et les dirigeants, qui sont les premiers gardiens de ces valeurs, avant même les spécialistes, ne font rien pour sortir leur pays du marasme et de la négation culturels. Sans moyens adéquats, un chercheur, aussi engagé soit-il, est voué à ruminer éternellement son impuissance. Faute de ressources nationales, il est obligé de se tourner vers les bailleurs de fonds extérieurs qui ne manqueront pas d’imposer des conditionnalités scientifiques à son entreprise. C’est de bonne guerre que la France refuse de financer les travaux dont l’objectif est de mettre à nu par exemple les méfaits de la colonisation. Surtout au moment où Nicolas Sarkozy nous dénie le droit de fouiller dans le passé.

Cette démission des politiques africains se constate aussi sur le terrain de l’accès aux bons documents et ouvrages pouvant armer les Africains face aux agressions faites contre leur histoire. Là aussi, toute la science se trouve en Occident, les livres étant trop chers pour les populations africaines lettrées. On continue d’imposer des taxes aux livres comme s’il s’agissait de produits ordinaires. Dans ces conditions, les librairies sont en retard des sorties littéraires ou sont désespérément pauvres et il faut parfois, pour les plus nantis, et les plus déterminés, passer commande en Europe. Les plus chanceux s’approvisionnent lors d’une mission en Europe mais au prix d’un énorme sacrifice financier. Bref, en Afrique, tout semble être fait pour éviter aux Africains de se cultiver à la bonne source.

Quelles sont les chances, dans ses rapports d’assujettissement entre la France et l’Afrique, de voir aboutir la nouvelle croisade de Adame Ba Konaré pour une réhabilitation de l’histoire africaine ? On ne peut que se montrer circonspect car toute évolution dans ce domaine dépend prioritairement d’un changement de conduite des chefs d’Etat. Or en l’état actuel du niveau démocratique du continent et malgré les appels à la rupture de Sarkozy, les relations complexées entre la France et ses ex-colonies risquent de continuer encore longtemps. Il ne faut donc pas rêver de voir un jour un dirigeant africain apporter la réplique à Sarkozy, dans une université française. Or ce courage politique pourrait affranchir le continent et permettre aux historiens africains de lever la tête face à leurs homologues européens.

Les intellectuels ne peuvent voir aboutir leur quête d’une Afrique réconciliée avec son propre passé que par un engagement sincère des dirigeants. Il faut porter le combat sur le plan politique surtout en nous imposant en partenaires respectables de l’Europe. Aucune action intellectuelle ne peut prospérer tant que les relations politiques continuent d’être entachées de paternalisme. Les Occidentaux n’accordent du respect qu’à ceux qui osent leur apporter la contradiction. Ainsi, il ne viendrait pas à l’idée des Américains de traiter Hugo Chavez du Venezuela ou Mahmoud Ahmadinejad avec le ton suffisant de Sarkozy à Dakar. Ces dirigeants n’ont pas craint d’aller défendre la cause de leur pays jusqu’aux portes de la Maison blanche. Résultat de la course, ils sont l’objet de toutes les critiques, mais personne n'ose les regarder de haut et les traiter avec la condescendance réservée aux couards et aux adeptes des compromissions. La réhabilitation de l’histoire de l’Afrique est aussi au prix de cette résistance politique des dirigeants.

 

Le Pays du 27 septembre 2007



27/09/2007
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