L'Heure du Temps (Blog d'Information sur le Burkina Faso)

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"Je suis l'initiateur de la ville morte, pas la casse"

NANA THIBAULT DEVANT LE JUGE


"Je suis l'initiateur de la ville morte, pas la casse"



Le procès des casseurs arrêtés lors des manifestations du 28 février a démarré le 7 mars et se poursuit ce matin. Ils sont près de 169 à s'être présentés devant le juge en audience de flagrant délit. Parmi eux, Nana Thibault, l'homme qui a appelé à l'opération ville morte.



La loi n° 22 du 21 octobre 97 en ses articles 1, 3, 5,14,17, 22 et 23 relatifs à la liberté de réunion et de manifestation sur la voie publique a été opposée aux prévenus du procès des casseurs de la journée du 28 février dernier. Nana Thibault, initiateur de la journée ville morte, a répondu de la prévention "d'instigateur, d'organisateur d'une action concertée contre des biens et meubles privés et publics". Il lui est également reproché l'organisation d'une manifestation interdite et qui a entraîné des mineurs dans l'accomplissement d'actes répréhensibles.

C'est aux environs de 23h que le président de l'Association Thomas Sankara (ATS) et président de la RDP (Rassemblement démocratique et populaire) a été finalement entendu par le juge. Avant, le procès a démarré dans la matinée autour de 9 h avec un incident. Me Prosper Farama qui s'est constitué pour Nana Thibault demande un renvoi pour mieux prendre connaissance du dossier. Il dit n'avoir eu accès ni à son client ni aux procès-verbaux d'audition. Il déclare avoir été interdit de voir son client à la MACO. La présidente du tribunal rappelle que c'est une audience de flagrant délit et qu'il ne peut obtenir de renvoi. Elle lui propose de rencontrer son client dans la salle. Me Farama estime ne pas être en mesure de défendre correctement son client dans de telles conditions et se déporte. Il quitte alors la salle. C'est donc seul que Nana Thibault est entendu par le juge et ses deux conseillers.



Nana Thibault, l'attraction du procès



Cheveux crépus, il est habillé d'un T-shirt et d'un gilet. Il porte un pantalon "Jean". Nana Thibault est moins marqué par sa détention que ses autres codétenus. Eux, sont mal en point physiquement. Certains semblent souffrir dans leur chair. La soif est au rendez- vous. Certains gardes pénitentiaires sont sollicités par des prévenus pour leur acheter un sachet d'eau. Certains parents de détenus sont dans la salle avec des sachets d'eau et quelquefois de la nourriture. Les plus jeunes , des mineurs sont les plus marqués. D'ailleurs, le premier à être entendu ne tiendra que quelques minutes d'audition. Très affaibli, il s'écroule devant le juge. L'instruction à l'audience est suspendue. On le fait asseoir et on lui offre de l'eau à boire. Quelques minutes après, il s'endort. Pendant ce temps, un autre est déjà à la barre. Ils sont plus de 160, c'est un marathon qui commence. Pendant la longue audition des prévenus, le voisin de Nana Thibault a un malaise. Il quitte son banc et s'assoit par terre et on lui tend de l'eau. Autour de minuit, lorsque la présidente du tribunal suspend l'audience, le jeune Nacoulma, n'en peut plus, et tombe de son siège.

L'attraction de ce procès était sans nul doute Nana Thibault.

Un numéro de journal en main, il ne reconnaît pas les préventions qui sont lues par le juge. "Je n'ai jamais incité les jeunes à casser" , répond-il . Il reconnaît cependant être l'instigateur de la journée ville morte. Pour lui, la ville morte consistait à ne pas ouvrir les marchés et autres boutiques, à rester à la maison comme il l'a lui -même fait. En tant qu'élu municipal, il dit ne pas se reconnaître dans les casseurs: "C'est parce qu'ils n'ont pas respecté mon mot d'ordre qu'ils sont devant vous aujourd'hui". Les juges ne semblent pas se contenter d'une telle déclaration. Et Nana continue sa défense, combatif. C'est une marche qui était prévue pour le 20 février. Pour défaut de date et d'itinéraire, la demande a été rejetée puis reprise. Entre temps, il y a eu les événements de Bobo, Ouahigouya et Banfora. Nana Thibault déclare avoir eu vent de possible infiltration d'où l'annulation de la marche et l'appel à une journée ville morte. Il dit être passé par les ondes de la radio et par certains journaux de la place pour expliquer le sens de la journée ville morte.

Les juges ont tenté par leurs questions de faire comprendre à Nana Thibault que les casses sont les conséquences de son mot d'ordre. Il a nié jusqu'au bout de son interrogatoire et expliqué aux juges que c'est parce qu'il a été choqué par les casses en provinces qu'il a renoncé à la marche de Ouagadougou et appelé à une ville morte.

Le juge lit une déclaration de Nana Thibault qui appelle à la ville morte et à la désobéissance civile. Il demande à Nana d'éclairer le tribunal sur la notion de désobéissance civile. Sentant le piège, Nana explique. La désobéissance civile pour lui , c'est salir la ville, barricader les rues.

Pour le juge, les gens ont plutôt compris qu'il fallait casser. Nana Thibault rebondit : "on peut barricader sans casser, ni brûler".

Le juge demande si le procureur n'a pas de question et clot le débat. L'audience a été suspendue juste après. Elle reprend ce matin.

Pendant son audition, le président du RDP a déclaré qu'il assumait la responsabilité de son geste, c'est -à-dire l'appel à la ville morte. Et qu'il est heureux aujourd'hui que le gouvernement, grâce à cette action, soit sorti de sa réserve pour prendre en compte les préoccupations des populations.

La mairie de Ouagadougou s'est constituée partie civile dans le dossier. Son préjudice est estimé à près de 200 millions selon le juge.
Tao Abdoulaye
Le pays du 10 mars 2008






ENCADRE



Le premier prévenu s'écroule à l'audience



Un jeune homme maigre et épuisé par sa détention répond

difficilement aux questions du juge et du procureur. Avec peine, il raconte les circonstances de son arrestation. "J'étais avec ma mère quand les forces de l'ordre pourchassant des gens sont entrées dans notre cour. C'est comme ça que j'ai été pris", fait-il savoir. Le procureur veut savoir pourquoi c'est lui qui a été arrêté et non sa mère. Il relève les contradictions dans les déclarations en enquête préliminaire et devant le parquet. Il n'obtiendra pas de réponse. Le jeune homme s'écroule. C'est plus tard qu'il terminera son audition.



Ils ont tous nié les faits



Aucun des prévenus n'a officiellement reconnu les faits, du moins ceux que nous avons pu voir à la barre. Une situation qui a compliqué le travail des juges. Il y a ceux qui ont fait des déclarations contradictoires en enquête préliminaire et devant le parquet. A l'audience, ils avaient une autre version des faits, laissant le procureur presque sans voix. Celui-ci a même demandé à un prévenu si c'était les officiers de police judiciaire qui avaient mal relevé sa déposition. Et le prévenu de répondre par l'affirmative.



Le plus petit prévenu a 13 ans



Dans le lot des prévenus, le petit Rouamba est le moins âgé, 13 ans. Il a reconnu avoir brûlé un pneu. C'est la première fois pour lui, dit-il, de voir une telle manifestation. Il voyait des gens brûler, il s'est saisi d'un pneu et l'a jeté dans le feu. Il vient de Naghrin. Le procureur a demandé sa relaxe, séance tenante. Le juge rétorque qu'il est sous le coup d'une ordonnance de mise en garde provisoire. Ce sera fait selon les règles, plus tard



Moussa Aguibou, pris devant sa porte



C'est pendant qu'il fermait le portail de la cour, à la demande de la propriétaire parce que des manifestants pourchassés y entraient et escaladaient le mur, qu'il a été pris. Malade, il est allé chercher les résultats de ses examens et a trouvé les portes de la clinique closes. Il est donc retourné chez lui où il a été pris par les forces de l'ordre.



Son briquet a servi à mettre le feu



Un des prévenus, BY, a eu du mal dans ses explications. Il déclare avoir été pris alors qu'il était en train de se soulager dans les WC. Le procureur a rappelé que la version du prévenu était en totale contradiction avec celle de l'enquête préliminaire. Il ressort de celle-ci qu'il a donné son briquet qui a servi à allumer un pneu. Pourtant l'intéressé dit ne pas fumer. Le procureur ne comprend pas. Le prévenu répond que le briquet lui sert de torche. En fait, selon le procureur, il s'est caché dans les WC, c'est quelqu'un qui l'a dénoncé et il a été pris



Un commerçant et un chauffeur pris dans l'engrenage



Ils sont quelques-uns à avoir été pris dans le mouvement des arrestations. Ils étaient au mauvais endroit. C'est peut-être le cas de ce commerçant venu de Koudougou se ravitailler en marchandises. Il tombe sur la journée ville morte, décide de rendre visite à son frère et de là-bas se fait déposer à la gare de Koudougou à Gounghin. C'est devant le portail de la gare qu'il sera arrêté. Celui qui l'a déposé n'a pas été arrêté mais a été roué de coups. Son grand frère venu témoigner à l'audience a déclaré qu'il avait vu le maire Simon Compaoré sur place qui lui a conseillé de laisser faire. Me Yanogo, un des rares avocats constitués, n'a pas eu grand-chose à dire sur la situation de son client. Le procureur non plus.

Ce fut aussi le cas de ce chauffeur qui, allant garer son véhicule au garage, s'est arrêté pour casser la croûte. C'est en rejoignant son véhicule qu'il est appréhendé par des policiers qui l'ont sommé de monter avec eux.


 

 

 



10/03/2008
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