L'Heure du Temps (Blog d'Information sur le Burkina Faso)

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Joseph a donné sa vie pour sauver les nôtres

Ministère des Sports

Joseph a donné sa vie pour sauver les nôtres

 

La tragédie n'est ni bonne à raconter encore moins à vivre. Mais il était de mon devoir de dire ce qui s'est passé en tant que survivant, mais aussi et surtout pour nous libérer de ce cauchemar qui, sans cesse, hante nos nuits, et dont le simple fait de s'en souvenir nous fait frissonner. Il s'agit de l'accident du véhicule qui ramenait du Bénin les équipes de handball de l'USFA et de la LONAB et au cours duquel le chauffeur Koudougou Joseph a trouvé la mort.

 

Le 29e championnat d'Afrique des clubs champions de handball n'était plus qu'un souvenir en cette matinée dominicale du 7 octobre 2007.

Malgré les résultats décevants des représentants burkinabè, l'enthousiasme se lisait sur tous les visages. Connaissant le handball du "Pays des hommes intègres", l'on ne pouvait guère blâmer la prestation d'ensemble de nos deux clubs (NDLR : l'USFA et la LONAB). On se félicita mutuellement et déjà, l'on pensait à mener une petite révolution dans cette discipline une fois au bercail.

Oui ! Ce matin-là, on était tous heureux. Heureux  de s'être frotté aux meilleures formations continentales, heureux de briser le mythe de la haute compétition, heureux enfin de retourner auprès des nôtres après plus de 10 jours passés au pays de Yayi Boni, même si l'on est resté conscient que la "Mazirus" du ministère des Sports et des Loisirs devra avant tout avaler plus de 1100 km d'asphalte.

Dès 8h, les bagages étaient soigneusement rangés dans le véhicule, question de gagner du temps et de vaquer à d'autres occupations (un peu de shopping par exemple), le départ étant prévu pour 14h.

Finalement, c'est aux environs de 15h que nous avons entamé notre longue traversée, car, comme vous le savez, les moments de séparation et d'adieux sont toujours difficiles surtout dans ce genre de circonstances, qui  ont drainé du monde de divers horizons : échanges d'adresses, règlements de notes latentes, accolades d'adieux, bref.

La "Mazirus" de Koudougou Joseph, notre chauffeur de service emprunta donc le boulevard de l'Amitié en direction du Nord avec à son bord 44 passagers.

 

Le bébé de la délégation n'arrêtait pas de crier

 

Une quinzaine de kilomètres plus loin, nous tombons sur un bouchon. Ces embouteillages sont légion à Cotonou. On avance désormais à pas de tortue. Quel temps, avons-nous mis pour nous en dégager ? Je ne le sais trop. 20 mn ? 30 mn ?

Pour un véhicule, un transporteur en panne, on a perdu un temps précieux. Mais enfin ! On pouvait à nouveau rouler. Les soupirs en chœur dénotaient combien nous souffrions dans notre peau.

A 16h, je recevais un message de Ouagadougou sur mon téléphone portable : Adama Sana, pour qui nous devions avoir démarré à 3h du matin, demandait notre position. Mais nous étions qu'à une soixantaine de kilomètres de la capitale béninoise, contrairement à ce qu'il pouvait penser.

Quelque trente bornes plus loin, on marque un arrêt ; c'est la "pause-pipi".

Certains profitent pour se ravitailler en ananas : (25 à 1000 F CFA). Là aussi, on perd une bonne dizaine de minutes. Certains regrettent leurs poches vides, d'autres le manque de place dans le bus.

Maintenant, on reprenait la route. Plus d'arrêt, surtout plus aux abords d'un point de vente quelconque.

A 17h, il commençait déjà à faire nuit. La fatigue gagnait les passagers ; les histoires drôles se font rares et un silence soudain enveloppa l'arrière du véhicule. On venait de traverser Bohicon et on mettait le cap sur Parakou. C'était un itinéraire obligatoire, car une fois arrivé à Savalou, on allait bifurquer pour rejoindre Natitingou et rentrer au bercail par Tanguietta. C'était sans compter avec ce qui nous attendait devant.

Bouaré Tiendrébéogo venait de me remettre sa caméscope, lui qui voulait immortaliser une partie du chemin.

Essaid, notre bébé à tous, venait de se calmer ; ce nourrisson si doux et si jovial d'habitude n'arrêtait pas de crier depuis une bonne trentaine de minutes. Ses cris suscitaient moult commentaires, mais on ne s'y attardait pas outre mesure.

 

Trop tard, nous étions à 150 m du danger

 

Il est 17h 30 lorsque le long véhicule, estampillé "Ministère des Sports du Burkina Faso", amorça un virage dangereux à gauche. On avait laissé Bohicon, quarante kilomètres derrière nous. La facilité avec laquelle on négociait les collines dénotait du bon état de notre mécanique, quoique son apparence laissait  à désirer.

A peine le virage terminé, nous voici dans une descente. J'apercevais au loin un véhicule. Et je me disais qu'il allait être "avalé" bientôt par la "Mazirus" tout comme les 160 km déjà digérés.

Au moment opportun, notre chauffeur voulut s'engager pour le dépassement. Mais en face, arrivait une voiture de tourisme suivi d'une citerne. Il se rabattit à droite. C'est là que nous nous sommes rendus  compte que le véhicule de devant était stationné, sans que rien ne l'indique pour autant. Et quel stationnement ! En plein sur la chaussée, pas même une seule roue sur le bas côté.

Nous étions environ à 100... 150 m du danger. Le chauffeur donna un coup de frein. Le malheur aussi avec ses véhicules lourds, c'est qu'il faut freiner par à-coups ; pis, le relief du lieu ne nous était pas favorable.

Il voulut forcer le passage à gauche, mais se rendit à l'évidence. Pas de chance si on croise la citerne.

Dans l'habitacle, tout le monde est pris de panique, surtout nous qui étions à l'avant. Le danger était imminent, et il n'y avait pas grand-chose à faire. Nous assistions impuissants à la course folle du bolide et on imagine le bouillonnement intérieur du conducteur. Forcer sur la droite du véhicule stationné, ce serait aller au suicide, à cause du ravin. Pas de chance donc ! J'attendis le chauffeur lancer un juron : "Oh merde" !

On venait de passer sur l'apprenti du véhicule en stationnement. Le reste est allé vite, trop vite même. Il fallait sauver les passagers. Pas d'autre solution que de foncer sur le véhicule. Un dernier coup de frein, et boum ! Un bruit assourdissant mélangé aux bris de vitre et aux tôles se pliant sous l'effet de l'impact. Et ce moteur qui continuait à ronronner.

A l'arrière, réveillés par l'impact, certains s'échappaient par les fenêtres, les plus lucides aidant les autres.

A l'avant, le spectacle était triste. 5 à 6 personnes étaient coïncées. On appelle au secours. Une sensation subite de sommeil me prit. Il faisait noir tout autour de moi, mais je résistai à la tentation de Morphée et finalement, une voix m'appela. Je sursautai et sautai à terre par la fenêtre. M. Yaméogo tira sur sa jambe coïncée, et c'est à peine si la plante du pied ne s'est pas arrachée et se jeta dehors.

Tiendrébéogo  ainsi que  Zapata et Douanio.

Déjà, les premiers secours arrivaient. Avec l'aide de deux autres véhicules lourds, on essaya de dégager les véhicules encastrés, mais c'était peine perdue. Certains essayèrent avec une hache, en vain. "Et la scie à métaux ?" se demandèrent certains. Elle n'y put rien. Avec nos survêtements, on avait fait des semblant de garrots pour les blessés ; des particuliers et une patrouille de l'armée béninoise évacuaient nos premiers blessés.

 

Gare au discours politicien !

 

Soudain, un groupe électrogène démarra. Je ne sais pas trop comment elle est arrivée sur les lieux. Elle sera notre salut, car elle a permis d'user de la mêlée pour dégager ceux qui étaient coincés. C'est à peine si les secouristes se rendaient compte de ce sur quoi ils marchaient ! C'était simplement horrible, et je vous fait l'économie d'une description macabre.

Bref ! Tout ce que je sais est que Koudougou Joseph a donné sa vie pour sauver le maximum de gens. Le réflexe qu'il a eu d'arrêter le moteur après l'accident dénote du fait qu'il était conscient au moment d'opérer son choix, mais il succombera, hélas ! Il s'est sacrifié pour que survive cette discipline encore émergeante au Burkina.

La famille du handball et tous autant que nous sommes, blessés et miraculés, lui devons mieux que des louanges et des hommages.

Gageons que chacun, à quelque niveau que ce soit saura mesurer la portée de ce sacrifice et prendre des décisions sages ou bien se comporter dignement.

Peut-être sera-t-il décoré à titre posthume, mais que peut bien valoir une médaille même dorée si elle ne peut nourrir une progéniture a fortiori ressusciter un mort ?

De même, osons croire que les déclarations du genre "Tous les blessés seront pris en charge et les autres seront suivis", ne relève de l'effet d'optique ou du discours politicien.

Dans tous les cas, les victimes attendent de voir.

 

Alassane Ouédraogo

(un miraculé)

L’Observateur Paalga du 31 octobre 2007



31/10/2007
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