La chute d'un fidèle devenu trop encombrant ?
Réajustement ministériel
La chute d'un fidèle devenu trop encombrant ?
Si, au regard du nombre de personnalités ayant quitté le gouvernement de Tertius Zongo, l'événement du week-end n'a été qu'un épiphénomène, c'est un séisme d'une magnitude assez importante si on s'en tient au poids politique du seul partant, à savoir Salif Diallo, désormais ancien ministre de l'Agriculture, de l'Hydraulique et des Ressources halieutiques.
De murmures sur son imminence en rumeurs et de rumeurs en spéculations et conjectures, le départ de Salif Diallo a fini par être une réalité au moment où l'opinion s'y attendait le moins : le jour de Pâques (c'est-à-dire au moment où, selon les Saintes-Ecritures chrétiennes, Jésus Christ ressuscitait) a été choisi par Blaise Compaoré et Tertius Zongo pour se passer des services d'un des hommes forts que le régime de
Il n'est point besoin d'épiloguer sur les raisons de ce départ annoncé depuis longtemps par Dame Rumeur. En outre, que dire de plus du moment que les quotidiens, dans leurs livraisons d'hier, en ont largement parlé. Le constat que l'on peut faire est que beaucoup de personnes au sein de l'opinion déplorent la manière et le moment qui ont été choisis pour ce réajustement eu égard au rôle joué par Salif Diallo dans l'avènement, la consolidation et la longue durée du pouvoir de Blaise. Dans cette optique, on en vient à traiter ce dernier d'ingrat. Pire, il serait de plus un népotiste du fait qu'il prendrait systématiquement le parti de son frère cadet, François Compaoré, qui voit ainsi son influence dans les sphères économiques et politiques grandir de jour en jour dans la perspective d'une probable succession.
Une telle réaction de la part de nombre d'observateurs et d'acteurs politiques (de l'opposition notamment) peut naturellement se comprendre :
1. en tant qu'humains, nous sommes plus tentés de nourrir de la compassion pour le plus faible que séduits par la puissance du plus fort ;
2. hors du système, il n'est pas toujours facile de comprendre réellement ce qui s'y passe afin de pouvoir juger de manière relativement objective ;
3. les actions d'éclat de Salif, sa volubilité et son éloquence font de lui quelqu'un de convaincant et de persuasif sans que cela soit toujours en adéquation avec la réalité.
Un autre Salif verra-t-il le jour ?
La construction des systèmes politiques s'inscrit, sans que nous en soyons nécessairement conscients, dans la logique de la configuration de la collectivité tout entière : vous avez des faucons, vous avez des colombes et vous avez des centristes tantôt proches des colombes, tantôt proches des faucons ou tantôt à équidistance des deux extrêmes. Ces différentes composantes du système sont aussi importantes et nécessaires les unes que les autres. Elles forment un tout qui permet que l'on parle de système et cela permet au système de fonctionner. Si le système n'est composé que de faucons, c'est la porte ouverte à la dictature ; s'il n'est fait que de colombes, il s'écroulera, et s'il ne comporte que des éléments centristes, le risque est grand que l'instabilité soit la norme et que finalement il s'effondre.
Dans le cas qui nous concerne ici et maintenant, on peut le ranger, toute proportion gardée, dans le camp des faucons si l'on s'en tient à ce que ses proches soit du mouvement étudiant, soit du parti, soit de sa région natale disent de lui : bien souvent, il ne tolère pas d'être contredit ; par contre, il se donne tout le loisir de contredire les autres ; le traitement qu'il préconise à l'encontre de l'opposition politique est bien plus raffinée que celle d'un Simon Compaoré par exemple, mais souvent plus dévastateur.
N'en a-t-il pas fait trop ou n'a-t-il pas prêté le flanc ?
Sa contribution, en tant que faucon, à la consolidation du pouvoir de Blaise Compaoré est indiscutable et c'est pour cela qu'il mérite bien les différents postes de responsabilité qu'il a occupés ou qu'il occupe encore aujourd'hui. Il est connu de tous que là où tout le monde reculait face au danger, Salif Diallo était l'un des rares sinon le seul dans l'entourage immédiat du président du Faso à foncer.
Cependant, en dépit de tout cela, n'est-il pas pertinent de se demander s'il n'en a pas fait trop ou s'il n'a pas prêté le flanc ? Nous convenons que dans notre position, il est facile et aisé de répondre par l'affirmative. C'est pourquoi c'est plus une question que nous posons. C'est donc moins une réponse que nous donnons. Les faits suivants fondent cette interrogation :
- au nom du souci de consolider le régime, encore tanguant à la fin des années 80 et au début des années 90, il aurait pris des initiatives assez malheureuses dans la gestion de certaines crises syndicales et politiques ;
- il était toujours persuadé qu'il avait raison. Ce qui n'était pas toujours faux, mais la manière de défendre cette raison s'apparentait bien des fois à des diktats. En outre, le souci de l'efficacité, qui l'amenait à se séparer de façon brutale et inélégante de certains cadres de l'Administration, n'a pas facilité les choses.
Conclusion : il inspirait plus la crainte et la peur que le respect et l'admiration.
- Le traitement dont il bénéficie de la part de certains médias de la place. Estimant, avec raison, jouer leur rôle de contre-pouvoir, ils sont très critiques à l'endroit du régime tout en étant sensible au sort qui pourrait être celui de l'ancien ministre en charge de l'Agriculture. Pire, ils sont nombreux du côté du pouvoir à penser que Salif roule pour ces gens et vice-versa. Peu importe que cela soit vrai ou faux. L'important, ce sont les conséquences d'une telle lecture de la situation ;
- A ces éléments, on pourrait ajouter d'autres comme ce qui se dit sur son passage à la tête des ministères chargés de l'Environnement et de l'Agriculture, l'adoption du coton transgénique, ses relations avec François Compaoré (qui, en elles-mêmes, n'auraient pas eu de signification importante s'il n'y avait pas eu les autres problèmes que nous avons évoqués)...
C'est connu, qui veut tuer son chien l'accuse de rage. Autrement dit, tous les points que nous avons énumérés pour fonder notre interrogation peuvent n'être que des prétextes. Mais une chose est cependant certaine : dans son ascension, Salif s'est plus attelé à rassembler des courtisans qu'à s'associer des amis sociaux et/ou politiques. Tant et si bien que presque personne parmi ses proches, prétendent ses contempteurs, ne pouvait lui dire la vérité. Ceux qui osaient le faire se voyaient, dit-on, ignorés ou étaient sanctionnés d'une manière ou d'une autre. Vrai ou faux, allez savoir !
Qui remplacera Salif ?
Tout pouvoir a besoin de quelqu'un qui cristallise et symbolise son côté angélique ; tout comme il lui faut quelqu'un comme Salif Diallo pour détruire avec la manière toute opposition à son action. Simon Compaoré aurait pu jouer ce rôle, mais lui prend moins de gants pour dire ce qu'il pense et rue souvent dans les brancards. Alors que Salif intellectualise et conceptualise, le maire de Ouagadougou parle crûment et sans circonlocution.
Il est donc difficile de mettre un nom sur ce portrait-robot. Mais comme la logique de fonctionnement d'un système quel qu'il soit se situe au-dessus de la volonté des individus qui en sont les acteurs, la dynamique interne au régime se chargera de produire ce genre de personnage.
On pourrait nous reprocher de parler comme si Salif Diallo n'était plus un élément du système alors qu'il est toujours le n° 2 du CDP : Premièrement, nous savons tous que dans nos pays, un leader politique (fût-il militant du parti au pouvoir) qui n'occupe pas un poste de responsabilités dans l'administration publique dispose de peu de moyens pour répondre aux attentes des armées de mâchoires des militants ; deuxièmement, vu la façon dont il est parti du gouvernement, il y a lieu de se demander jusqu'à quand il demeurera n°2 du "grand parti", même s'il faut bien se garder de "l'enterrer" précipitamment, surtout qu'on ne dispose pas de tous les ressorts du problème et que, dans cette galaxie Compaoré, on a souvent vu des étoiles presque éteintes briller de nouveau au firmament. Prudence donc !
Les conséquences du départ de Salif
La première, affirment certains, c'est la victoire et la consolidation du pouvoir de François Compaoré. C'est peut-être vrai, mais ce n'est pas le sujet le plus pertinent.
Pour nous, les points suivants sont les plus dignes d'intérêt :
- Tertius Zongo aura-t-il encore besoin de procéder à un remaniement ministériel ? Celui que d'aucuns estimaient être un empêcheur de gouverner en rond étant parti, ce n'est plus a priori une priorité. En effet, même s'il y a laissé certains de ses lieutenants, ce sont surtout des techniciens ou des "hiérarchistes", qui sont vite rentrés dans les rangs, au moins en apparence. Toutefois à terme, le remaniement nous semble inéluctable, vu la volonté du chef du gouvernement d'exécuter efficacement la lettre de missions que le chef de l'Etat lui a adressée : une meilleure gestion de nos ressources humaines, matérielles et financières de l'Etat.
- Qu'adviendra-t-il des proches de Salif Diallo qui sont des opérateurs économiques, étant donné que la santé des affaires va souvent de pair avec le type de relations qu'on entretient avec les puissants politiques ? Quid des hauts fonctionnaires (secrétaires généraux, gouverneurs, directeurs généraux, hauts-commissaires, etc.) ? Et que dire des gens qui ne jurent que par lui au CDP, tant il est vrai que depuis deux décennies il a su former une armée d'obligés, des "Salifans" si vous nous permettez ce néologisme ?
Il est en tout cas souhaitable, dans un contexte marqué par le souci de mettre en œuvre la gestion axée sur les résultats, de juger les citoyens dont Salif Diallo est à la base de la nomination sur les résultats enregistrés dans l'exercice de leurs activités, ou de leurs fonctions et non sur leur supposée appartenance au clan Salif. C'est plus conséquent et c'est plus en phase avec l'air du temps plutôt que de se lancer dans des purges qui ne disent pas leur nom.
Que deviendra Salif Diallo ?
D'emblée, c'est à Blaise Compaoré et à Tertius Zongo qu'il faut poser cette question ; puisque ce sont eux qui ont limogé le prince jadis faiseur de ducs, de marquis et de comtes. Toutefois, cela dépend aussi et surtout de lui.
En effet, nous avons tous cette idée tellement fière de notre personne que quand nous avons des déboires, nous en attribuons systématiquement la cause aux autres. Que c'est facile ! Nous ne prenons même pas la peine de situer nos propres responsabilités si minimes soient-elles. De nous dire à nous-mêmes que si nous ne sommes pas responsables ou capables, nous avons au moins prêté le flanc. Ensuite, il faut accepter de raser les murs au sens propre comme au sens figuré. Ces attitudes nous permettent de nous forger un moral de fer et d'orienter nos énergies vers l'essentiel : travailler à nous en sortir et c'est là le début de la fin de la traversée du désert. Pour le reste, l'entourage (politique, administratif et familial) appréciera.
Salif Diallo devra donc être plus humble, moins loquace, plus circonspect, moins fracassant. Il y va de son intérêt et de celui du régime, car ce dernier a encore grandement besoin de lui. Tous les cerveaux et les bras des fils d'une nation sont nécessaires à sa construction, mais aucun cerveau ou aucun bras n'est indispensable. L'enfant du Yatenga n'est donc pas un fidèle devenu encombrant, mais nous pensons qu'il devra faire preuve d'un supplément d'âme dans ses rapports avec autrui pour son bien et pour celui de tous. Cela est possible et le cas de Hyacinthe Kafando est là pour l'attester.
Z.K.
L’Observateur Paalga du 26 mars 2008
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