L'Heure du Temps (Blog d'Information sur le Burkina Faso)

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"La crise financière est le fait de la dérégulation du marché"

Léopold Ouédraogo, directeur de l’antenne nationale de la BRVM

"La crise financière est le fait de la dérégulation du marché"

Sans que l'on ne comprenne trop ce qui s'est passé, des institutions bancaires américaines sont entrées dans une tourmente qui a menacé leurs fondements. Du jour au lendemain, l'onde de choc a commencé à se propager notamment en Europe et en Asie avec la chute drastique des actions boursières. Pour mieux comprendre ce qui a provoqué cette crise qui n'est pas loin de rappeler celle de 1929, nous avons rencontré le directeur de l'antenne nationale de la Bourse régionale des valeurs mobilières, Léopold Ouédraogo.

Comment avez-vous réagi en apprenant pour la première fois la nouvelle de la crise financière aux Etat-Unis ?

Léopold Ouédraogo : Je ferai plutôt une réflexion en disant qu'il y avait des signes annonciateurs en ce sens que le refus de prendre des mesures il y a quelques mois, voire une année, a pour conséquence ce que nous vivons aujourd'hui. L'origine de la crise actuelle part de celle des subprimes (NDLR : lire suprames) c'est-à-dire l'immobilier lié à le finance à travers les crédits hypothéquaires en ce sens que dans un système où il y a des règles, on ne fait crédit qu'à celui qui est solvable. La dérégulation du système aux Etats-Unis a permis de faire crédit à des gens dont la solvabilité était nettement insuffisante. Dans un premier temps, ces personnes ont payé des intérêts en période de différés, ce qui n'est pas important. Cela s'est passé à un moment où les taux d'intérêt étaient bas alors que dans ce système les crédits sont indexés le plus souvent sur des taux d'intérêt du marché. Quand ces derniers montent, les remboursements augmentent. Dans un deuxième temps, le système était basé sur un deuxième pilier qui est la constante progression vers la hausse du marché de l'immobilier. Même si l'acheteur qui a acquis sa maison n'arrivait pas à payer, la revente de la maison permettait de rembourser ce qu'il devait et même, de dégager des bénéfices. C'est un peu cette construction qui avait été mise en place. Le système marche quand le taux d'intérêt est bas et quand le prix de l'immobilier monte. Malheureusement, on est arrivé à un moment où les taux d'intérêt étaient en train de monter et le prix de l'immobilier, en train de baisser. Un double agissement contraire de ce qui était souhaité, et on est arrivé à cette situation où ceux qui avaient ces prêts hypothéquaires ne pouvaient pas payer et en vendant les maisons, ne pouvaient pas non plus rembourser.
L'autre phénomène est que ces créances issues des prêts hypothéquaires faits à des gens qui n'avaient pas une solvabilité suffisante ont été transformées sous forme de titres et vendues sur le marché financier. Ces titres valent quelque chose si les remboursements se font normalement. Mais si ce n'est pas le cas, cela veut dire que le crédit a été transféré des banques ou des établissements émetteurs du crédit vers des sociétés financières, des banques qui ont acheté ces crédits. Cela peut paraître compliqué pour le commun des mortels. Mais dans la réalité, ce sont des opérations tout à fait normales. Par exemple, si on prend une banque de la place, elle peut accorder un prêt à une entreprise ou à un particulier et ensuite "revendre" ce prêt à la BCEAO en allant escompter l'effet ou le titre qui représente ce prêt. Cela veut dire que cette banque se refinance auprès de la BCEAO. Dans le système américain, le refinancement peut se faire avec le marché financier. Cela veut dire que les prêts accordés peuvent être transformés en titre et revendus sur le marché. Ces prêts, d'un point de vue quantité, étaient très énormes parce que l'on construisait partout aux Etats-Unis sur cette base. Et ces prêts ont été transférés au niveau des banques notamment celles d'affaires, d'investissement qui ont pour rôle d'intervenir sur les marchés financiers et ne suivent pas la même réglementation que les banques généralistes ou commerciales. Aux Etats-Unis, ces banques ne relèvent pas de la réserve fédérale. C'est comme si par exemple au Burkina une banque ne relevait pas de la BCEAO. Quand il est arrivé que les titres que détenaient par- dévers elles ces banques ne valaient plus rien, leur patrimoine a diminué, a complètement fondu. Le premier phénomène constaté est que les banques qui avaient ces titres dans leurs portefeuilles n'avaient même plus à bénéficier de ce qu'on appelle les prêts interbancaires, c'est-à-dire les mouvements de liquidités entre les banques à des fins de prêts à très court terme. Il est donc arrivé à un moment où les banques elles-mêmes ne se faisaient pas de crédits, fautes, de confiance. Dans un premier temps, les banques centrales sont intervenues en injectant de la liquidité pour permettre au système de fonctionner parce que si les banques ne se font pas de crédits, il y a blocage. C'était les mesures qui avaient été arrêtées en ce moment. Certes, cela permet de repartir mais juste pour quelques mois parce que dans le fond il y a une perte d'argent, une baise de valeurs que quelqu'un doit payer quelque part. Aujourd'hui, on tend vers un système-surtout aux Etats-Unis où l'Etat va racheter les titre dévalués pour permettre aux banques d'assainir leurs bilans.

Quelle est la nature exacte de la crise ? Est-elle financière, boursière ou les deux à la fois ?

Une crise, quand elle est financière et touche des établissements cotés en bourse devient une crise boursière. Initialement, la crise était une crise de l'immobilier. Les prix baissaient et, du coup, ceux qui avaient fait un montage de subprimes sur le pari que les prix allaient monter se sont retrouvés coincés. Comme ces prêts hypothécaires ont été mis sur le marché financier et que des acteurs cotés en bourse les ont acquis, nécessairement les actions des banques détenant ces titres ont baissé comme relevé précédemment. Le lien se fait par l'activité immobilière financée par le secteur financier et le transfert de ces titres représentant ces prêts dans les marchés financiers.

La spéculation serait-elle à la base de la crise comme le soutiennent bon nombre de personnes ?

On peut parler de spéculation mais pas de spéculation boursière. Ici, la spéculation a eu lieu dans le financement de l'immobilier ; la spéculation étant la prise d'un risque est le fait de financer des personnes qui n'avaient pas traditionnellement droit à un financement de ce type. Pour un financement immobilier, on ne peut pas accorder à quelqu'un qui gagne par exemple 300 dollars par mois des prêts de plusieurs centaines de milliers de dollars. Pour le remboursement, il mettrait 40, 50 voire 70 ans pour le faire. Mais on va se dire que comme la valeur de la maison va monter, si un jour il y avait des problèmes, cette personne s'en sortirait même avec beaucoup d'argent en revendant la maison alors que ce n'est pas aussi simple et évident qu'on le croit parce qu'il faut que des conditions de taux d'intérêt et du prix de l'immobilier soient dans de bonnes dispositions. La spéculation était donc déjà à ce niveau.
Les conséquences sur le marché boursier n'étaient que des conséquences de spéculations qui se faisaient hors dudit marché. Il ne s'agit pas de personnes qui ont acheté des titres boursiers pour essayer de les revendre plus cher en faisant des paris sur l'avenir. C'est plutôt au niveau du financement des prêts hypothécaires qu'il y a eu une sorte de spéculation parce que l'on a parié sur une opération qui a été rentable pendant un certain temps. Mais c'est oublier que, comme on dit en bourse, les arbres ne montent pas jusqu'aux cieux.

Selon vous, est-ce la fin du système capitaliste ou à tout le moins la preuve de ses limites ?

On ne peut même pas parler de la fin du capitalisme ; on peut parler peut-être de la fin du système des banques d'investissement tel qu'il existe jusqu'à présent. Dans les années à venir, l'activité de ce type d'institutions financières risque d'être beaucoup plus encadré qu'avant. Ce qui a amené la crise est qu'il y a eu une dérégulation importante. Avec l'absence de règles, les gens ont essayé de faire ce qu'ils pouvaient pour avoir beaucoup d'argent. Et en posant ces actes, ils ont enduit le système vers des risques importants. Si les Etats interviennent maintenant pour essayer de sauver la situation, parce que non seulement ils sont garants de la stabilité économique mais aussi parce qu'ils se sentent un peu responsables de n'avoir pas agi, de n'avoir pas limité la prise de risques par certains acteurs des marchés financiers.

Dans un système libéral, est-il normal qu'un gouvernement intervienne avec de l'argent public comme veut le faire l'administration Bush qui est disposée à débourser 700 milliards de dollars pour racheter les créances douteuses des banques dans la tourmente ?

Si l'on tient compte déjà que l'on a affaire à une administration républicaine aux Etats-Unis, c'est un comble de parler de nationalisation. Or, dans la réalité, c'est à quoi l'on assiste même si on se garde de parler ouvertement de nationalisation. Certaines grosses institutions financières sont entrées dans le giron de l'administration notamment à travers la réserve fédérale qui détient pratiquement près de 80% du capital de certaines grandes banques américaines dans le cadre de la résolution de la crise. Ce qu'il faut surtout retenir de cette intervention de l'administration Bush est, d'une part, la sauvegarde des emplois et, d'autre part, la préservation de la mise du citoyen américain en ce sens que les actions des banques en question sont détenues par une multitude de personnes. Les mêmes banques sont aussi des piliers de l'activité économique. Ce sont des instruments qu'ils faut sauver. Je crois que cela a poussé le gouvernement américain à intervenir.
Comme je le disais tantôt, il y a la responsabilité des Etats qui devraient intervenir plus tôt et ne l'ont pas fait. Maintenant, ils se rendent compte que s'ils ne le font pas, ça risque d'être la catastrophe, l'explosion. Pour prendre l'exemple des Etats-Unis, le gouvernement a donc décidé d'intervenir massivement en injectant, dans un premier temps, de la liquidité dans le système pour lui permettre de fonctionner et, dans un second temps, en nettoyant le bilan de ces structures financières en reprenant les titres qui ne valent plus rien. A coup sûr, il y aura sous peu, une réglementation qui va être plus stricte.

Trouvez-vous normal, moral que l'on saigne le contribuable américain pour sauver des banquiers qui sont certes, en difficulté mais réalisent aussi des profits qu'ils ne partagent pas avec tout le monde ?

Quand vous regardez bien, la plupart des contribuables américains sont en même temps actionnaires de ces banques. Quand vous parlez de bénéfices, de profits, on a toujours l'impression que c'est le premier responsable de la banque qui les empochent. Ils reviennent plutôt aux actionnaires. Le gouvernement américain, en intervenant, sauve des banques dont les actions sont détenues par des contribuables, et préserve également des outilles économiques essentiels. C'est de tout cela qu'il faut tenir compte. Il faut aussi noter que le contribuable peut ne pas perdre dans cette affaire. Ce sont des titres qui sont rachetés et on ne sait pas à quel prix la réserve fédérale pourrait les revendre demain ou après-demain. On est dans un contexte où les titres ont fondu. Aujourd'hui, on les rachète en comptant les revendre un jour. En les revendant, rien ne dit que les 700 milliards de dollars que le gouvernement américain entend débloquer ne vont pas rapporter beaucoup plus. Donc, il n'est pas dit que l'intervention du gouvernement va se traduire par une perte. C'est une question de temps et d'évolution de la valeur des titres concernés.

Expliquez-vous pourquoi le marché ne s'est pas auto-régulé ici comme ce devait être normalement le cas ?

Quand on parle d'autorégulation du marché, il s'agit de l'activité même du marché. Il ne s'agit pas de la réglémentation venant d'une autorité souveraine qui autorise ou interdit certains actes. Prenons un exemple : si on dit aujourd'hui qu'il est interdit de vendre des couteaux, les gens se mettront à en vendre le jour où vous levez l'interdiction. Maintenant, si les couteaux vendus sont utilisés à mauvais escient, on ne peut pas dire qu'il y avait pourtant l'autorégulation qui devait faire ceci ou cela. C'est une réglementation qu'il faut mettre en place. Pour revenir à l'Afrique de l'Ouest, certains observateurs extérieurs de la sous-région avaient trouvé que l'on avait pas affaire à un marché financier parce qu'il n'y a quasiment pas de risque. D'abord, nous sommes au début du marché et ensuite nous ne cherchons pas à être un marché spéculatif. C'est un marché d'investissement. Si vous y mettez votre argent, c'est dans une logique d'investissement. C'est l'esprit dans lequel notre marché financier fonctionne. Idem pour la réglementation mise en place. Cela nous met quasiment à l'abri de ce type de phénomène qui est le fait du marché déréglé dans lequel on peut créer des produits extrêmement complexes et qui, à la fin, se retrouvent un peu vides parce qu'un des éléments ne représente pas la valeur qu'on lui avait donnée.

Les mesures prises ou envisagées par le gouvernement américain pourront-elles résoudre la crise ?

Le fait est de savoir si les 700 milliards de dollars seront suffisants. Jusqu'à présent, je n'ai pas une estimation de la valeur globale de l'ensemble des titres concernés. Sans doute que la réserve fédérale a fait ses estimations et a donc proposé en conséquence les 700 milliards de dollars. A priori, cela devrait marcher parce qu'à la limite on a sorti du système tout ce qui était pourri pour permettre un bon fonctionnement. Maintenant, tout dépend de ce que valent les 700 milliards de dollars. Je ne sais pas si ce montant représente 100% des titres concernés ou moins que cela, c'est-à-dire 50 ou 20%. Si l'essentiel de ces titres est retiré du système au moins pour un moment, cela peut permettre un meilleur fonctionnement et une absorption des pertes plus tard.

Quelles peuvent être les répercussions d'une telle crise sur les pays africains ?

De façon directe, dans les pays où se trouvent les filiales des groupes concernés il y aura sûrement quelques problèmes. Cela est mécanique. D'un point de vue des marchés financiers en dehors des marchés qui ont une forte corrélation avec ceux internationaux - américains notamment - les autres ne vont pas normalement sentir cette crise, et cela, pour plusieurs raisons. D'abord, les produits concernés par la crise ne sont pas sur nos marchés. Ensuite, les acteurs qui sont concernés ne sont pas également sur nos marchés. Enfin, nous n'avons pas le même type de réglementation du marché que le type américain où il est permis de créer des produits tous les jours et la réglementation vient après.
Chez nous, avant toute chose, si vous voulez faire quelque chose, vous êtes obligés de soumettre un dossier au Conseil régional de l'épargne publique et des marchés financiers qui est l'autorité publique de tutelle du marché financier de l'UEMOA. Cela fait que l'on ne peut pas introduire des produits spéculatifs, une activité à mener dans l'état actuel de la réglementation du marché financier régionale.

Avez-vous ressenti quelque chose de la crise au niveau de l'antenne nationale de la Bourse régionale ?

Nous fonctionnons tout à fait normalement. Vous savez que dans les marchés financiers, on regarde les indices pour avoir l'évolution globale des marchés. A priori, nos indices (NDLR) : il jette un coup sur l'écran de son ordinateur de bureau) évoluent tout à fait normalement sans à-coup. Ce qu'il faut aussi savoir, c'est que ce type de crise se propage assez doucement même si on est dans un monde globalisé. Il se peut que ce soit dans quelque temps que ceux qui doivent ressentir quelque chose ressentent les effets de cette crise parce que cela va par vagues. Ceux qui sont un peu loin vont mettre du temps à ressentir les effets. Pour le moment, je peux donc dire que la crise n'a pas eu d'incidence sur l'activité du marché boursier de l'Afrique de l'Ouest.

Tout baigne comme on le dit ...

Tout baigne par rapport à la crise. Mais le marché a ses problèmes de développement de promotion qui sont tout à fait normaux et qu'il faut juste surmonter pour améliorer la fonctionnalité du marché.

Propos recueillis par Séni DABO

Le Pays du 26 septembre 2008



26/09/2008
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