L'Heure du Temps (Blog d'Information sur le Burkina Faso)

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La Révolution et nous : Eléments d'histoire

La Révolution et nous

Eléments d'histoire

J'avais 34 ans quand éclatait la Révolution Démocratique et Populaire (RDP). Alors jeune professeur de philosophie à l'Ecole normale de Ouagadougou, devenue plus tard le lycée Bogodogo, j'étais très impliqué dans le mouvement social en ma qualité de membre fondateur du Syndicat national des enseignants du secondaire et du supérieur (SYNTER). Je connaissais déjà le jeune officier Thomas Sankara, mais seulement de nom, pour les actes de bravoure qu'on lui imputait à l'occasion du premier conflit frontalier qui nous a opposé au Mali. Quant à Blaise Compaoré, il fut mon cadet à l'Ecole normale de Ouagadougou dans les années 70 et nous avons ensemble été des conscrits de la classe 71 au Groupement d'Instruction des Forces armées à Bobo-Dioulasso. C'est dans cette même ville que je le retrouve en 1982 quand je fus envoyé par mon syndicat pour y implanter une section locale. J'avoue que l'homme ne m'avait pas laissé indifférent. Ses propos étaient très avisés et d'une certaine profondeur politique que j'appréciais. Il m'apprit que lui et ses amis, notamment Thomas Sankara étaient persécutés. Il était personnellement sans bureau, mais il n'était pas pour autant amer. Il s'estimait même privilégié, au regard de ces millions de paysans qui croulaient sous la misère. Nous avons les moyens de chasser ceux qui nous emmerdent, m'avait-il dit, mais ce n'est pas l'essentiel. Par ces propos, je me sentais totalement en phase avec lui. Surtout quand il ajouta peu après : on ne peut pas prendre le pouvoir si on n'est pas assuré de ce qu'on a derrière soi.

Quand Sankara est appelé par le CMRPN de Saye Zerbo pour occuper le poste de Secrétaire d'Etat à l'Information, je découvre son visage un soir à la télévision quand il leva son doigt accusateur qu'il accompagna de cette phrase : " Malheur à ceux qui bâillonnent leur peuple". L'histoire va s'accélérer et Sankara se retrouvera aux arrêts après avoir été Premier ministre. L'arrestation coïncide avec l'arrivée à Ouagadougou de Guy Penne, le conseiller du président Mitterrand sur les affaires africaines. Le lendemain, les élèves imposent à mon cours un seul thème : Quelle riposte contre ce qu'ils considèrent comme la gifle que l'impérialisme français nous a infligé ? Ils ont la réponse à leur question: chasser le président Jean Baptiste Ouédraogo. En vain, je tente de les calmer en leur disant que la révolte est certes légitime, mais pour réussir ce qu'ils veulent, il faut être organisé. Je les retrouverai peu après dans la rue en train de manifester. Sankara sera libéré et finalement installé au pouvoir. C'est alors que je compris le sens profond de la discussion que j'ai eue avec Blaise. Ces hommes avaient formé le projet de prendre le pouvoir et étaient en quête d'appuis civils.

La Révolution sankariste était idéologiquement dominée par des groupes politiques que j'ai connus quand j'étais toujours à l'université. Depuis 1978, le mouvement estudiantin était le terrain d'expérimentation de la lutte idéologique entre différentes fractions dont certaines ont été directement impliquées dans la Révolution. Je me souviens de ce que m'a dit un ami en 1979 au congrès de l'AEVF à Paris : " Ce qui est en train de se passer dans le mouvement estudiantin va nous coûter très cher demain au pays. Tant que nous n'avions que la bouche et les plumes pour exprimer nos divergences, nous pouvions être relativement tranquilles. Mais si d'aventure une des fractions belligérantes arrivait un jour au pouvoir, alors bonjour les dégâts. " C'est en effet ce qui s'est passé. La Révolution nous avait promis le poteau n°5, spécialement réservé à ceux qu'elle appelait les " anarcho-syndicalistes ", considérés comme ses plus farouches opposants idéologiques. Ceux-là ont été publiquement déchus de tous les droits. Pas de logement gratuit comme cela avait été promis à tout le monde, interdiction d'accès aux bus X9, pas de droit à un emploi rémunérateur (malheur à celui qui embaucherait un anarcho-syndicaliste avait prévenu Pierre Ouédraogo, patron des CDR) etc… Evidemment, la Révolution était en train de chercher ses marques. Elle ne pouvait s'affirmer que contre ses ennemis réels ou supposés. Mais il était difficile d'appliquer toutes ces mesures qui avaient bien plus une visée d'intimidation, même si on a parfois fait plus que de l'intimidation. Pour l'essentiel cependant, il n'y eût jamais de poteau n°5 pour nous autres ni interdiction effective de jouir de la gratuité du logement. Nous avions certes été éloignés des classes et privés de revenus pendant plus de deux ans, mais il n'a pas été possible de nous interdire de travailler ailleurs. Mais au-delà des effets collatéraux de la Révolution, (je considère qu'elle n'était pas venue pour nuire), la figure de Thomas Sankara était absolument fascinante : sa capacité à imager ses idées, le courage et l'apparente détermination avec lesquels il abordait les problèmes de fond et son optimisme communicateur. L'homme était profondément patriote. Il s'est battu pour apporter un peu de bonheur à ce peuple qu'il a voulu servir du mieux qu'il pouvait. Je garde toujours en mémoire cette phrase qu'une dame m'a adressée pendant une escale à Douala : " Vous les Burkinabè, Sankara était mon idole. Vous l'avez assassiné. Je ne vous le pardonnerai jamais." Pour moi, ce témoignage est celui d'une Afrique déçue par ses fils. On ne reconnaît la valeur des héros qu'après leur mort. Sankara était un grand homme. C'est pourquoi 20 ans après sa mort, il continue de faire peur. Il a été fait héros national, mais l'on redoute sa mémoire. Or, les héros sont faits pour être célébrés en tant qu'exemples pour la postérité. Il avait pourtant prévenu ses bourreaux : " on ne tue pas les idées !" Consciemment ou non, Blaise Compaoré s'est enfermé dans un piège. Les Burkinabè avec !

Par Germain B. Nama

L’Evénement spécial 15-Octobre



23/10/2007
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