L’inspiration, cette maîtresse volage !
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L’inspiration, cette maîtresse volage !
S’il est un fait commun à tous ceux qui s’adonnent à l’écriture, de l’épistolier occasionnel à l’écrivain confirmé, du jeune doctorant au vieux journaliste, c’est la hantise de la feuille blanche. Ce moment où le stylo se fige parce que les idées ont déserté la tête, cet instant où l’inspiration s’absente et vous laisse devant «la blancheur de la page que l’azur défend». L’inspiration est inconstante, généreuse avec certains écrivains, chiche avec d’autres. L’histoire de la littérature est ainsi un chassé-croisé avec cette Dame difficile à dompter.
L’inspiration, c’est la fugace illumination qui transperce la nuit du créateur et jette une lumière crue sur son ouvrage pour lui permettre de mieux l’ordonner ou cet état de grâce qui habite un artiste toute une vie et fait de tout ce qu’il écrit un chef-d’œuvre. C’est pourquoi avons-nous des créateurs épisodiques ou accidentels accouchant d’une ou de deux œuvres, et ceux qui sont des génies-nés réussissant toutes leurs créations.
Arthur Rimbaud, qui a écrit la meilleure poésie de son temps, fut un météore dans le ciel poétique parce que sa grâce ne dura que le temps de l’adolescence. Son inspiration tarit avec la mue de son corps en adulte ; vide de toute création à vingt ans, il se fera marchand d’armes et d’esclaves à Harar, dans la Corne de l’Afrique. Quant à Victor Hugo, la grâce débutera avec le concours de poésie gagné à dix ans, se poursuivra avec les succès en poésie, en roman et au théâtre. Pendant plus d’un demi-siècle, il touchera à tous les genres littéraires avec un égal succès. Pourquoi Hugo et pas Rimbaud ? Mystère. Les voies de l’inspiration sont impénétrables.
Mais les rapports que les écrivains entretiennent avec cette capricieuse sont variés.
Il y a des écrivains qui ont besoin d’une inspiration continue et intense pour créer. Franz Kafka, par exemple, écrivait ses œuvres d’un trait lorsqu’il était inspiré. «La métamorphose» et «Le procès» furent écrits sans rupture. Il semblerait que toutes les œuvres ayant été interrompues en cours d’écriture n’ont jamais été achevées par ce phénomène des Lettres. Notre plus grand poète aussi, Pacéré Titinga, aurait commis «Du lait pour une tombe» en une nuit ! Mais passons, parce que Pacéré n’est pas un homme ordinaire. Il vient de publier quatre recueils de poèmes en même temps! C’est un surhomme, notre immense Pacéré Titinga !
Il y a aussi ceux qui ne sont inspirés qu’une fois et qui s’en accommodent bien. Cheick Hamidou Kane donne avec son premier roman «L’aventure ambiguë», un chef-d’œuvre unique dans la littérature noire africaine. Deux décennies plus tard, il publie «Les gardiens du temple» mais l’inspiration lui avait fait faux bond. L’accueil réservé à ce roman fut mitigé. Ahmadou Kourouma, lui, révolutionne le roman africain avec le très inspiré «Soleils des indépendances». Succès immense qui condamne le romancier à récrire des avatars de ce premier roman. Il ne l’a ni dépassé ni même égalé avec les œuvres ultérieures.
Il y a une autre catégorie d’écrivains plus pragmatiques. Ceux-ci, sachant l’inspiration capricieuse, la subordonnent au labeur. «L’œuvre, disent-ils, c’est dix pour cent d’inspiration et quatre-vingt pour cent de transpiration». Ainsi se mettent-ils à l’ouvrage chaque jour espérant la «Visitation» de cette inspiration. Sont de ceux-là, Alexandre Dumas, Honoré de Balzac, Emile Zola et Henri Troyat ; ce dernier se définissait comme «un homme d’ombre, de travail et de solitude». Ils sont tous des hommes robustes, bâtis tout en force, véritables bourreaux de travail et publiant promptement œuvre sur œuvre où le sublime côtoie le navet.
Pour bénéficier des faveurs de l’inspiration, les artistes usent de maints artifices. Certains croient la trouver dans les nuages du haschich roulé en barreau de chaise qu’ils fument à la barbe de la loi. Croyant que la perte de la lucidité peut les conduire dans le royaume des Muses. Baudelaire et les surréalistes ont contribué à bâtir ce mythe.
D’autres se vautrent dans le stupre, convaincus que c’est au cœur du vice, de la gadoue et du sexe, dans la part la plus sombre de l’homme que se niche cette catin.
A l’opposé, il y a ceux pour qui l’inspiration est d’origine divine, elle est «enthousiaste». Ils la quêtent dans la pureté, l’ascèse, la méditation et la solitude. Ils frayent leur itinéraire sur cette route difficile et escarpée, espérant être les médiums en qui l’Esprit soufflera. Amélie Nothomb, la jeune romancière belge, recherche l’inspiration dans une austérité extrême, justifiant cet ascétisme ainsi : «Quand on écrit, il faut se priver de beauté afin de se sentir obligé d’en imaginer».
Mais bien malin qui saura dire ceux qui rencontreront l’inspiration.
Cependant, il y a sous nos cieux une nouvelle race d’écrivains qui se rient de l’inspiration. D’elle, ils n’ont que faire. Elle s’inviterait dans leur imaginaire qu’ils la chasseraient comme une malpropre. Ils gribouillent quelques historiettes à la hâte, prennent un crédit bancaire pour imprimer à compte d’auteurs cinquante ou cent exemplaires de leur rédaction et passent à l’émission «Parenthèses» de Tamboula pour se faire adouber et éventuellement reconnaître de quelques fidèles téléspectateurs dans les ruelles de Ouagadougou.
Même les plumitifs de moindre envergure comme les journalistes, ceux qui pondent un ou deux feuillets par jour ou à la semaine connaissent aussi les affres et les pannes de l’écriture. Bien sûr, on ne leur demande pas un chef-d’œuvre, la vie leur fournit la matière à profusion, et on leur réclame une juste relation des faits… mais ils peuvent sécher sur l’angle d’attaque. Frappé de stérilité devant la feuille et astreint de remettre un papier au journal, le journaliste se frappe la tête espérant sortir la bonne idée, s’arrache les cheveux de rage impuissante, sue à grosses gouttes dans la fraîcheur de la nuit tout en mâchouillant le stylo pendant des heures. Le matin, il rendra son papier. Guilleret si l’inspiration lui est venue tard dans la nuit ou amer et priant que les rotatives se grippent ce jour-là.
Chaque mercredi, nous achetons notre chou préféré pour lire une certaine rubrique rédigée dans un style bien enlevé et une acuité dans l’analyse…Le jour où nous tombons sur une inflation de citations et des allusions philosophiques absconses, nous savons que notre analyste a connu «ces moments cruels où le fil casse, où la bobine se dévide». Nous devinons qu’il a espéré jusqu’aux premières lueurs de l’aube la visite de l’inspiration et elle n’est pas venue. Elle s’est sûrement oubliée dans les bras d’un autre, cette maîtresse scélérate.
Barry Alceny Saïdou
L’Observateur Paalga du 16 août 2007
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