L'Heure du Temps (Blog d'Information sur le Burkina Faso)

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Le "chroniqueur fou" au secours de la recherche scientifique

Débat

 

Le "chroniqueur fou" au secours de la recherche scientifique

 

La vulgarisation des résultats des chercheurs linguistes burkinabè est d'actualité et retient l'attention particulière des scientifiques.

Le débat sur la question a, certes, été ouvert dans les colonnes d'un confrère, mais nous les relayons en raison de son intérêt national, sous la plume du Pr Basile L. Guissou, délégué général du CNRST.

 

Introduction : la vulgarisation des résultats de la recherche reste posée.

 

Le n°3959 du vendredi-dimanche, du 21 au 30 septembre 2007 du quotidien «Le Pays», dans sa rubrique «La chronique du fou» (page 31) a très pertinemment et profondément plaidé la cause de l'alphabétisation totale des Burkinabè dans nos langues nationales.

Presque tous les arguments fallacieux des faux experts qui nous embrouillent inutilement les esprits depuis des décennies ont été relevés et réfutés scientifiquement comme il se doit. Les autorités politiques ont été soutenues et encouragées pour avoir osé aller jusqu'au bout et «faire de nos langues nationales la pierre angulaire de l'alphabétisation. Nos langues nationales doivent constituer le levier de notre développement, car dans l'histoire de l'humanité, aucun peuple ne s'est véritablement épanoui avec la langue d'un autre. Alors, pourquoi ce qui n'a jamais été faisable ailleurs le serait chez nous, en Afrique ?»

En tous cas, ce n'est pas le professeur Gérard Kédrébéogo, Maître de recherche en linguistique, le «vrai papa» des langues nationales au Burkina, qui a élaboré la seule et unique carte linguistique nationale en Afrique de l'Ouest depuis 1981, et qui se bat pour l'utilisation officielle de nos langues nationales, qui va répondre négativement à cette question centrale, névralgique et fondamentale de toute la stratégie nationale pour l'éradication de l'analphabétisme et la scolarisation à 100 % de tous les enfants burkinabé grâce aux «secrets ancestraux» de nos langues nationales.

Le «fou» chroniqueur est un savant «fou», et nous allons montrer en quoi il a apporté une contribution salutaire à la vulgarisation des résultats de recherche de nos chercheurs linguistes depuis plus de vingt cinq (25) ans.

 

1. «Eduquer ou périr (1)»

Notre premier savant national, le professeur Joseph Ki-Zerbo, toute sa vie durant, n'a pas cessé de répéter que nous devons radicalement transformer notre système éducatif, en nous appuyant, sans peur, sans hésitations sur ce que nous avons de plus solide et de plus sûr comme «socle» et «levier» culturel, c'est-à-dire nos langues nationales. II a toujours lié l'éradication de l'analphabétisme à la refondation nécessaire de l'école exclusivement basée sur nos langues nationales. Pour «couper la poire en deux», certains de ses disciples, peu convaincus, ont opté pour «l'école bilingue», qui reste à mes yeux une «demi-solution», mais un double problème à long terme.

«L'école bilingue», selon une enseignante qui s'est expliquée, à l'écran de notre télévision nationale, il y a quelques mois (2007), vise à commencer l'école avec les enfants dans leurs langues maternelles et après quatre (4) années, et (je cite de mémoire), «ensuite il faut introduire le français parce que nos langues nationales sont incapables de traduire certaines notions !». C'était à la Télévision nationale du Burkina et je ne suis pas seul à l'avoir écoutée. C'est proprement scandaleux de la part d'une pédagogue qui a au moins l'honnêteté et la franchise d'exprimer son mépris pour sa propre identité culturelle qui n'est nulle part ailleurs que dans sa langue nationale. Et la question que je me suis posée a été de savoir quel est donc l'impact réel des résultats de nos chercheurs en sciences sociales dans les esprits de ceux qui parlent, lisent et écrivent en français.

C'est triste de constater qu'un Institut national de recherches en sciences des sociétés existe depuis 1969 sous le nom de Centre voltaïque de la recherche scientifique (C.V.R.S.), qu'il a un département de «linguistique et langues nationales» et un département «sciences de l'éducation», que les chercheurs cherchent, trouvent, publient sans que cela change les esprits dans les préjugés négatifs sur nous-mêmes. N'importe quelle langue peut servir à enseigner n'importe quelle notion, si on le décide et si on donne aux linguistes les moyens de travailler scientifiquement sur la langue en question et la mettre au niveau scientifique voulu.

Sans être linguiste, je comprends lorsque notre «Ki-Zerbo national» écrit (p.19/20) que : «L'Afrique, on l'oublie très souvent, a été le premier continent dans l'histoire où l'alphabétisation et la scolarisation furent mises en œuvre. Des milliers d'années avant que ne fussent inventées les lettres grecques alpha et beta qui sont les racines du mot alphabétisation, et le mot latin schola qui a donné scolarisation. Les scribes de l'Egypte antique ont écrit, lu, compté, géré, philosophé, ausculté l'au-delà et l'absolu en se servant du papyrus, premier support de l'écriture... jusqu'au XVIIe siècle. Cette tradition s'est perpétuée dans de nombreux pays africains... Tombouctou était plus scolarisé au XIVe siècle que bien de métropoles médiévales d'Europe...

A partir du XVIIe siècle, pour des raisons liées aux bouleversements internes et aux invasions et agressions dont la plus grave fut sans doute la Traite des Noirs, le système éducatif fondé sur l'école sera presque détruit... parmi les esclaves expédiés aux Amériques, il y eut d'ailleurs des Africains scolarisés». Où était la langue française ? Nulle part avant la colonisation. Vraiment, il nous faut nous «éduquer ou périr» !

Le « fou» dans sa chronique du vendredi 21 septembre fait même mieux que moi, puisqu'il recense les langues internationales et africaines (haoussa, fulfuldé) utilisées dans le commerce transsaharien dans la période précoloniale et jusqu'à nos jours.

Les réformes en cours dans notre pays, à l'école (apprentissage de l'écriture en langues nationales) et dans les villages (alphabétisation) ne doivent en aucune façon déboucher sur l'échec à cause des «demi-mesures» et des complexes sur des «langues inférieures» comme le samo! Non! Nos enfants ne doivent pas être complexés avant l'âge de 16 ans comme le veut la réforme. Et pour qu'ils restent eux-mêmes et fiers de l'être, ils doivent avoir été éduqués dans nos langues nationales. Ceux qui le voudront pourront apprendre l'anglais, l'arabe, le chinois ou le français, qui sont toutes des langues à leur portée après 16 ans !

Le «fou» menace les «ennemis d'une alphabétisation réussie», et bizarrement, il cible les partis politiques! Il faut constater au moins leur mutisme face à cette campagne contre l'analphabétisme, eux qui, bénéficient des fonds publics pour participer à «l'animation de la vie politique, à l'information et à l'éducation du peuple ainsi qu'à l'expression du suffrage» (cf. Article 13 de la Constitution. SGG-CM octobre 1997. p.9).

Les partis politiques devraient logiquement se mobiliser et mobiliser les masses en faveur de l'éducation pour tous les enfants (100 %) et l'alphabétisation de tous les Burkinabé. Tout comme les fonctionnaires de l'Etat (les chercheurs y compris), les partis sont payés pour servir le peuple et le pays, quel que soit le régime politique ou le parti au pouvoir.

 

II. Le Burkina Faso dans la mondialisation

 

«Le fou» soutient les mesures gouvernementales rendant l'école obligatoire de 6 à 16 ans pour tous les enfants burkinabé ; il écrit que cela «participe de la volonté de l'Etat de combattre l'ignorance. En quoi les nouvelles technologies de l'information et de la communication peuvent-elles être utiles au Burkina dans sa croisade contre l'analphabétisme ? Aujourd'hui, dans les campagnes les plus reculées du Burkina,... on trouve un portable. Il revient aux techniciens de créer des logiciels qui prennent en compte les besoins de tous ces utilisateurs...». C'est bien dit et encore une fois, c'est la vulgarisation des résultats de la recherche qui est posée. Il y a 14 millions de consommateurs potentiels sur le marché du savoir et des nouvelles technologies au Faso. Ils sont accessibles et ils cherchent le savoir pour progresser et se développer comme tous les autres, à partir de leurs propres forces, dans leur environnement socioculturel, en symbiose avec leurs réalités.

Et encore une fois, il se pose le problème de la langue de diffusion des savoirs. Alors que la France elle-même (mondialisation oblige) abandonne sa langue au profit de l'anglais (première langue des NTIG), il y a des Burkinabé bien ou mal instruits qui continuent de ne jurer que par et pour le français.

Dans sa rubrique, «courrier des lecteurs», le «Monde diplomatique» n°642 du mois de septembre 2007 publie les remarques de M. Georges Henri Clopeau sur un article de Bernard Cassen «Contre le tout «anglais»...». Il écrit : «...L'on vient d'instituer l'enseignement de l'anglais comme première langue étrangère et ce, dès l'école primaire. Dans quelques années, tous les européens auront assez d'anglais pour boire les publicités et comprendre les ordres ; il n'y aura plus que quelques attardés encore amoureux de notre langue pour protester. Cette politique linguistique est un volet essentiel de la politique économique» (souligné par nous).

Que ceux qui peuvent comprennent que la «guerre de la langue de l'école» est une «guerre économique», essentielle. Ce n'est que par nos langues nationales qui ne sont toujours pas nos langues officielles, que l'école cessera d'être une école française pour être l'école burkinabé. Et la langue étrangère qui va accélérer notre insertion dans la mondialisation ne peut plus être la langue française, mais l'anglais et cela dès l'école primaire comme en France, s'il vous plaît !

Ça peut choquer, mais c'est cela la vérité ; lorsque nous lisons Monsieur Glopeau, qui, toujours dans «Le Monde Diplomatique» de ce mois de septembre 2007 insiste pour dire : «Comme le proclamait Mme M. Tatcher en juillet 2000 : «au XXle siècle, le pouvoir dominant est l'Amérique, le langage dominant est l'anglais, le modèle économique dominant est le capitalisme anglo-saxon». Pour cela, il est essentiel de créer, par une plus ou moins bonne maîtrise de la langue, une hiérarchie à laquelle tout le monde veuille accéder (et au sommet de laquelle on trouvera une grande majorité d'anglophones «de naissance»). Avec deux effets secondaires extrêmement graves :

1) le rapport Grin (2) a établi que cette politique linguistique entraîne un transfert d'environ 17 millions d'euros par an de l'Europe continentale vers les pays anglophones.

2) «l'enseignement de l'anglais dans nos écoles... contribue à déstabiliser un peu plus l'école publique...».

C'est un Français de France qui parle, ce n'est pas moi. Il montre ce que notre politique linguistique officielle (tout en français) peut nous coûter économiquement ; si seulement on écoutait et on prenait en compte les avis de nos meilleurs chercheurs comme c'est le cas en France avec le «rapport GRIN» intitulé «l'enseignement des langues étrangères comme politique publique» commandé par le Haut Conseil d'évaluation de l'école en septembre 2006.

 

Conclusion : notre Nation  est dans nos langues.

 

Sans langues nationales, il n'y a pas de Nation à construire. C'est la langue nationale qui porte la culture nationale. Joseph Staline (3) reste le plus pertinent des théoriciens de la question nationale. Il définit la nation comme suit : «La Nation est une communauté humaine stable, historiquement constituée, née sur la base d'une communauté de langue, de territoire, de vie économique et de formatjon psychique, qui se traduit par une communauté de culture». 

Ceux qui théorisent sur l'inexistence de la Nation au Burkina doivent pouvoir en trouver l'explication scientifique ailleurs que dans les «idées reçues», venues du dehors de nos sociétés et baptisées de «scientifiques». On disserte dans le vide sur les ethnies, les tribus et la multitude des langues pour conclure que l'Etat moderne a précédé la Nation. Rien n'est plus faux. C'est «l'Etat importé» qui ignore la Nation où il veut commander et administrer dans une langue que seuls 113.335 Burkinabé (01,09%) maîtrisent avec un niveau égal ou supérieur au niveau B.E.P.C., malgré le fait que 54% du volume horaire des cours à l'école primaire soient consacrés à l'apprentissage exclusif de la langue française.

Si ces 54% du volume horaire des cours allaient aux mathématiques ou à l'informatique, combien de génies aurions-nous dans dix (10) ou quinze (15) ans ?

Selon Ki-Zerbo (4) : «Plus de 50% des élèves échouent au certificat de fin d'Etudes primaires au Burkina Faso de 1976 à 1988». Dans son langage ironique dont il a seul le secret, il commente ainsi ; «aucune usine ne fonctionnerait à ce coût de production ou plutôt de gaspillage» (op cité p. 63/64).

Notre Constitution consacre la langue française comme l'UNIQUE langue officielle. Aucun juriste ne proteste. Aucune des multiples ONG ou Associations de Défense des Droits de l'homme, à la notable exception de l'AREDA, n'élève la voix pour exiger que les enfants burkinabé aient le droit d'apprendre dans leurs langues maternelles comme tous les autres enfants du monde. Le monopole exclusif de la langue française au Burkina contribue incontestablement à étouffer nos langues nationales et à les tuer avec la Nation burkinabé qui ne peut pas exister en dehors de nos langues et des secrets identitaires de chacune d'elles. Chaque langue nationale est une «Central intelligence agency» (C.I.A.) en miniature et chacune des 59 langues nationales recensées par l'INSS/CNRST depuis 1981 est porteuse de ses secrets» que «l'Etat importé de France» continue d'ignorer royalement.

Jusqu'à quand ? Comme le dit Joseph Ki-Zerbo (5), «la société globale coloniale s'est tirée en laissant derrière elle son école comme une bombe à retardement qui n'a  été désamorcée et adaptée en fusée porteuse d'une société nouvelle». Même la Révolution démocratique et populaire (1983/87), réputée n'avoir reculé devant aucune «audace suicidaire», n'a pas osé révolutionner l'école néocoloniale dans son contenu et dans sa forme ! Et la bombe dont parle Joseph Ki-Zerbo reste encore aujourd'hui en 2007 non désamorcée. Heureusement que le rapport des forces concret reste en faveur de nos langues nationales, obligeant hommes politiques en campagne électorale, fonctionnaires et surtout les instituteurs à devoir y recourir pour se faire comprendre par les masses. Les radios F.M. et les journaux en langues nationales contribuent à défendre la construction de la Nation par les langues nationales.

Sinon, une interprétation restrictive et sectaire de notre Constitution peut conduire à l'arrestation de quiconque va parler mooré, dioula ou fulfuldé dans un commissariat de Police ou devant un juge. C'est un acte «anticonstitutionnel» puisque seule la langue française est la langue officielle «burkinabé» reconnue par la Constitution du Faso !

Heureusement que la majorité ignore tout des dispositions constitutionnelles, ignorante qu'elle est de la langue française et de ses subtilités juridiques. Les juristes constitutionnalistes burkinabé ont encore du chemin pour se faire nationaliser parfaitement ! Sans pouvoir «dire le droit» dans nos langues nationales, ce sera carrément impossible.

Mais, concernant la Nation, les langues nationales, l'école et l'alphabétisation, il n'y a pas que les juristes nationaux qui sont interpellés, mais toute l'élite, toute «la tête pensante» de l'appareil d'Etat postcolonial. Juste pour l'exemple, disons que la Nation doit pouvoir s'affirmer au moins par la langue (l'italien (langue) a forgé la Nation italienne) et au moins par la Monnaie qui est le thermomètre de l'économie, l'instrument de mesure de ses forces et de ses faiblesses. Un pays comme le Burkina ne possède officiellement ni l'une ni l'autre. Nos langues ont la valeur et la force que l'Etat leur donne, exactement comme la Monnaie et son pouvoir d'achat qui se valorise avec la hausse de son cours. Nos langues sont «pauvres» parce que nous refusons officiellement de les enrichir par leur valorisation dans la vie officielle. Sans plus.

Question aux économistes : «Avec quoi peut-on mesurer et évaluer l'économie du Burkina ?»

C'est une façon de dire que la question nationale englobe plus que l'alphabétisation universelle, l'école burkinabé et ouvre sur la construction d'une économie nationale indépendante. Au moins, ici et maintenant, au Burkina Faso, on a la liberté pour engager le débat d'idées dans le contexte libéral de la mondialisation.

 

Pr Basile L. Guissou

Délégué général du CNRST

L’Observateur Paalga du 3 octobre 2007

 

 

Notes :

 

1 Ki-Zerbo, J. 1996. "Eduquer ou Périr". Unesco-Unicef. L'Harmattan Paris (France) 120 pages.

2. Staline, J.  1953. "Le marxisme et la question nationale et coloniale". Paris : Edts sociales.

3. Badié, B. 1993. "L'Etat importé. L'occidentalisation de l'ordre politique".

4. Ki-Zerbo, J. 1990. "Eduquer ou Périr". UNICEF/UNESCO. Edts l'Harmattan Paris.

5. Ki-Zerbo, J. 1990. "Eduquer ou Périr". UNICEF/UNESCO. Edts l'Harmattan Paris.



03/10/2007
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