L'Heure du Temps (Blog d'Information sur le Burkina Faso)

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Les quotas : Une prime à la médiocrité féminine ou véritable enjeu démocratique ?

Quotas

Une prime à la médiocrité féminine ou véritable enjeu démocratique ?


Malgré les discours et les engagements pris, la politique de quotas reste jusque-là une vue de l'esprit au Burkina. Pour l'auteur des lignes suivantes, Lookman Sawadogo, les quotas sont loin d'être une prime à la médiocrité féminine. Bien au contraire !

 

La prise de conscience est plus que jamais effective quant au fait que la présence des femmes est indispensable et incontestable dans les processus de développement. La nécessité d’œuvrer à les inclure dans les instances de prise de décisions est, partant, incontournable aujourd’hui. Le projet de loi sur les quotas en faveur de la participation politique des femmes, qui attend d’être soumis à adoption par l’Assemblée nationale, apparaît comme une avancée notable et fait penser que des progrès ont été réalisés, notamment en ce qui concerne la transformation positive des mentalités. Bien que les pesanteurs socioculturelles, confinant à la résistance et au conservatisme devant toute idée de changement, soient toujours réelles et vivaces. Cependant, malgré les importants acquis engrangés et le chemin parcouru, il reste que le débat sur le bien-fondé du principe des quotas est loin de s’épuiser. Certaines opinions demeurent hostiles et défavorables à la loi des 30% considérée, à tort ou à raison, comme une façon de promouvoir la médiocrité. Celles-ci persistent, en dépit des efforts de sensibilisation, à penser et à faire croire que c’est un parachutage programmé des femmes politiquement incompétentes au sommet. C’est donc le lieu de se poser la question de savoir si, effectivement d’une part, l’instauration des quotas peut conduire à la promotion d’un personnel politique féminin médiocre et, d’autre part, s’il est pertinent de corréler systématiquement quotas et qualité. En clair, existerait-il fondamentalement un lien de cause à effet entre quotas et médiocrité (si la médiocrité se considère comme la conséquence d’un déficit de qualité) ? Des interrogations tout aussi légitimes existent ici et là sur le sujet sous forme d’inquiétudes ou parfois de craintes. Cela nous paraît tout à fait normal au sens où de façon non négligeable les quotas tels qu’ils se présentent dans le principe sont porteurs d’une révolution féminine qui n’ira pas sans sérieusement bouleverser l’establishment politique. Le sentiment de phobie ou de peur bleue de certains se comprend ainsi donc aisément. Sauf que cela empêche de mieux apprécier tout l’intérêt qu’il y a derrière ces quotas, et entraîne les rejets et les blocages. La mauvaise compréhension du principe en lui-même passe, ce faisant, pour l’obstacle majeur du moment. D’où la nécessité d’insister par un éclairage du principe afin d’évacuer des esprits les mauvais sentiments conscients ou inconscients.

 

But ultime des quotas

 

D’emblée, il faudrait dire que les quotas s’entendent, universellement, comme une mesure arbitraire et rectificative qui est transitoire et temporaire visant à amener une représentation équitable, voire acceptable, des sexes dans les instances électives et décisionnelles lorsque que l’un ou l’autre des sexes se trouve marginalisé. Ils ne sont pas, a priori, destinés exclusivement à la femme ou à l’homme. Leur but fondamental est d’obtenir une capacité d’influence réciproque des sexes dans les processus de prises de décisions par l’augmentation de la représentativité de la sensibilité en infériorité (numérique) au sein d’une ou de plusieurs sphères publiques. Egalement, ils ne supposent aucunement l’existence d’un taux conventionnel qui soit imposable de façon standard en tout lieu. Bien que l’estimation des Nations unies situe, à au moins 40%, la présence d’une sensibilité (femme ou homme) indispensable pour constituer une masse critique nécessaire à influencer des décisions au sein d’une instance donnée. Chaque pays se fixe un pourcentage en fonction des réalités et de la nature du problème de sous-représentation. Ce qui explique les variations de taux d’un pays à l’autre. De nombreux pays au monde ont expérimenté les quotas et les résultats sont éloquents : le Rwanda, la Suède, la Norvège, le Maroc, l’Afrique du Sud, le Japon, les Pays-Bas, le Niger, etc. Pour convaincre, on pourrait retenir ceci : le Niger qui a instauré un quota de 10% a vu le taux des femmes élus passer de 1,2% à 12% à l’issue des législatives de 2004. Une radicale amélioration. Au Rwanda, avec un quota de 30%, ce taux a atteint 48,8% à ce jour. En Norvège, l’on est allé plus loin en adoptant une législation qui assure une représentation de 40% de femmes dans les conseils d’administration des secteurs privés et publics. De ce qui précède, on peut tirer une conclusion qui est que le but ultime des quotas est la quantification. Sous un autre angle, il faudrait également retenir que les quotas sont fortement tributaires du contexte. Aussi bien culturel, politique qu'économique. Ces différents paramètres jouent dans la délimitation de ses contours et contribuent à fournir ses caractéristiques essentielles. Par exemple, le sexe au profit duquel le combat se mène ou le taux que les acteurs acceptent de se fixer. Contrairement à l’état des choses au Burkina ou un peu partout ailleurs faisant que les quotas sont utilisés au profit des femmes, il aurait été possible que ce soit plutôt les hommes qui en soient les bénéficiaires. En effet, s’il se trouvait quelque part que la femme était en situation de domination par rapport à l’homme, la recherche de l’équilibre aurait, ipso facto, changé de camp pour viser la promotion des hommes. Des exemples pratiques n’existent pas qui puissent être cités en la matière. Cependant, la perspective reste pertinente et ne serait d’aucun inconvénient. En somme, retenons que le principe qui sous-tend les quotas est celui d’empêcher que dans une instance donnée (comme par exemple à l’Assemblée nationale) l’homme, ou la femme soit numériquement et exponentiellement supérieur à l’autre. Ceci pour éviter que la présence en nombre trop écrasant de l’un des sexes réduit à la faiblesse voire ne conduise à une sorte d’assujettissement-anéantissement de l’autre. Cela dit, on peut, sans risque de se tromper, affirmer que les quotas ne sont pas exclusivement attachés à un seul sexe, encore moins à la femme. C’est le contexte qui en détermine le sexe, pour ainsi dire. Et c’est pour cette raison qu’ils ne devraient pas être perçus comme une faveur faite aux femmes mais bien plus comme une exigence de la démocratie, de la citoyenneté moderne et du développement. Quand bien même ce sont les femmes qui sont à l’avant-poste de la lutte, toute transposition sur ce terrain du séculaire problème de la dualité homme-femme serait une grave dérive, voire un abîme. Et si nous revenons à la réalité du Burkina, il est clair que le taux de 30% requis au profit des femmes vise, de ce fait, à empêcher que les hommes ne soient désormais représentés au-delà de 70% au sein des sphères décisionnelles comme c’est le cas. L’unique objectif visé est d’accroître le nombre de femmes, aussi bien dans le gouvernement, à l’Assemblée nationale, dans les institutions que les conseils municipaux et régionaux. Il serait aussi utile de rappeler que ces quotas au profit des femmes (nos mères, nos épouses, nos soeurs, nos filles, etc.) qui sont loin de représenter un simple "machin" de quelques anticonformistes ou de simples gens illuminés, sont plutôt le résultat d’un large consensus des différentes sensibilités sociopolitiques. Ils ne seraient d’ailleurs pas apparus comme nécessité si la femme burkinabè ne se trouvait pas dans un état de mise en marge sociopolitique nonobstant son importance démographique (soit 52%) ou encore les idéaux de justice sociale et d’égalité des chances garanties par la Constitution. Les statistiques dans tous les domaines de la vie publique nationale aident à confirmer cet état de fait. Ainsi, l’on retrouve seulement 5 femmes ministres contre 29 hommes ; 20 femmes maires contre 339 hommes ; 3 femmes hauts-commissaires contre 42 hommes, 17 femmes députés contre 94 hommes, 5 femmes secrétaires générales des provinces contre 40 hommes, etc.

 

Pas de justice sociale ni de développement véritable sans la femme

 

Au regard du fossé qui sépare l’homme et la femme dans la participation à la gestion publique, cela nous amène à divers questionnements quant à la réalité des droits humains, du développement et de la démocratie au Burkina Faso, étant donné que 52% de la population, soit la majorité, se retrouve pratiquement exclue de la prise des décisions. Dans le fond, peut-on dire que notre démocratie respecte intégralement le sacro-saint principe de la majorité ? Tout cela mis ensemble, est-il possible de se considérer dans une société (1) pluraliste de progrès débarrassée de tout préjugé, prohibant la domination quelle qu’elle soit et attachée à la déclaration universelle des droits de l’Homme et des peuples de 1948 ainsi qu’aux instruments internationaux relatifs aux problèmes économiques, politiques, sociaux et culturels ? L’adoption de la loi sur les quotas demeure nécessaire pour réellement satisfaire non seulement aux idéaux démocratiques, mais aussi pour asseoir un développement humain durable. Le débat latent sur la constitutionnalité d’une telle loi qui est à venir pourrait-il faire abstraction de cet aspect de la question ou de celui de la primauté entre les textes juridiques internationaux et nationaux ? Quoi qu’il advienne, le genre reste une préoccupation qu’on ne saurait ignorer. En tout cas, pas en ce qui concerne les femmes. Car, sans les femmes, pas de justice sociale ni de développement véritable. En ce sens, l’on gagnerait utilement à faire évoluer au plus vite les postures défavorables. Car, la désapprobation de l’idée de promotion politique de la femme, la quasi-aversion pour les quotas ou le dénigrement pur et simple de ceux qui militent en leur faveur constituent des obstacles majeurs à la réalisation effective de tout ce qui peut concourir à cette amélioration de la participation politique de la femme burkinabè.

 

Pas de lien de cause à effet mécanique entre quotas et médiocrité

 

Il reste entendu que de nombreuses tares sociologiques existent et sont connues de notre environnement aux plans religieux, traditionnel et coutumier. Ces dernières ont certainement contribué à confiner la femme depuis la nuit des temps dans l’arriération sociale, et hypothéqué son évolution à tout point de vue. Toutefois, il reste curieux que la pratique politique, à ce jour, qui est devenue l’oeuvre des intellectuels modernes, peine à se défaire de certains schémas, aujourd’hui sujets à caution, d’organisation de la société et donne l’impression de vouloir perpétuer l’ordre ancien. Aussi, les thèses comme la rareté des compétences ou celle de la médiocrité concernant les femmes, n’apparaissent-elles plus que comme injustes à plus d’un égard et ne sont, en dernier ressort aux yeux de la plupart, que comme des paravents usités pour masquer un certain désir de faire échec au processus de légitimation du droit des femmes d’aspirer à la profession politique. Il existe autant de compétences féminines. Affirmer le contraire est inexact. Et même si on suppose que cela est vrai, peut –on seulement affirmer que le personnel politique masculin ne regorge que d’hommes compétents ? Les quotas cristallisent cette noble revendication morale en même temps qu’ils en sont la matérialisation légale. Comme bon nombre commence à y croire, l’hostilité envers les quotas semble résulter de la hantise de ceux pour qui la politique est une chasse-gardée. Ceux-là qui auraient obtenu complaisamment leur place. Toute chose faisant, dès lors, que les acquis et les privilèges apparaissent naturellement comme menacés. On peut créditer ou réfuter la façon d’expliquer les choses. Peu importe. Mais ce qui est à craindre est que les citoyens n’en viennent, las d’attendre le changement, à accorder finalement un crédit supplémentaire à ce sempiternel réquisitoire dressé contre la politique. A savoir qu’elle aurait perdu son sens réel de sorte que sous nos cieux les critères de sélection et de promotion sont le plus souvent fondés sur le clientélisme, la parenté ou le parrainage plutôt que sur le mérite. La considération des capacités intrinsèques et des compétences n’étant pas toujours effective. En tous les cas, certains faits peuvent, a priori, laisser supposer que le système de sélection du personnel politique burkinabè procède, non pas par une référence aux valeurs, mais bien plus, par des considérations bas de gamme. Les frustrations mal contenues et les guéguerres devenues récurrentes sur la place publique au moment du choix des candidats aux différents scrutins en disent long. C’est pourquoi on peut s’interroger s’il est réellement pertinent de poser le problème des quotas en termes de qualité et de médiocrité. Ce n’est point évident. Par conséquent, l’opposition des principes de la qualité (dont le corollaire est la médiocrité) et de la quantité se révèle tout simplement saugrenue et, donc, réfutable. Puisque, tel que précisé plus haut, les quotas visent à faire augmenter le nombre de femmes dans les sphères de décisions et aurait donc pour caractéristique primordiale la quantification. Toute chose qui révèle élégamment que ce qui est recherché de facto, c’est la quantité. La qualité étant chose secondaire qui peut s’apprécier comme un principe « en soi » qui demeure consubstantiel au fait de la sélection. Que ce soit de manière consciente ou inconsciente, la qualité reste une quête perpétuelle de tous les temps. Ceci dit, à l’analyse, les partis politiques en tant qu’appareils de sélection du personnel politique sont censés avoir toujours intégré la valeur qualité dans le choix et la promotion des individus. Partant de là, vouloir instaurer vaille que vaille une relation stricto sensu de cause à effet entre quotas et médiocrité en prenant prétexte d’un souci de compétence et de qualité est, à la limite, hasardeux et risqué. Autrement dit, ce serait cautionner par là même ce que pensent en mal le commun des mortels de la pratique politique. Grosso modo, on peut déduire qu’il ne pourrait y avoir de lien causal, mécanique entre les quotas et la qualité. Tout comme il ne pourrait non plus en exister entre quotas et médiocrité. Qui plus est, les quotas n’imposent aucune conditionnalité et leur instauration n’enlèvera pas aux partis politiques leur souveraineté quant au choix des personnes qu’ils désirent selon leur appréciation. Il serait donc impertinent et mal à propos de tenter d’ériger d’un coté la qualité comme valeur absolue des quotas et de l'autre côté la médiocrité comme leur anti-thèse. L’on devrait faire l’effort de suivre l’exemple d’un certain nombre de pays qui, face à la problématique de l’exclusion politique des femmes, ont adopté cette mesure courageuse et prospère. Le Sénégal vient récemment de dépasser le stade des quotas en modifiant sa Constitution pour instaurer la parité homme-femme dans les instances électives. Les députés sénégalais ont ainsi voté à leur majorité moins une voix et deux abstentions. Quasiment un plébiscite. L’état des lieux au Burkina commande devant toute logique l’adoption d’une loi des quotas qui constituent par ailleurs et ce, jusqu’à preuve du contraire, l’alternative la mieux adaptée pour faire participer la femme au processus de prise de décisions. Ceci a comme avantage le fait que les pays ayant une représentativité record de femmes dans les instances décisionnelles y sont parvenus grâce aux quotas. Sans oublier la valeur ajoutée systématique qui en retombe en terme de développement. La question singulière de la médiocrité devrait se présenter désormais, non pas comme un épouvantail, mais plutôt comme un défi aussi bien pour les avant-gardistes des quotas, les femmes elles-mêmes que pour les partis politiques. Surtout pour ces derniers qui ont la mission de sélectionner des hommes et des femmes valables pour gérer les affaires de la cité. A cet effet, si la rigueur et le sérieux demeurent de mise, dans le processus de sélection, il s’avère presqu'impossible que les quotas puissent contribuer à la promotion de la médiocrité. En tout état de cause, si les quotas soulèvent autant de passion et font grandir le sentiment que la qualité doit primer dans le choix des futurs décideurs pour permettre d’avoir des personnes compétentes, ne faudrait-il pas, d'ores et déjà, s’enorgueillir ? Dans la mesure où dans un certain sens ce pourrait être des prémices d'une nouvelle ère démocratique dans laquelle les consciences seraient plus exigeantes qu’aiguës pour la méritocratie ?

 

Lookmann Sawadogo

sawadogolookmann@yahoo.fr

 

Le Pays du 30 janvier 2008



30/01/2008
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