L'Heure du Temps (Blog d'Information sur le Burkina Faso)

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Médicaments de la rue : Quelle posologie pour vaincre le mal ?

Médicaments de la rue

Quelle posologie pour vaincre le mal ?

 

Les médicaments vendus sur le marché informel sont nuisibles à la santé. Malgré les actions multiformes  menées contre ces produits, ils restent, pour diverses raisons, prisés par de nombreux Burkinabè. Pour décourager les consommateurs, un message publicitaire a été conçu en vue de susciter en eux la peur : "Les médicaments de la rue, ça tue". A ce slogan, les jeunes commerçants ont répliqué en ces termes : "Même l'eau tue", preuve, s'il en est besoin, que la vente de ces stupéfiants et substances toxiques ont de beaux jours devant eux, surtout dans un contexte de pauvreté ambiante.

Il est plus que urgent d'intensifier la lutte contre ce fléau. Cela nécessite des études pour cerner tous les contours du problème. Celle d'Hamado Saouadogo, pharmacien, qui l'a lui-même résumée dans cet article en est une.

Elle porte sur la perception et l'acceptation du risque de santé lié à l'utilisation des "médicaments" vendus sur le marché informel à Ouagadougou. L'auteur fait un diagnostic du phénomène et ouvre des perspectives de solutions.

 

Introduction

 

Le marché illicite des "médicaments" propose des produits pharmaceutiques licites, contrefaits et illicites, des stupéfiants et des substances chimiques toxiques non médicamenteuses aux publics de la ville de Ouagadougou. Il se développe dans les rues, les yaars, les grands et petits marchés de secteurs et dans les points de regroupements populaires de la ville. C'est un marché de proximité qui va vers le client avec des "produits médicamenteux" onéreux.

Au détour de ce marché, il y a une volonté de se faire de l'argent. Sa part financière dépassera les 20 % du marché pharmaceutique de Ouagadougou. C'est alors un système juteux qui accompagne le secteur informel avec des produits de qualité douteuse. Depuis la dévaluation du franc CFA, avec la privatisation du secteur de la santé du système de recouvrement des coûts des médicaments, suite aux actions du programme d'ajustement structurel et du Fonds monétaire international, les populations se sont rabattues à un marché clandestin qui était éphémère. De nos jours, l'influence de ce marché sur les systèmes de santé et la politique pharmaceutique poussent les professionnels du médicament à tirer la sonnette d'alarme. Du pharmacien en passant par les médecins, les grossistes répartiteurs et les chercheurs, le problème touche tout le secteur du médicament.

A l'université de Ouagadougou, sous la direction du professeur Guissou, les étudiants essaient d'évaluer les risques potentiels liés à l'utilisation de ces médicaments. L'une de ces études est utilisée ici pour analyser la perception et l'acceptation du risque de santé chez les consommateurs de ces produits à Ouagadougou.

 

I - Qu'est-ce qu'un risque de santé lié à l'utilisation des médicaments ?

 

• L'utilisation d'un médicament peut exposer à des dangers éventuels plus ou moins prévisibles. Ces dangers encourus sont divers et varient d'un médicament à l'autre et même d'un individu à l'autre. Le risque porte sur des effets indésirables et/ou toxiques du produit. Ces effets résultent de l'interaction moléculaire entre la substance chimique à propriété physico-chimique et l'organisme vivant qui développe des réactions biochimiques pour son fonctionnement [Guissou et al, 2000].

Ce risque est la probabilité d'apparition d'un danger après l'administration du produit. Il exprime le lien entre ce danger et une exposition. Le danger est un effet pathogène lié aux caractéristiques intrinsèques ou un effet sanitaire indésirables lié à la substance [Laure, 2003].

Un médicament contient un ou plusieurs principes actifs qui sont des substances chimiques. Chaque substance possède ses supports des risques qui peuvent être :

* sa structure chimique ;

* un support fonctionnel pharmacologique (pharmacophore) ;

* ses propriétés pharmaco-chimiques.

Quand une substance est introduite dans l'organisme, ce dernier utilise tous ses moyens endogènes disponibles afin d'assurer son élimination du corps. Il s'agit de la biotransformation qui rend les molécules hydrosolubles pour leur excrétion.

Le produit toxique, dangereux, est une substance active capable de provoquer des dommages à l'organisme de l'utilisateur. Le risque toxicologique en ce moment est "la probabilité que ces effets néfastes sur la santé humaine se produisent à la suite d'une exposition". L'OMS définit le risque de santé comme étant la "probabilité d'une issue sanitaire défavorable, ou facteur qui augmente cette probabilité" [OMS, 2002]. Une intoxication peut être aiguë ou chronique avec une remise en cause de l'état de santé globale du consommateur du produit à court ou à long terme. Alors, même quand un médicament est utilisé dans les conditions optimales, au terme d'une démarche clinique rigoureuse qui n'a négligé aucun des pièges dans lesquels conduit une prescription maladroite, irréfléchie, lourde et inadaptée, la probabilité d'un accident thérapeutique ne saurait être considérée comme nulle. L'imputabilité des médicaments n'est pas fonction de son temps d'existence.

Par exemple, l'encéphalopathie bismuthique n'a été identifiée qu'en 1974, alors que les sels de bismuth étaient utilisés en gastroentérites depuis le XIXe siècle [IRT, 2002]. C'est pourquoi, l'utilisation des médicaments illicites dans le marché informel pose un problème de santé publique. Elle remet en cause tous les efforts politiques, techniques et professionnels dans la lutte contre la maladie dans la ville aujourd'hui, demain et pour l'avenir.

 

II - Qu'entend-on par perception et acceptation du risque de santé ?

 

• La perception du risque est un processus par lequel, l'individu organise et interprète ses impressions sensorielles de façon à donner un sens à son environnement. C'est un processus grâce auquel, les sensations sont organisées en une représentation intérieure du monde [Zayed, 2006]. Pour que les populations puissent percevoir les risques liés à l'utilisation des médicaments du marché informel et illicite, il faudra qu'elles aient l'opportunité de l'apprécier. Mais, des facteurs extérieurs jouent un rôle important et influencent le niveau d'appréciation du risque. Il s'agit, entre autres, des habitudes coutumières et traditionnelles, qui avaient ses principes propres de distribution, de dispensation et de diffusion des méthodes de traitement et d'utilisation des produits. Il y a aussi l'influence économique avec la pauvreté, la misère, l'exclusion sociale et la famine qui ne donnent pas un choix à la personne malade. Elle se contentera toujours de ce qui est à sa portée. Le marché informel va vers les populations, leur tend les produits. L'ignorance, l'analphabétisme et l'insuffisance de la sensibilisation constituent des facteurs influents de l'acceptation et la perception du risque de santé au cours de l'utilisation des médicaments du marché informel.

Par exemple, nous choisissons de prendre la route malgré le risque de faire un accident mortel. Ce risque encouru est accepté, perçu et connu.  Nous acceptons aussi de prendre l'avion pour rejoindre une autre ville plus loin malgré le risque d'accident. C'est aussi un risque connu, accepté et perçu. Nous prenons souvent des décisions tout en chassant les avantages et les inconvénients.

La question est de se demander si dans le marché informel, quand une personne prend les médicaments, connaît-il l'ampleur du risque ? Ce risque est-il perçu et accepté  ?

A quel niveau sommes-nous arrivés avec la sensibilisation, l'éducation sanitaire et thérapeutique, la promotion sociale ?  Sommes-nous arrivés à transmettre à la population nos connaissances sur le risque de santé, sa perception, son acceptation ? Est-ce que les utilisateurs des médicaments de rue ont la même notion de ce risque autant que les professionnels de santé ?

 

III- Eléments de perception et d'acceptation du risque de santé chez le consommateur des médicaments dans la ville de Ouagadougou, étude réalisée par Saouadogo en 2003

 

• Une étude réalisée sur 200 consommateurs dans les marchés de Tanghin, Dassasgho, Wayalguin, Patte-d'oie, Pissy, Gounghin, Baskuy et Rood Woko entre le mois d'août et septembre 2002 indique les résultats suivants :

- 14 % des consommateurs étaient analphabètes, 26 % avaient un niveau d'étude primaire, 58% un niveau d'étude secondaire (au moins la sixième de collège), 2% le niveau d'étude supérieure.

- Ils achetaient les produits supposés appartenir aux groupes thérapeutiques suivants :

* 43 % étaient supposés être des antalgiques ;

* 17 % des anti-infectieux ;

* 15 % des antitussifs ;

* 13 % des antipaludiques ;

* 8 % des orexigènes ;

* 4 % des hypnotiques, anxiolytiques.

- La maladie constituait la principale raison de l'utilisation de ces produits pour 72% de la population étudiée.

- Les vendeurs disaient que c'est le consommateur qui demandait oralement le produit.

- Alors, qu'on constatait que 81% des demandeurs ne connaissaient pas leur état réel de santé.

Ils ignoraient s'ils étaient ulcéreux, hypertendus, diabétiques... Ils ignoraient aussi la notion de la date de péremption. Parmi les produits achetés par les consommateurs, 26% avaient une date de péremption lisible et vraisemblablement correcte. Par contre 71% n'avaient aucune date de péremption clairement indiquée ni sur la plaquette, ni sur la boîte.

- On constatait une utilisation chronique des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) qui pourtant à fortes doses entraînent des hémorragies gastriques, l'ulcère gastro-duodénal, l'hypertension artérielle et des insuffisances rénales. Aussi, une intoxication chronique au paracétamol peut entraîner des hépatites ;

- l'utilisation des anti-inflammatoires stéroïdiens à fortes dose affaiblit le système immunitaire et expose le consommateur aux risques infectieux ;

- l'utilisation des antalgiques sans antipaludiques au début de l'accès palustre peut masquer les signes d'alerte, retarder la prise en charge et aggraver la maladie ;

- l'utilisation des antalgiques comme antibiotiques expose le malade aux risques de septicémies ;

- aussi, l'utilisation des contraceptifs oraux, souvent périmés, détériorés par le soleil et les conditions de conservation expose la personne à des hémorragies et à des troubles graves du cycle ;

- on constate des pertes de connaissances après la prise de certains produits supposés être des polyvitaminés.

Malheureusement, les consommateurs de ces médicaments n'étaient pas toujours conscients des risques de santé encourus. On constate que :

- 26% des consommateurs enquêtés trouvaient qu'il n'y avait aucun risque de santé ;

- 42% se disaient ne rien savoir de la présence ou pas de risque de santé ;

- 32% semblent avoir une idée de la présence de risque de santé, ce groupe semble avoir accepté ces risques [Saouadogo, 2003].

 

 

Conclusion

 

Environ 70 % des consommateurs des "médicaments" vendus sur le marché illicite ignorent les dangers éventuels liés à l'utilisation des produits. Ils ne mesurent pas ce danger par rapport au bénéfice d'une consultation dans un centre de santé. Ils n'ont pas choisi comme le voyageur qui décide de prendre l'avion, ni comme le conducteur qui prend le volant avec toutes les précautions pour minimiser les risques d'accidents. Ils ignorent aussi que la fréquence d'utilisation de ces substances aggrave leur propre état de santé et les expose davantage à d'autres risques inconnus et même à long terme. En plus, ils ignorent qu'ils exposent à toute la société le risque de ne plus pouvoir traiter efficacement la maladie à cause des chimiorésistances aux médicaments existants alors que la communauté scientifique mondiale a de la peine à faire de nouvelles découvertes.

Pour les professionnels du médicament, la question est de savoir comment améliorer la qualité de la perception du risque chez le consommateur de ces produits dangereux ? On sait que pour gérer ce risque, il faudra intégrer les populations concernées. Comme ces populations sont pour la majorité en activité dans le secteur informel, lequel secteur est pour le moment mal organisé, ne faut-il pas réfléchir sur un système adapté de prépaiement des médicaments essentiels disponibles à ce secteur ?

Comment réduire le niveau d'acceptation du risque de santé surtout que les jeunes commerçants du marché central avait un contre slogan pour répliquer à celui des professionnels du médicament qui dit : "Les médicaments de la rue, ça tue !". Les jeunes disaient "Même l'eau tue !". Preuve que le principe de la lutte contre ce marché dépend du niveau d'appréciation et d'acceptation des risques qui ne peuvent être seulement l'affaire des professionnels de la santé. C'est alors un problème de tous les acteurs politiques (députés, ministres, coutumiers, religieux), socio-économiques et impose à chacun le devoir d'agir.

 

Références

 

Guissou I.P, Sondo K.B., Ouédraogo V., Ouédraogo T. ,Wangrawa K., Kalhoule T. Projet de sensibilisation des travailleurs, des employeurs et des professionnels de la santé au travail pour une meilleure gestion du risque chimique dans les cinq pays du Conseil de l'entente. O.I.T-EMAC. Yaoundé, 2000 : p.17

 

IRT. Burkina Faso, mission d'expertise pour la définition d'une politique des prix du médicament. Institut royal tropique. Ouagadougou, 2002

 

Laure D., 2003. Méthodologie de l'évaluation des risques sanitaires, communication journée régionale centre, Direction des Risques chroniques, Unité Evaluation des Risques Sanitaires INERIS

 

OMS. Rapport sur la santé dans le monde 2002. Réduire les risques et promouvoir une vie saine. Sadag. OMS. Genève, 2002

 

ReMeD. Dossier spécial. Lettre du réseau n° 34,  ReMeD, Paris, avril 2007

 

www.remed.org/Composition1_J34_20p_2.pdf :

 

Saouadogo H. Etude des risques de santé liés à l'utilisation des médicaments vendus sur le marché informel à Ouagadougou (Burkina Faso). Univ. Ouaga. UFR/SDS. Thès.Ph. Ouagadougou 2003

 

http://www.chmp.org/These_SAOUADOGO_Hamado.pdf

 

Zayed J. Perception de risque et principe de précaution. Université de Montréal&Université Senghor. Alexandrie, 2006

 

Auteur : Hamado Saouadogo,

Pharmacien, MPH

Email : christdonaldh@yahoo.co.uk

L’Observateur Paalga du 9 janvier 2008



09/01/2008
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