L'Heure du Temps (Blog d'Information sur le Burkina Faso)

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"On ne peut parler de Sankara sans Blaise" (Jean Léonard Compaoré)

Jean Léonard Compaoré

"On ne peut parler de Sankara sans Blaise"

 

Nous avons recu à notre rédaction lundi 29 octobre dernier, Jean Léonard Compaoré, secrétaire chargé des grandes consultations électorales du CDP, et président du comité d'organisation des "20 ans de renaissance démocratique avec Blaise Compaoré". La fièvre de cette manifestation retombée, son organisateur en chef revient sur certains de ses aspects. L'opportunité d'une telle activité, son coût, la provenance des moyens, son bilan et, bien sûr, Thomas Sankara, Jean Léonard Compaoré en parle à travers cette interview qu'il nous a accordée. Lire plutôt...

 

Maintenant que la fièvre des "20 ans de renaissance démocratique avec Blaise Compaoré" est retombée, peut-on savoir combien cette commémoration a coûté, et qui l'a financée ?

 

Jean Léonard Compaoré : Dans les manifestations de ce genre, il est toujours difficile de parler d'un budget. Les questions budgétaires relèvent de l'intendance interne. Beaucoup de gens ont contribué, d'abord des particuliers, des amis, des associations, etc. si fait que je n'ai pas de budget en tant que tel à vous donner. Surtout que moi j'étais chargé d'une organisation technique, une organisation d'ensemble de la mobilisation. Je n'avais pas en charge la gestion financière. Même les gadgets qui nous sont parvenus, ce sont des personnes qui les ont fabriqués pour nous.

 

Voulez-vous dire par là que les ressources publiques n'ont pas été utilisées dans cette organisation ?

 

De l'argent public, non. Dans la mesure où l'organisation a été faite en dehors de l'Etat. Cela aurait pu être dans le cadre de l'Etat, parce que 20 ans de démocratie, ce n'est pas une affaire d'individu, ni de quelques personnes. C'est une affaire de la nation. Mais, on n'a pas voulu la placer sous le titre de l'Etat, et c'est pour cela qu'on s'est mis en dehors du service public. Ce n'est pas le gouvernement qui l'a organisée ; c'est vraiment une organisation qui a été faite par tous ceux qui ont espoir dans la conduite du programme du président Blaise Compaoré. Cela avait aussi l'intérêt de rappeler aux Burkinabè la nécessité de renforcer la démocratie. Le message que nous avons voulu passer aux Burkinabè est que c'est un vent de liberté qui souffle dans notre pays. Véritablement, notre pays a connu beaucoup de problèmes. De la Haute-Volta jusqu'à aujourd'hui, on a été la risée du monde, on avait des régimes démocratiques qui n'ont pas tenu plus de trois à quatre ans, c'était l'instabilité chronique. Dans la sous-région, on avait connu un retard énorme. Si à une certaine époque, durant 20 ans, on a pu bâtir quelque chose dans le sens de la démocratie et du renforcement de la liberté, cela méritait d'être rappelé à la conscience populaire. C'était cela l'objectif de cette manifestation, et non de se montrer, encore moins de célébrer un homme ou la durée d'un homme au pouvoir.

Donc, nous n'avons pas utilisé les structures ni les moyens de l'Etat ; bien sûr des invités sont venus avec des véhicules de l'Etat pour certaines manifestations, mais il en est ainsi. Quelles que soient les manifestations, même privées à domicile, si vous invitez une autorité, il faut bien qu'elle puisse se déplacer pour venir. Mais tout a été fait en dehors de l'Etat.

 

Par rapport à l'intitulé de la manifestation, "20 ans de renaissance démocratique avec Blaise Compaoré", certains ont crié à la falsification de l'Histoire, car, pour eux, le vrai processus démocratique a commencé en 1991. Cela, parce que durant l'intervalle de 4 ans (1987-1991), on était dans un Etat d'exception. Qu'en dites-vous ?

 

Selon moi, c'est un débat clos. Maintenant, celui qui ne veut pas être convaincu, vous n'allez jamais le convaincre, puisque ce sont des positions. Pourtant, c'est bel et bien durant ces 20 ans que nous avons connu ce vent de liberté. La CGT-B a été créée en 1988, alors que sous la Révolution, vous vous souvenez, en tant que front syndical, les militants de la lutte syndicale ont été bastonnés, emprisonnés, etc. Le MBDHP a été créé en 1989. C'est dire que tout cet élan de démocratisation, tout cet élan d'ouverture démocratique, montre qu'il y a eu un vent de liberté. On ne peut pas se lever du jour au lendemain et parachuter dans la démocratie. Même la Constitution a été un processus. Toutes ces périodes de préparation, d'ouverture, font partie du temps de la liberté et de la démocratie. Donc, pour nous, 1987 marque le départ des réformes politiques dans notre pays. C'est pour cela qu'on ne peut pas vouloir manger la tête et craindre les yeux ; c'est impossible. J'étais au ministère de l'Administrations territoriale à l'époque, et c'est en ce moment qu'on a rédigé le Code électoral. On a préparé les textes, les ordonnances sur les partis politiques, les associations, etc. J'ai même présidé la première commission pour le référendum, qui a été suivi de la première commission nationale d'organisation des élections en dehors de l'Administration territoriale. Ceux qui ne veulent pas y croire, on n'y peut rien. Je suis, du reste, convaincu que vous-mêmes journalistes, vous savez que si on veut parler du début de la démocratie, c'est bien 1987. Maintenant, la démocratie n'est jamais gagnée du coup. En 1991, c'était l'adoption de la Constitution. La première élection dans l'application de cette Constitution, c'était en décembre 1991 et les législatives en 1992. Donc si c'est la mise en oeuvre de cette Constitution, on ne peut même pas dire que c'est le 2 juin 1991, cette date n'étant que celle de son adoption. La Haute-Volta a été indépendante en 1960, mais ce n'est pas cette année que toutes les institutions ont été mises en place.

 

S'il y a quelque chose dont on est sûr, c'est qu'il y a 20 ans que Blaise Compaoré est président. D'ailleurs, sur certains gadgets, on a pu constater qu'il s'agissait des 20 ans de l'arrivée au pouvoir de Blaise Compaoré. Qu'est-ce qui vous a amené à changer l'intitulé de cette commémoration ?

 

On n'a pas changé l'intitulé de la commémoration. Peut-être que certains ne comprenaient pas cet intitulé dès le départ. Nous avons toujours dit que la renaissance démocratique s'est faite avec Blaise Compaoré. On ne peut pas séparer l'homme du processus, qu'on le veuille ou pas. Même en France avec De Gaulle, des personnalités ont marqué l'Histoire. Et l'Histoire de notre pays est inséparable de ses hommes. Si on célèbre la démocratie au Burkina, un processus qui n'est certes pas encore achevé, il est évident que ce processus a été déclenché en 1987 avec le président Blaise Compaoré. Toutes les questions d'ouverture, son discours du 19 octobre, où il appelle les citoyens à s'organiser, à créer des partis politiques, à participer à l'animation de la vie politique, sont fort éloquents. Dès 1988 déjà, les textes sur les associations ont été remaniés, les partis politiques ont commencé à être créés. On n'a jamais vu un régime d'exception où les partis sont autorisés à exister; bien au contraire, les premiers actes consistent à les dissoudre. Mais ici, on a appelé le peuple à jouir de la liberté, à créer des structures de gestion de cette liberté. C'est pour cela qu'on a parlé de renaissance démocratique avec Blaise Compaoré. L'histoire n'est pas fortuite, on ne peut pas la dissocier des hommes qui en sont les artisans. La démocratie ne s'achèvera peut-être pas avec Blaise Compaoré non plus...

 

La commémoration des 20 ans de renaissance démocratique avec Blaise Compaoré n'avait-elle pas pour objectif de noyer le 20e anniversaire de l'assassinat de Thomas Sankara ?

 

Je vous laisse avec vos mots, quand vous parlez de l'assassinat de Thomas Sankara et autres... Dans la célébration on n'a voulu noyer personne. Ce que nous avons voulu célébrer n'a rien à voir avec la commémoration que les autres font, tous les ans d'ailleurs. On ne leur a jamais interdit la vénération des morts. Les gens peuvent toujours trouver au Burkina Faso, chaque fois qu'il y a des situations, des positions antagonistes. Pourquoi voulons-nous que ce soit toujours antagonique ? Chacun est libre, et ce jour du 15, il y a peut-être eu des commémorations d'autres événements que nous ignorons. Thomas Sankara était notre président, on a travaillé sous lui et on ne peut parler de Thomas Sankara sans Blaise Compaoré. Il n'a pas existé tout seul. C'est dans un système, c'est avec des camarades, des compagnons qu'il a oeuvré. Il ne faut pas l'isoler comme si c'était un super homme qui est venu du néant, non! Ce sont des gens qui ont évolué ensemble dans un processus et il y a eu des événements malheureux, que tout le monde a regrettés, que tout le monde regrette. Notre intention n'a jamais été de masquer quoi que ce soit, d'ailleurs rien n'a été masqué. Au sein de la presse, par exemple, il y a ceux qui ont choisi d'aller couvrir chez eux et ne sont pas venus chez nous, et il n'y a aucun problème. Il y en a qui ont fait leur choix, qui ne nous ont même pas approchés une seule seconde, parce qu'ils ont des options politiques et idéologiques. Ce sont des personnes, peut-être, qui sont intolérantes, qui sont retranchées dans leur camp. Or, c'est cela qu'il faut éviter au Burkina Faso.

 

D'un point de vue démocratique, et par souci d'alternance, est-ce que 20 ans d'un homme au pouvoir ce n'est pas trop ?

 

Comme je l'ai déjà dit, nous n'avons pas célébré les 20 ans d'un homme au pouvoir. Nous avons célébré la renaissance de la démocratie pendant 20 ans dans notre pays...

 

... Mais avec une seule personne, en l'occurence Blaise Compaoré.

 

C'est le peuple qui a donné sa confiance à Blaise Compaoré. Que voulez-vous qu'on fasse ? Qu'un coup d'Etat vienne le faire partir ? Que les Burkinabè le chassent un matin ? Mais je ne comprends pas! Il a pris part à trois scrutins à l'issue desquels il a été élu. Le jour où le peuple ne voudra plus de lui, dans le cadre d'une élection transparente, il s'en ira. Le problème des 20 ans, ce n'est pas quelqu'un qui a pris un décret pour dire qu'il est là pour 20 ans. Donc c'est un débat pour lequel il faut que nous fassions attention ici au Burkina Faso ; parce que cela met dans l'esprit des gens que l'alternance se résume au "ôte-toi que je m'y mette". L'alternance n'est pas forcément le remplacement des individus. Il y les programmes, les idées, les hommes, etc. Sûrement un jour, il y aura un autre Burkinabè qui peut être le 6e chef d'Etat et il ne sera pas le dernier chef d'Etat de notre pays.

 

Est-ce à dire qu'on se donne rendez-vous encore dans 20 ans, tant que le peuple voudra de Blaise Compaoré ?

 

Non, pas forcément; l'intitulé peut changer. On a commémoré le 20e anniversaire, mais on ne s'est pas donné un terme. On peut commémorer, pourquoi pas, les 25 ans, les 30 ans, etc. Des idées peuvent naître chez les uns et les autres. On peut même célébrer les 20 ans du printemps de la presse au Burkina, on ne sait jamais ; quelqu'un peut en avoir l'idée. On n'a pas fait la commémoration dans le sens de fixer l'Histoire à nous. L'Histoire ne s'arrête pas au CDP, ni aux ABC, ni à l'ADF/RDA, etc. C'est pour cela que nous avons dit que c'est une affaire du peuple tout entier, parce que si ça ne marchait pas, s'il y avait des problèmes, personne ne serait épargné. Les Mossi disent que c'est parce qu'il y a la tête qu'on fait des tresses. Blaise Compaoré est le président du Faso, il y a ceux qui l'acceptent et ceux qui ne l'acceptent pas. Il y a ceux qui pensent aussi qu'ils ne doit pas être là où il est. Ce sont des sentiments personnels, mais il faut accepter que c'est le verdict des urnes. Il a été candidat avec 12 autres, tout le monde a pu suivre le déroulement des élections. Certains ont dit qu'on a fraudé, qu'on a acheté les gens, etc. C'est une injure que de dire qu'on a acheté des gens. L'autre jour je lisais dans la presse qu'on a acheté les gens à 1000 F pour qu'ils viennent à la place de la Nation. Mais c'est une hérésie! Comment peut-on imaginer qu'on puisse trouver des moyens pour cela? Mais comme les gens veulent toujours trouver des subterfuges, c'est cela aussi la démocratie. Même ceux qui ont commémoré autrement le 15-Octobre, tout ça c'est dans le cadre de la démocratie qu'on a retrouvée dans notre pays, et qui permet à chacun de penser et de s'exprimer librement.

 

Pour revenir sur le coût de la manifestation, même si, comme vous le dites, il y a eu beaucoup de dons, il n'empêche que pour un parti comme le vôtre, il y a eu un budget prévisionnel ?

 

Comme je l'ai dit, ce n'était pas une manifestation du CDP. C'est une manifestation qui a regroupé beaucoup de monde, et le CDP était partie prenante. Ce sont les associations, l'ADF/RDA, la mouvance présidentielle, des personnalités morales, des individualités... Quant à la question budgétaire, cela reste toujours interne. Parlant de prévision, quand je quittais, par exemple, chez moi pour venir ici, j'ai fait mes prévisions, j'ai mis mon carburant en conséquence. Mais cela, je ne peux sortir dans la rue pour le chanter. D'abord, parce que ça ne me satisfait pas ; rien n'a jamais suffi à qui que ce soit lorsqu'on fait des préparatifs. Toujours au finish, il y a ce qu'on veut et ce qu'on peut. La question budgétaire, pour nous, n'est pas très essentielle. Moi je n'ai pas géré de budget. J'étais là pour mettre en oeuvre des commissions qui doivent travailler. Et puis les gens ont mis les moyens: des transporteurs ont donné des cars par-ci, d'autres ont donné du carburant par-là ; dans les provinces, les gens se sont engagés. Nous tous avons contribué. Mais ce n'est pas une campagne électorale, c'est différent. Ce n'est financé ni par l'Etat, ni par des sociétés d'Etat, non. C'est une comémoration que les amis, les partisans du président, tous ceux qui bénéficient de la démocratie au Burkina, qui reconnaissent la démocratie comme telle, ont voulue. Donc concrètement, sur la question budgétaire, je n'ai rien à vous dire de plus, puisque je n'ai pas eu à faire un devis, avant de m'engager à cela.

 

Vous dites qu'il n'y a eu aucun obstacle aux manifestations de l'autre camp, alors que les Sankaristes disent qu'ils n'ont pas eu accès à certains lieux tels le CBC, la Maison du peuple, la Place de la Nation. Manifestement, selon leurs déclarations, il y a eu obstruction à ce qu'ils aient accès aux espaces publics. En plus, la soeur de Thomas Sankara a affirmé que le pouvoir a tout fait pour empêcher Mariam Sankara de venir.

 

Je ne peux pas répondre à ce genre de questions. Je ne gère pas les infrastructures de l'Etat. Les demandes qu'ils ont faites ne nous ont pas été adressées, donc, il ne nous revient pas d'y répondre. Mais, comme je l'ai dit, personne ne les a empêchés. Ce que la soeur de Thomas Sankara dit, cela n'engage qu'elle. Elle même se trouvait au Burkina en affirmant cela. Donc personne ne les a empêchés de venir le faire. Elle l'a dit et elle est repartie sans problème. Qui a intérêt à empêcher Mariam Sankara à venir dans son pays? Elle a quitté depuis 20 ans, qui lui a dit de partir? Il y a combien de femmes, combien de nos mères, qui sont restées ici au Burkina?

C'est son pays, elle vient à tout moment comme elle veut. C'est mon sentiment personnel. Je connais bien Mariam Sankara. Je crois aussi qu'il va falloir que les gens évitent d'instrumentaliser les individus. Je crois que la veuve Sankara a beaucoup plus de problèmes à résoudre pour qu'on l'utilise de la sorte. Elle était avec son mari, elle connaît très bien les compagnons de son mari. Personne ne l'empêche de faire quoi que ce soit. Bref, je ne veux pas rentrer dans ce débat, mais je sais que l'Etat n'a pas pris des mesures pour empêcher qui que ce soit d'accéder à quelque site que ce soit. Comme je l'ai dit à Me Sankara lors de notre entretien, ils sont allés à l'ATB, qui appartient à mon grand-frère, Prosper Compaoré. Si tel était le cas, on aurait pu nuitamment aller lui dire de ne plus donner la salle. Je crois qu'il faut dépassionner le débat.

 

Mais est-ce vous n'êtes pas un peu frustrés que sur le plan médiatique, selon des analystes, le camp des Sankaristes ait été plus médiatisé, surtout au niveau de la presse internationale? N'est-ce pas une forme d'illégitimation de votre action ?

 

C'est vous qui le dites. Moi je ne constate pas les choses de la même manière. Il y a les objectifs des manifestations; peut-être que eux, ils se sont beaucoup plus axés à l'extérieur qu'aux Burkinabè. Ils ont peut- être voulu une action médiatique externe, que de s'adresser véritablement aux Burkinabè. Nous, on a voulu une action dirigée vers les populations. Du reste, notre action n'est pas une concurrence, ce n'est pas une histoire de m'as-tu -vu. C'est une célébration qu'on a faite pour nous tous, pour demain et après demain. Cela afin que les uns et les autres sachent que la démocratie est un élément fragile qu'il faut préserver et renforcer tous les jours. Maintenant, pour les actions médiatiques, chacun a choisi ce qu'il voulait faire. Nous ne pouvons pas obliger quelqu'un à venir couvrir notre événement s'il ne le veut pas. S'il a décidé de rester dans un camp retranché, un jour ou l'autre c'est possible qu'il vienne au pouvoir. Et s'il reste toujours retranché, cela posera problème. Donc, ils avaient certainement leur option. La presse internationale s'est faite un large écho de leurs activités, mais nous, nous nous avons marché dans les provinces où nous ne les avons point rencontrés.

Aussi, concernant leur commémoration, il y a le fait qu'on ait voulu mettre les questions sentimentales au devant des choses. Nous sommes des Africains, des humains et quand on commémore le décès de quelqu'un, il y a toujours une émotion. Nous-mêmes, nous sommes émotionnés le 15 octobre. Nous autres, on ne peut pas ne pas se souvenir de cette date. On a été tous concernés par ces événements qui ont créé une profonde tristesse dans ce pays. C'était véritablement une angoisse. On était au bord de l'explosion, étant donné le contexte qui existait en son temps. Avec les CDR armés dans les secteurs et autres, il suffisait d'un petit déclic et on entrait en guerre civile. Il y a donc une action de grâce qu'il faut faire à Dieu, pour sa protection, pour avoir gardé le Burkina dans le calme et la paix jusqu'à ce jour. Donc le 15 -octobre, ceux qui étaient dans les événements ne peuvent pas ne pas s'en souvenir. Mais est-ce pour autant qu'il faut en faire un programme de gouvernement? Il y a eu d'autres événements, d'autres personnes, d'autres situations. Le mieux, c'est, tout en prenant en compte ces situations, de travailler en sorte qu'elles ne se reproduisent plus jamais.

 

Si la commémoration que vous avez faite n'était pas pour effacer de la mémoire des gens, l'image de Thomas pourquoi par exemple avec cette rencontre avec les jeunes à Pô, il n'a été question que de Blaise Compaoré, alors que vous disiez qu'on ne peut parler de l'un sans l'autre?

Mais, pourquoi les autres ignorent Blaise Compaoré? C'est pourquoi je dis qu'il faut éviter de faire des camps. Ici nous ne sommes pas dans la logique des camps, parce que ceux qui étaient avec Thomas Sankara, sont toujours là aujourd'hui, pour la plupart. Ceux qui étaient compagnons du processus de la Révolution, sont toujours là avec le processus démocratique. Les Sankaristes dont vous parlez bénéficient du processus démocratique aujourd'hui. Ils peuvent effectivement s'exprimer ; ils sont à l'Assemblée nationale ; ils sont dans des conseils municipaux ; ils dirigent des communes rurales. Tout cela, c'est dans la démocratie qu'on le fait.

L'image de Thomas Sankara, personne ne peut l'effacer. Ce n'est pas la bouche ou des discours qui peuvent effacer cette image. Thomas Sankara est un. Il a été un président au Burkina Faso, qui est unique. Du point de vue génétique, les hommes ne se ressemblent pas. Comme je l'ai dit à Me Sankara, Thomas Sankara et lui c'est différent. Thomas a son aura que lui n'a pas. Donc il ne faut pas prendre l'aura de quelqu'un pour en faire un programme politique, parce que tu ne pourras jamais être comme lui.

Donc, il faut que les jeunes de notre pays et les générations à venir connaissent l'Histoire de ce pays; et la démarche de la rencontre du président avec les jeunes à Pô, procède de cette logique. Pourquoi le retour à Pô? Parce que tout s'est préparé à Pô avant de venir ici. Lorsque le 17-mai le président Blaise Compaoré courait sur les sentiers pour aller sauver les vies de ses compagnons, il a vendu la sienne. Lorsque le 4 août il venait avec ses hommes pour prendre le pouvoir à Ouagadougou, il engageait sa propre vie. Donc, lorsque vous êtes dans un groupe et que des événements malheureux arrivent de la sorte, chacun est affecté, mais la profondeur des événements fait que lorsqu'on reste en surface, on ne prend que le côté sentimental, le côté émotionnel. Cela empêche d'avoir des idées rationnelles, parce l'émotion étouffe la rationalité.

Quand vous allez au marché, vous trouvez un car qui est garé et que vous rentrez vous y asseoir en pensant qu'il va démarrer alors qu'il est en panne, il ne bougera pas. Il faut donc avoir le courage de transcender les choses. Ceux-là même qui parlent de Sankara défendent quelle idéologie ? Thomas n'a pas fait une idéologie à lui seul. Le Discours d'orientation politique qu'on a rédigé ensemble se trouve toujours devant le lycée Marien N'Gouabi. Personne n'a encore demandé qu'on l'enlève, sauf la CNPP, en 1990, qui, lors de la commission constitutionnelle, avait demandé qu'on l'enlève. En fait et l'on connaissait leur aversion pour la Révolution.

Moi particulièrement, j'ai appris la mort de Sankara le 16 octobre à 14 h sur Africa N°1, pendant que j'étais sur la route de Kaya en voiture et que je rentrais à Ouagadougou. On est allé dire à ma mère et à mon père qu'on m'a tué et jeté en brousse. On était ensemble dans le même gouvernement avec Blaise Compaoré, mais on ne se fréquentait pas. Personne ne savait véritablement ce qui se passait, y compris peut-être lui-même.

Quand ce genre de situation arrive, il faut avoir la force morale, la force politique nécessaire pour s'élever, préserver les intérêts du pays et résoudre cela au fur et à mesure, pour que chaque jour on ne revienne pas là- dessus, car les Mossi disent que le rappel des bagarres c'est toujours des têtes percées. Il faut qu'à un moment donné, les gens comprennent qu'il faut éviter d'instrumentaliser les devanciers, ceux qui sont morts à des fins politiques, pour avancer.

 

Quel bilan faites -vous à chaud de cette commémoration que vous venez de boucler ?

 

L'objectif, comme je l'ai dit, loin de faire la concurrence à qui que ce soit, c'était de rappeler aux Burkinabè que la démocratie, tout comme la liberté, est une quête permanente. C'est rappeler à tous que nous avons, pendant 20 ans, goûté aux délices de la liberté et de la démocratie. Le bilan qu'on peut faire, c'est que tout s'est bien passé. Le programme prévisionnel a été exécuté, et la démocratie s'est effectivement exercée. Les gens ont compris le sens de cette commémoration et se le sont appropriés. Dans tout le corps social, que ce soient les partis politiques, la société civile, les communautés coutumières et religieuses, chacun a compris que nous vivons une ère de liberté et de démocratie qui fait que tout cela est possible aujourd'hui. La presse a participé, et tout cela est l'expression plurielle que nous souhaitons pour notre pays. C'est donc un bilan positif que nous faisons. Même ceux qui sont contre ce que nous avons fait, ont pu dire qu'ils sont contre et ont fait ce qu'ils voulaient faire eux aussi. Il n'y a pas eu de problème et nous souhaitons que ce soit ainsi pour toujours.

 

On a remarqué que durant toute cette célébration, l'Administration était pratiquement bloquée. Est-ce qu'il n'était pas mieux de décréter une journée chômée ?

 

Le 15-octobre, tout comme le 4-août, fait partie des dates qu'on a gardées comme des dates commémoratives, du point de vue de la loi. Ce qui permet aux Sankaristes d'aller au cimetière, etc. Ce n'est pas une journée fériée et moi je n'ai pas connaissance que l'Administration a été bloquée. Surtout que nos manifestations n'étaient pas ciblées sur le 15 - Octobre. Elles étaient étalées jusqu'au 21 octobre. Ceux qui voulaient marcher pour aller dans tel ou tel endroit ont reçu les autorisations nécessaires. Peut-être donc que l'Administration a pu prendre un coup avec les autorisations d'absence, mais ce sont des choses qui arrivent. C'est une date importante, qui est autorisée à être commémorée. De toutes les façons, ce n'est pas en la mettant fériée qu'on va résoudre le problème. C'est dans le but de réaliser la réconciliation nationale que certaines dates telle celle le 15 - Octobre ont été supprimées comme jours fériés.

 

Propos recueillis par la rédaction et retranscrits par Ladji BAMA

Le Pays du 6 novembre 2007



06/11/2007
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