Orthopédie : "Pièces détachées pour handicapés moteurs"
Orthopédie
"Pièces détachées pour handicapés moteurs"
Les handicapés moteurs (enfants comme adultes) sont aujourd'hui légion dans nos villes et villages souvent à la grande indifférence des uns et des autres. Ces personnes dont le sort n'est guère enviable ne sont d'ailleurs pas toujours considérées comme des personnes "normales" d'où parfois leur inhumain isolement. Certes, avoir un enfant handicapé est souvent sous nos tropiques source de gêne ou de honte pour certaines familles. Il s'en trouve même qui parlent de "malédiction divine".
Hélas, le coût relativement élevé des soins orthopédiques dissuade plus d'un. Pire, l'orthopédie, en tant que science médicale, semble totalement (ou presque) inconnue par bon nombre de Burkinabè.
Diagnostic d'une branche "atypique" de la médecine.
"Orthopédie ? C'est le nom de quel quartier ça encore ?" Cette histoire drôle, on l'a régulièrement racontée sur les bords de la lagune Ebrié. Il faut reconnaître que le mot ne dit tout de suite grand-chose à grand-monde.
L'orthopédie, c'est pourtant tout simplement la branche de la médecine qui étudie et corrige les difformités du corps chez l'enfant. Aujourd'hui, cette discipline médicale dont le nom fait plutôt penser à un oiseau bizarre sorti d'on ne se sait de quelle forêt, inclut également les malformations rencontrées chez la plupart des adultes. Le technicien-orthopédiste désigne donc naturellement la personne qui exerce cette science médicale, qui fabrique et/ou vend des appareils orthopédiques.
Ces appareils, pour ne pas dire ces pièces détachées de rechange, sont constitués pour l'essentiel de prothèses (qui remplacent un membre amputé), d'orthèses (qui soutiennent ou corrigent un membre défaillant), de podo-orthèses (qui suppléent les pieds) et ce qu'on appelle dans le jargon du cru, les "aides de marches", c'est-à-dire les tricycles, les cannes, les béquilles et embouts, etc. Ce côté confection a même entraîné la naissance d'un autre terme en vigueur dans le milieu : on parle aujourd'hui de technicien ortho-prothésiste.
Nayé Yé, technicien-orthoprothésiste au Centre national d'appareillage orthopédique du Burkina (CNAOB) et qui fait office de "porte-voix" de la Fédération africaine des techniciens orthoprothésistes (FATO) : "Notre métier consiste essentiellement en la fabrication de prothèses, d'orthèses. Bref, tout ce qui est appareillage pour les personnes handicapées".
Les causes des malformations ou difformités qui amènent la plupart des personnes handicapées motrices à consulter le technicien-orthopédiste sont diverses, selon le Dr Salif Gandèma, medecin rééducateur au CNAOB. Elles vont des séquelles de la poliomyélite à l'amputation d'un membre supérieur ou inférieur, en passant par des handicaps congénitaux dus à l'absorption de produits nocifs par la mère lors de la grossesse : "Même si la poliomyélite est aujourd'hui en voie de disparition, elle constitue la principale cause des malformations. A cela s'ajoutent évidemment les malformations d'origines congénitales", confie Victor Sorgho, orthopédiste, rompu aux ficelles du métier et président de l'Amicale orthopédique du Faso (AOF) Wend Yam.
Un "tibia" à 615 000 FCFA
Hormis ces cas classiques, il faut ajouter que le technicien ortho-prothésiste reçoit et traite également les personnes "normales" ou handicapées temporaires qui souffrent de fractures (au bras ou au pied) à l'issue d'accidents de la circulation ou d'activités sportives (rupture des ligaments croisés du genou par exemple) et les personnes atteintes de lombalgie chronique. Rassurez-vous, ce vocable désigne tout simplement ce qu'on appelle couramment "mal de dos".
Dans ces cas, on parle de "rééducation fonctionnelle". De ce qui précède, une question essentielle vient immédiatement à l'esprit : les prothèses et autres appareils orthopédiques sont-ils à portée de bourse de tout Burkinabè ? Selon Nayé Yé, "il y a différentes qualités de prothèse à même de satisfaire tout le monde, chacun selon son pouvoir d'achat". En effet, une prothèse fabriquée avec des matériaux importés d'Europe coûte excessivement chère en comparaison à une autre fabriquée avec des matériaux disponibles sur place. Ceux-ci sont constitués pour l'essentiel de résine, de polypropylène et de certaines pièces détachées. A titre d'exemple, une prothèse tibiale fabriquée avec des matériaux locaux coûte 71 000 FCFA contre 615 000 FCFA pour celle confectionnée à partir de matériaux importés. Edifiant non ? De plus, le CNAOB est conscient que tous les Burkinabè ne sont pas égaux devant Mammon..., le dieu des espèces sonnantes et trébuchantes. Les prothèses et autres appareils du genre sont proposés, dans le centre perdu au milieu des unités industrielles [le CNAOB est situé à la zone industrielle de Gounghin, secteur 8 de Ouagadougou, NDLR], suivant la "tête du client" ou du moins, sa catégorie sociale. "Quand il s'agit d'une personne prise en charge par une maison d'assurance ou la sécurité sociale (ou une personne aisée) nous lui appliquons un tarif coûtant. Ce qui n'est pas le cas avec la personne moins nantie", révèle sobrement Dr Salif Gandèma.
Enfin, le prix de la prothèse est fonction de l'âge du patient. Pour Victor Sorgho "une prothèse pour enfant est plus coûteuse, vu qu'elle est provisoire". Car, il faut, suivant la croissance de l'enfant, réadapter (tous les 6 mois ou chaque année) la prothèse. Ce qui induit un suivi de l'enfant depuis son plus jeune âge jusqu'à l'âge adulte. Chose qui n'encourage nullement les parents ayant un enfant handicapé à aller chez l'orthopédiste. "La santé n'a pas de prix", dit-on souvent. Cependant, combien sont-ils les Burkinabè bénéficiant d'une assurance, ou qui ont les moyens de déballer au moins 50 000 FCFA pour un appareil orthopédique quelconque ? Mais là, c'est une autre histoire...
On dirait une salle de torture
Car la tâche est loin d'être terminée avec la pose de la prothèse ou l'intervention chirurgicale (c'est selon les cas). Le patient est en effet, après cela, astreint à une phase de rééducation. C'est ici qu'intervient le kinésithérapeute. La kinésithérapie, pour parler en "français facile", est la branche de la médécine qui assure le traitement par le mouvement. Elle a, entre autres, pour fonction de permettre au patient d'acquérir le maximum de ses fonctions motrices. C'est ce qu'indique Emile Compaoré, kinésithérapeute. Au Centre national d'appareillage orthopédique du Burkina (CNAOB) où il exerce, la moyenne des patients admis en rééducation est de 15 patients/jour. Il nous a autorisé à assister à une de ses séances. Le local ressemble, certes, à une salle banale de sport, mais vu les tables pliables, le grillage où sont accrochés divers matériaux pour la plupart en métal, et les cordes qui pendent ici et là, on penserait plutôt à une salle de torture. La "victime" du jour s'appelle Omar Banhoro, admis en rééducation suite à un accident de sport au cours duquel il a eu les ligaments du genou rompus. Aujourd'hui, il "positive" : "A mon arrivée, il y a quatre mois de cela, je n'arrivais pas à bouger la jambe. Elle était complètement raide", affirme le patient entre deux grimaces. On le comprend. Couché sur le ventre et "ligoté" (par un tortionnaire mossi visiblement heureux d'en faire voir une à un Samo !) du tronc aux pieds, il lui est totalement impossible, vu la douleur, d'esquisser le moindre sourire. On se serait cru un moment à la désormais tristement célèbre prison américaine d'Abou Ghraib (en Irak), à moins que ce ne soit Guantanamo au large de Cuba. Mais à quoi peut bien servir un tel exercice ?
Pour Emile Compaoré le "kinétortionnaire", "Il s'agit d'un montage ou posture, dont le but est d'assouplir le muscle qui est tendu afin de faciliter la flexion du genou". Un "montage" forcément efficace. "Aujourd'hui, j'arrive à plier la jambe jusqu'à plus de 90°" avoue Omar, cette fois-ci détendu. Il paie 3000 FCFA la séance et ce, depuis quatre mois. Même s'il affirme que "le prix est abordable", force est de reconnaître que la majorité des Burkinabè ne peut faire face à de telles dépenses. Cet état de fait se pose avec une telle acuité que Victor Sorgho, orthopédiste et premier responsable d'une structure privée comme l'Amicale orthopédique du Faso (AOF), se voit obligé de faire preuve d'humanisme en ne réclamant parfois de ses patients aucun sou. "Il nous arrive d'accompagner gratuitement des personnes nécessiteuses. Nous faisons la rééducation ici [AOF] à 3000 FCFA la séance. Mais nous sommes parfois obligés de "descendre" à 500 ou 0 F (sic) la séance".
"Nous sommes tous de potentiels handicapés"
Sur ces entrefaits, M. Sorgho nous présente fièrement les photos de quelques "cas sociaux" traités gratuitement à l'AOF. Issiaka Yoda, l'un de ceux-là, est venu au monde doté ...d'une seule jambe ! Delaissé par sa famille, il a obtenu presque gratuitement de ladite amicale une prothèse canadienne ("faux pied" qui arrive jusqu'à la fesse). "Depuis que j'ai eu ce "pied", je me déplace sans beaucoup de peine", reconnaît l'intéressé.
Contrairement à Issiaka Yoda, Djénéba Yaméogo, secrétaire et très peu bavarde, a, dans sa tendre enfance, perdu l'un de ses bras suite à un accident. Complexée au départ par son handicap, elle avoue aujourd'hui "mener une existence normale" depuis qu'elle porte une prothèse brachiale ("faux bras") obtenue grâce à la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS).
Christine Zangré, quant à elle, a été victime de la poliomyélite depuis l'âge d'un an et demi. Très chaleureuse et décontractée, cette jeune femme dont la coiffure rappelle Chantal Goya (célèbre chanteuse française des années 80) porte depuis 2003 une orthèse. "Avant, je me déplaçais avec des béquilles. Il ne m'était jamais venu à l'esprit que je marcherai [correctement] un jour. Aujourd'hui, je me déplace mieux et je peux même faire 25 km à bicyclette !", déclare-t-elle toute joyeuse. Christine, exceptionnellement, a bénéficié du soutien de ses parents pour l'obtention de l'orthèse. Il s'agit là sans doute de quelques "cas heureux". Mais la question de l'acessibilité des soins orthopédiques par le plus grand nombre demeure plus que jamais une chimère.
De plus, force est de constater que les handicapés moteurs sont de plus en plus délaissés et marginalisés. Ces personnes, produits de la nature ou tout simplement handicapées par certaines circonstances (accident, maladies, etc), "existent sans vivre". Ce qui les amène à s'isoler ou à être isolé. Combien de parents cachent toujours leurs enfants handicapés aux étrangers par honte ?
Combien de personnes, à cause de leurs simples handicaps, sont refusées aux offres d'emploi ? Si certains, à l'instar d'une Djénéba Yaméogo (secrétaire) ou d'une Christine Zangré, titulaire d'un BEP en Comptabilité (et coiffeuse à ses heures perdues) gagnent décemment leur vie, ce n'est pas le cas d'un Issiaka Yoda.
En effet, ce dernier se "débarrasse" chaque matin de sa prothèse canadienne pour aller mendier le long des feux tricolores ou devant les supermarchés de la capitale. "C'est vraiment dommage", lâche son "sauveur", Victor Sorgho, l'air d'avoir abattu un travail inutile. Une prise de conscience s'avère donc nécessaire de la part de nos autorités en charge de l'Emploi et de l'Action sociale mais surtout des parents (pas toujours conscients de ce qu'ils font) en cachant leur enfant par exemple. Cela est d'autant plus sérieux que pour le Dr Salif Gandèma "nous sommes tous de potentiels handicapés".
Pour preuve, à en croire ce dernier, le CNAOB reçoit plus de patients après les fêtes de fin d'année. Pendant cette période, on voit des "horreurs inimaginables". A méditer.
Aubin Nana
Simplice Hien
(Stagiaires)
L’Observateur Paalga du 25 septembre 2007
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