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Poutine s'en va pour mieux rester

Russie

Poutine s'en va pour mieux rester

On le savait calculateur, froid et secret. Pour un ex-patron du KGB, cela est plutôt normal. Mais ce qu'on ne connaissait pas de Vladimir Poutine, ce sont ses talents d'acrobate pour s'accrocher à un pouvoir qu'il a façonné au bout de deux mandats présidentiels. Justement, alors que l'opinion publique internationale suppute sur l'après- Poutine, ce dernier vient de sortir de sa manche une carte que personne n'attendait. Même dans son propre camp, la manoeuvre a surpris plus d'un. Constitutionnellement inapte pour un troisième mandat successif, l'homme aux rares sourires a trouvé une parade pour rester près du pouvoir, histoire de veiller sur sa "chose". On pourrait lui reprocher sa soif du pouvoir, mais avouons que la parade qu'il a dénichée ne souffre d'aucune contestation, tant elle ne viole aucune des lois de son pays: l'homme s'est inscrit en tête de liste des prochaines législatives de décembre et envisage sérieusement de briguer le poste de Premier ministre. Le président de la Russie préfère le strapontin de Premier ministre au statut d'ancien chef d'Etat. Il faut croire qu'il n'est pas fatigué du pouvoir (à 54 ans, il est toujours jeune !) et veut garder toutes ses chances de reconquérir le fauteuil présidentiel. Pourtant, Poutine avait promis de se retirer à la fin de son deuxième mandat. A moins que l'on n'ait pas la même signification du mot "retirer".

Mais si son voeu se réalisait, Poutine ne serait-il pas encombrant pour le président, au regard de sa très forte personnalité ? Le président élu acceptera-t-il d'être un pantin et de jouer les faire-valoir. En tout cas, Poutine a déjà affiché ses ambitions. Il parle d'un président élu "compétent, efficace, moderne, avec lequel il soit possible de travailler en tandem".

Ce pourrait être alors pour lui une sorte de troisième mandat. Car on ne voit pas, à vrai dire, comment la coalition qui se forme autour de Garry Kasparov, l'ancien champion du monde d'échecs, pourrait faire échec au plan de Poutine. Ce dernier a trouvé là un moyen de remettre les compteurs à zéro sans vraiment quitter les affaires.

Vladimir Poutine a au moins le mérite d'être un "démocrate" dans la mesure où son coup de force n'est ni anti-constitutionnelle ni militaire. Il n'est pas exclu que cette trouvaille inspire certaines têtes couronnées du continent africain. Sous nos cieux, les modifications intempestives des lois fondamentales ont été à l'origine de nombreux troubles avec à la clé, quelquefois, une forte répression. Vu d'Afrique, Vladimir Poutine est un "gentleman" qui va certainement obtenir légalement ce qu'il veut tout en sauvant les formes.

Mais pourquoi veut-il tant garder la main sur l'Exécutif russe? Les motivations de Poutine sont sans doute d'ordre politique et géostratégique. Il ne voudrait peut-être pas laisser son pays entre des mains peu sûres. Héritier d'un pouvoir malade sous l'ère Boris Eltsine, il s'est fait fort de débarrasser l'économie de son pays d'une certaine oligarchie qui commençait à avoir un penchant pour le modèle américain et occidental en général. Avec lui, l'économie est désormais sous contrôle. Mais ce n'est pas tout: les opposants les plus farouches au pouvoir du Kremlin sont systématiquement traqués voire éliminés. Ce fut le cas da la journaliste russe Anna Politkovskaïa et de l'ancien agent du KGB empoisonné à Londres.

Poutine régente son pays et on peut comprendre qu'il ne veuille pas le livrer à des forces "ennemies", surtout à un moment où la polémique sur l'installation d'un bouclier antimissile en république tchèque continue d'empoisonner les relations entre Moscou et Washington. On a encore en mémoire les ingérences russes dans les pays voisins (Tchetchénie, Ukraine, Géorgie Kazakhstan). Et même si la guerre froide est lointaine, Poutine, lui, ne semble pas avoir perdu ses vieux réflexes. Son ambition: protéger la Russie et lui donner les moyens de faire face aux Etats-Unis dans un monde plus que jamais soumis à l'unilatéralisme américain. Si cela peut être suffisant pour jouer les prolongations au pouvoir, Poutine a-t-il oublié qu'en démocratie, les hommes passent et que seules les institutions restent ? En tout état de cause, un passage en force tel qu'il le prévoit, peut être source de crise interne et... de déchirure.

Le Pays du 3 octobre 2007



03/10/2007
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