L'Heure du Temps (Blog d'Information sur le Burkina Faso)

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Prostitution des mineurs : Ça choque et ça interpelle

Prostitution des mineurs

Ça choque et ça interpelle

 

 

Si la prostitution est le plus vieux métier du monde, il faut admettre que dans notre société de la science  et de la technique, elle a pris des proportions qui menacent nos valeurs avec des conséquences incalculables. Quand des adolescents de 14 à 17 en arrivent à ravir la vedette à leurs grandes sœurs et à leurs mamans, c'est tout simplement choquant. Grâce à un atelier de restitution de l'étude sur "la recherche-action pour une stratégie d'insertion socio-économique des racoleuses sexuelles de nationalité burkinabè et plus particulièrement celles des mineurs en situation de prostitution dans la commune de Ouagadougou" tenu les 14 et 15 février 2008 à l'hôtel de ville, nous avons pu nous faire une idée sur l'ampleur du phénomène.

 

"Je suis S.A., j'ai 14 ans, mon père est décédé quand j'étais encore petite, je l'ai pas connu. A l'âge de 11 ans ma mère s'est remariée et elle est partie avec moi chez son mari à Somgandé où on m'a inscrite au CE1. Trois ans après, avec les multiples histoires avec son mari, je ne pouvais pas rester là-bas et j'ai quitté pour vivre avec ma grand-mère. Elle ne pouvait rien me donner et il fallait que je me débrouille pour mes petits besoins. J'ai débuté le racollage à l'âge de 13 ans à cause d'un ami... Il m'a amenée dans une chambre de passe en me promettant de me donner 2000 F. Il a utilisé un préservatif et m'a effectivement donné 2000 F.

En 2006, quatre clients ont eu des rapports sexuels avec moi sans préservatif, ils m'ont dit qu'ils ne sont pas malades et ils m'ont donné chacun 4000 F car avec le préservatif c'est 2000 F ou 2500 F. J'ai rencontré trois clients qui m'ont demandé de sucer... contre 10 000 F mais j'ai refusé. Il s'agit toujours des hommes mariés. J'ai eu des clients qui m'ont courbé comme une chienne mais le montant n'a pas changé. Je peux avoir 10 000 F/nuit et le minimum 7000 F. Ce qui me fait souffrir, c'est la douleur.

Après certains rapports, j'ai des douleurs au niveau du bas-ventre. Alors, je reste quatre jours à la maison sans activité sexuelle. Au total, j'ai comptabilisé six clients qui ont tenu ces propos : "Je ne vais pas payer. Ils sont méchants, c'est tout ce que je peux dire".

"Je me nomme T.A., j'ai 17 ans et je loge au secteur 16 de Ouagadougou. Nous sommes quatre enfants et je suis la seule fille. Mon père était professeur dans un collège. Il a laissé cette profession quand j'étais petite et je ne sais pas pourquoi. J'ai abandonné l'école pour vendre des arachides parce que mon père ne pouvait pas payer ma scolarité... Un jour, je suis sortie avec des amies au Théâtre populaire. Un homme s'est approché de moi et m'a dit qu'il voulait de moi. Il m'a remorquée sur sa moto et nous sommes allés dans une chambre de passe. Je n'avais pas eu de rapports sexuels auparavant avec un homme, c'était la première fois. Arrivée dans la chambre, il m'a déshabillée. J'avais peur mais je n'ai pas eu mal, une fois à la maison, j'ai pleuré. Avec les 2000 F que j'ai eus, je me suis acheté de la nourriture et un habit. Une semaine après, je suis ressortie et ainsi de suite...

"Avec les clients, il n'y a pas de problèmes car j'encaisse avant de commencer". Ce sont entre autres récits de vie qu'on peut extraire de l'étude sur la prostitution dans la commune de Ouagadougou, intitulée. "Cas des mineurs burkinabè de 14 à 17 ans" de Marie Paule Compaoré. Ils laissent entre autres apparaître une certaine naïveté qui rend les filles vulnérables, incapables de se défendre ; le rejet des parents et l'effritement du système traditionnel de la solidarité prédisposent la fille orpheline ou non à assumer très tôt certaines charges dont la recherche de la subsistance. Favorisant ainsi son engagement dans la prostitution. Comme le témoigne une prostituée de 35 ans, les mineurs et les adultes s'emploient sur le terrain : "Nous n'avons plus de clientèle. Lorsque les clients arrivent, ils se dirigent vers les mineurs. Pour une qui n'a jamais palper 5000 FCFA, pour une telle rémunération, elle se livre sans porter de préservatifs ... Cela nous amène à migrer à Tenkodogo (province du Boulgou) et à Pouytenga (province du Kourittenga) où nous avons plus de clientèle". Et quand certains poussent le cinisme en appelant ces mineurs de "crudité", c'est le comble de la dérive.

 

Une décision irréversible

 

Le phénomène de la prostitution et en particulier "le racollage sexuel" a conduit les autorités municipales à mener une étude sur la "recherche-action économique des racolleuses sexuelles de nationalité burkinabè de la commune de Ouagadougou".

Cette étude a fait beaucoup de révélations : 28% des racolleuses sont non scolarisées et 47% sont du niveau primaire ; 58% vivent dans des familles polygames ; 70% des parents ne savent pas que leurs filles sont racolleuses et 25% le savent. Si 61% ne font rien d'autre que le racollage, les autres mènent des activités comme la coiffure, la restauration et le petit commerce (vente de légumes, d'agrumes, de zoom-kom, arachides, habillement et articles de beauté...). Bien des raisons font que les travailleuses du sexe envisagent de mettre fin à leur activité : les maladies qui tuent ; la marginalisation, les humiliations ; la peur de ne pas avoir un mari ; l'activité rapporte beaucoup d'argent mais qui file entre les doigts ; la pratique esquinte le corps et entraîne un vieillissement précoce... La restitution de cette étude menée en 2003 a regroupé du 14 au 15 février 2008 une soixantaine de participants des départements ministériels, des institutions internationales spécialisées, des ONG et des médias.

Le maire de la ville de Ouagadougou, Simon Compaoré, a réaffirmé son engagement à fermer les chambres de passe : "c'est une décision qui va s'exécuter coûte que coûte car tous les arguments contre elle ne tiennent pas la route", a-t-il précisé.

Pendant les travaux, cette décision a soulevé des controverses. Certains participants ont estimé qu'elle n'est pas la solution idoine pour ce fléau alors que d'autres soutenaient le contraire. C'est ainsi qu'une motion de soutien à cette décision a été rejetée. On peut citer entre autres recommandations à l'issue des travaux : la mise en place d'un fonds communal de réinsertion socioéconomique des filles prostituées ; la prise par le gouvernement des mesures concrètes de protection de l'intégrité physique et morale des mineurs à travers l'application des textes et leur adaptation au contexte actuel ; le renforcement du parrainage au niveau national pour la prise en charge des mineurs ; la prise en charge des frais d'inscription et de formation des filles racolleuses  dans le programme de formation des 10 000 jeunes aux métiers et de 5000 jeunes en entreprenariat du ministère de la Jeunesse et de l'Emploi...

 

Abdou Karim Sawadogo

L’Observateur Paalga du 18 février 2008

 

 

ENCADRE 1

 

Bref aperçu sur l'historique de la prostitution à Ouagadougou

 

La prostitution a débuté à Ouagadougou vers les années 1930. Avant cela, on notait çà et là des enlèvements de femmes et des cas d'adultère. Les étrangères venues pour la pratique de la prostitution s'étaient installées autour des garnisons militaires à Ouagadougou dans le quartier Bilibambili devenu de nos jours cité AN III au secteur 13. Le choix de ce site n'était pas un fait du hasard mais s'inscrivait dans une logique de rapprochement de la clientèle européenne - Bilibambili était un quartier militaire et la clientèle était constituée à cette époque de militaires. La prostitution, évoluant avec l'introduction des filles burkinabè vers les années 40, se répendit très vite et attira un plus grand nombre. C'est ainsi qu'on a assisté à la naissance d'un second site à Kiedpalogo qui signifie en mooré "ceux qui sont récemment entrés", ceux qui viennent d'arriver".

La prostitution prit un tournant inquiétant avec l'apparition des bars et des cabarets. Le premier bar "le bar du commerce" fut ouvert en 1951 en face de l'ex-Bata. Dans ce bar, on rencontrait quelques prostituées françaises qui n'auraient pour client que les fonctionnaires européens installés à Ouagadougou.

Les hôtels et les salles de cinéma furent ensuite leur apparition. La prostitution des nationales aurait débuté vers 1952 à Ouagadougou. C'est au lendemain des indépendances qu'on a assisté particulièrement dans la ville de Ouaga et de Bobo-Dioulasso à une prostitution de mineurs voltaïques de moins de 13 ans avec pour clientèle des Européens moyennant une certaine somme d'argent.

A partir de 1970, sa pratique s'est intensifiée dans notre capitale pour diverses raisons : la dissémination des débits de boissons ; la création des chambres de passe ; l'arrivée massive des étrangères à la recherche de l'emploi ; la paupérisation croissante ; le goût de la mode et du paraître, etc.

 

A. K. S.

 

Sources : Etude sur la prostitution dans la commune de Ouagadougou : "Cas des mineurs burkinabè de 14 à 17 ans" de Marie Paule Compaoré/Kambou

 

 

ENCADRE 2

 

Fermeture prochaine des chambres de passe : des acteurs sociaux se prononcent

 

 

La dissémination des chambres de passe confondues à des bâtiments à usage d'habitation est sans doute un des facteurs favorisant le développement du plus vieux métier du monde. Si les autorités municipales se sont engagées pour la fermeture de ces sites, les acteurs sociaux sont partagés sur la pertinence d'une telle décision. Nous avons mis à profit cet atelier pour recueillir leurs sentiments sur la question.

 

Hermann Abouga, vice-président, Trait d'union des jeunes burkinabè :

Je crains le revers de la médaille.

Si le maire a pris cette décision, c'est sans doute pour améliorer les conditions de vie des populations de la ville. Mais il faut dire qu'en tant qu'acteurs de terrain, nous pensons qu'il y a bien de problèmes qu'il faudrait résoudre avant d'entamer cette décision.

La plupart des filles sont venues dans la prostitution du fait de leur situation de pauvreté ; elles partent dans les chambres parce que les clients le leur propose. Elles sont prêtes à exercer leur métier n'importe où. La fermeture des chambres peut entraîner la naissance d'une autre forme de racollage plus dangereuse. Sur tous les plans sur les sites, les structures arrivent à sensibiliser les travailleuses de sexe (TS) leur dispersion entraînera un récul dans la lutte contre les IST. On peut organiser la profession d'une autre façon en canalisant les racolleuses et celles qui sont sur les tabourets à des pratiques plus acceptables pour elle-même et pour la société. En tant qu'acteurs de terrain, nous sommes prêts à accompagner les autorités dans ce sens.

 

Jérémie Zongo de la direction régionale de l'Action sociale du Centre : "Les viols peuvent se multiplier"

 

Si on doit respecter les textes, une parcelle acquise à usage d'habitation ne peut pas être transformée en chambre de passe, parce que cela pose un problème d'éducation des enfants qui sont dans les environs, et cause bien d'autres nuisances aux citoyens. Mais il n'en demeure pas moins que cette perspective suscite des inquiétudes. Quand les gens ne sauront plus où aller vivre leur sexualité, les viols peuvent se multiplier. Il faudrait donc approfondir la réflexion car l'équation est complexe.

 

KK, prostituée de 34 ans :  "C'est la guerre"

 

Ceux qui veulent se "soulager" à Ouagadougou sont innombrables. Parmi eux, on compte des célibataires, des veufs, des hommes qui ont des problèmes de foyer, etc. Fermer les chambres de passe, c'est provoquer une guerre généralisée. Toutes les prostituées ne sont pas venues dans ce métier à cœur joie. A l'âge de 15 ans, on m'a mariée à un vieux qui avait déjà trois femmes. Quelques jours après, je suis revenue en famille et mon père m'a bannie. Je n'ai pas le choix que de gagner ma vie dans ce métier. Une telle situation ne peut pas nous désarmer. Au contraire, elle sera une excuse pour les gens de ne plus se cacher pour faire l'amour.

 

Z.C., prostituée de 44 ans

 "Nous mange dedans"

 

C'est une mauvaise décision, nous sommes nombreuses à manger dans les chambres si on les ferme il va falloir que nous trouvions d'autres lieux. Par la prostitution, j'ai pu soutenir mon premier fils aujourd'hui, commerçant d'engins à deux roues. Tous les maris que j'ai eus, c'est moi qui les entretient. J'en ai marre, depuis 5 ans, j'ai choisi de vivre seule.

 

Adama Conombo, psychologue à l'Action éducative en milieu ouvert : "Une décision salutaire",

 

C'est une décision salutaire qui participe à la lutte contre l'exploitation sexuelle des mineurs à des fins commerciales et non commerciales. Je pense qu'il faut aussi développer un certain nombre de programme de prévention, de réinsertion et de réhabilitation dans notre pays qui est devenu une plaque tournante de l'exploitation sexuelle. C'est un aspect qui participe à la lutte mais il faut des mesures d'accompagnement aussi bien en amont qu'en aval.

 

Marie Paule Compaoré, directrice de l'Action sociale et de l'Education de la commune : "Une décision conséquente"

 

Selon nos investigations, c'est un des facteurs favorisant la prostitution. Ces chambres dans une localité donnée incitent à la prostitution. Dès son premier mandat, le maire a entrepris une première démarche que nous avons trouvée inappropriée et nous avons attiré l'attention du Conseil municipal pour une démarche plus scientifique. C'est ainsi que nous avons rencontré les prostituées et recensé les chambres de passe dont les propriétaires recrutent des jeunes filles pour les besoins de la cause. Les racolleuses n'ont dit qu'elles seront obigées d'aller dans d'autres villes. Cette décision leur permet de réfléchir à des activités de substitution et nous permet de prévoir des mesures d'accompagnement. Certaines prostituées ont fait des chambres de passe dans les zones non loties, c'est vous dire que c'est un secteur qui rapporte, mais avec des conséquences dramatiques.

 

Propos recueillis par AKS

L’Observateur Paalga du 18 février 2008



18/02/2008
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