L'Heure du Temps (Blog d'Information sur le Burkina Faso)

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Rapport de la Cour des comptes : La colère noire de Simon

Rapport de la Cour des comptes

La colère noire de Simon

 

Vendredi dernier, pendant la conférence de presse du maire de la commune de Ouaga à l’hôtel de ville de ladite ville, les invités ne se sont pas du tout ennuyés. Il y avait une ambiance d’autant plus prévisible qu’ils avaient en face d’eux un tribun, Simon Compaoré, qui a piqué une de ces colères. «J’ai pris acte. MAIS…». C’est en ces mots que l’on peut résumer l’accueil réservé par le maire de la ville au rapport public 2005 de la Cour des comptes, qui avait épinglé la procédure de réhabilitation de l’hôtel de ville. 

 

Dans les invitations, il était précisé que les retrouvailles avec Simon et les maires d’arrondissements entraient dans le cadre des échanges périodiques avec les hommes de médias. Mais c’est évident que là où beaucoup attendaient le maire de la ville de Ouagadougou, c’est sur le contenu du rapport de la Cour des comptes, qui allait être certainement le plat de résistance en cette matinée de vendredi. Comme pour mettre les journalistes en appétit, le maire leur a d’abord servi les petits plats suivants : état de la réhabilitation du marché Rood Woko, aménagement des quartiers périphériques, réhabilitation de la nouvelle Maison des jeunes, de la maternité du secteur 19, plan d’adressage, réhabilitation du siège de l’Etat civil central, récentes missions à l’extérieur, opération «Ouaga la verte». Les maires d’arrondissements ont également fait un bref exposé sur les opérations de lotissement dans leurs zones respectives et l’état de leurs caisses. L’une des bonnes nouvelles, surtout pour les commerçants, c’est le dépouillement des appels d’offres pour la réhabilitation de Rood Woko, qui a été effectué le mercredi 18 juillet dernier et qui a désigné l’entreprise «Sol Confort et Décor» (qui avait perdu le marché de réfection de la mairie face à Fadoul Technibois)  pour sa reconstruction. Cette réhabilitation  coûtera 2 431 998 855 FCFA. Le plus intéressant dans tout cela est que l’organisme qui finance, l’Agence française de développement (AFD), a donné son feu vert. A écouter le maire, il ne reste plus qu’à lancer les travaux.

 

La preuve par les correspondances

 

Une fois la première tranche de questions sur ces sujets épuisée, le thème tant attendu est enfin arrivé : le rapport de la Cours des comptes. En rappel, les différentes démarches pour la réhabilitation de l’hôtel de ville ont abouti à la passation d’un marché entre la mairie et l’entreprise Fadoul Technibois pour l’exécution de travaux de réhabilitation d’un montant de 1 050 000 000 de francs CFA TTC. Comme concurrente, de Fadoul Technibois, il y avait l’entreprise Sol Confort et Décor (SCD) qui proposait 1 001 207 271 FCFA TTC. Et la Cour de se demander pourquoi après avoir retenu, dans un premier temps, l’offre de SCD comme la plus avantageuse pour l’administration du point de vue technique et financier, la commission d’attribution a préféré jeter son dévolu sur Fadoul Technibois ; et deux ans après, la réception du bâtiment n’était pas encore faite. Le contrôle effectué sur ce marché a révélé des irrégularités à différents niveaux du processus, à savoir dans : la désignation du maître d’œuvre, l’organisation de l’appel d’offres, le dépouillement des offres, l’enregistrement du marché et l’exécution des travaux.

Avant d’aborder ce vaste programme, le principal animateur du jour, avec cet air cérémonieux non dénué d’humour, a commencé par se débarrasser de sa veste. Il a tout de suite balayé d’un revers de la main la polémique sur le coût et l’opportunité de cette réfection : «Je vous rappelle qu’il est plus difficile de réhabiliter que de reconstruire. Mais je ne reviendrai pas sur ceux qui pensent qu’il fallait carrément construire un nouveau bâtiment. C’est l’instance communale qui en a décidé ainsi. Un point un trait». Et il a rappelé la nécessité de la préservation des patrimoines architecturaux comme la mairie de Ouagadougou et de bien d’autres édifices historiques. «Aujourd’hui, si vous dites de détruire le bâtiment principal de l’ancienne gare de Bobo pour reconstruire, vous trouverez beaucoup de gens sur votre chemin». Pour prouver qu’il a bien accueilli les conclusions de la Cour des comptes, le maire de Ouagadougou s’est aussitôt lancé sur la lecture d’extraits, souvent même dans leur intégralité, de multiples correspondances officielles qu’il a eues avec le premier président de la Cour des comptes, Boureima Pierre Nébié. Durant tout son exposé, il a tenu à préciser qu’il ne conteste et qu’il n’a d’ailleurs jamais contesté le contenu du rapport, encore moins la crédibilité de l’institution qui l’a rédigé. Au contraire ! Pour illustrer cela, il a lu sa lettre en date du 4 novembre 2004 adressée au Président de l’institution, correspondance dans laquelle il a positivement apprécié la mission de contrôle budgétaire et de gestion effectuée dans ses services: «…Je voudrais même vous exprimer ma satisfaction dans la mesure où ce genre de contrôle est formateur, pédagogique, et invite les ordonnateurs qui sont soucieux des résultats au respect des procédures. Je souhaite donc que votre mission de contrôle s’exerce assez fréquemment dans la Commune de Ouagadougou qui a la chance d’être à côté de vous. Tout en assumant toutes les erreurs qui ont pu être constatées dans la conduite de ce dossier, je me réjouis aussi, malgré l’absence de compétences (spécialistes de passations de marchés publics), des améliorations progressives faites dans ce domaine depuis la première mandature».

 

«On ne vend pas l’honneur en pharmacie»

 

Par contre, Simon Compaoré ne semble pas du tout content de ce qu’il considère comme un «jugement de valeur» qui est fait sur sa personne à propos de la passation du marché à Fadoul Technibois. En effet, dans le rapport, il est dit ceci : «Tout semble avoir été mis en œuvre pour qu’il (le marché) soit attribué à l’entreprise Fadoul Technibois». D’où son étonnement et sa frustration qui transparaissent de deux correspondances, qu’il a également parcourues pour l’auditoire. La première est une lettre officielle adressée au premier président de la Cour des comptes. «En effet, s’il est vrai qu’il y a eu des insuffisances dans l’organisation de l’appel d’offre, elles n’ont jamais été intentionnellement effectuées pour favoriser une quelconque entreprise… Je voudrais vous réaffirmer que je suis un élu pleinement conscient des enjeux que revêt l’utilisation des deniers publics et qui ne s’est jamais compromis avec qui que ce soit dans le cadre de ses obligations». La seconde, du 29 juillet 2005, Simon Compaoré l’a adressée au ministre de l’Administration territoriale de l’époque (Moumouni Fabré) qui, comme on le dit banalement, cherchait à comprendre. «Comme vous aurez à le constater dans mes deux lettres, j’ai répondu aux questions qui m’ont été posées en disant sincèrement comment les choses se sont passées. J’ai décidé également d’assumer toutes les erreurs et insuffisances constatées, et ce, en ma qualité de premier responsable de l’institution communale. Il ne fait aucun doute qu’à l’avenir et sur les dossiers de cette même nature, les mêmes lacunes ne pourront se répéter. Par contre, je dois avouer mon étonnement et ma frustration au sujet des jugements de valeur qui sont faits par la Cour à mon endroit. Qu’on nous souligne les erreurs et insuffisances relevées dans le traitement du dossier, nous ne pouvons qu'en prendre acte, mais qu’au-delà, on veuille simuler ces insuffisances et erreurs relevées comme étant la preuve d’une volonté délibérée de favoriser une entreprise donnée, comme le fait le président de la Cour des comptes, je ne peux l’accepter. Il y va de mon honneur, et si telle est la conviction de la Cour, je suis prêt à en répondre devant la juridiction de jugement ; l’honneur n’a pas de prix».

C’est donc un Simon avec son caractère sanguin et sa verve habituelle qu’il nous a été donné de voir dans la salle de réunions de l’hôtel de ville. Visiblement en colère, il s’exprimait à grand renfort de gestes. Parcourant document sur document, exhibant le rapport public 2005 et sortant des coupures de journaux qui ont relaté l’affaire, il tempêta tout en insistant  pour signifier qu’il ne remettait pas en cause le rapport : «Je respecte l’institution et son président. Mais je ne suis pas d’accord avec le jugement de valeur fait à mon endroit. Je n’ai pas fait des études en gestion de mairie. A l’université, j’ai plutôt fait l’économie pour gérer des entreprises. Je suis prêt à aller au tribunal. Et je ne chercherai pas d’avocat. Je pourrai me défendre moi-même. Je n’ai pas peur là ! On ne paie pas l’honneur en pharmacie. Une fois qu’on le perd, on ne peut plus l’avoir». Et le locataire de l’hôtel de ville de prévenir qu’après la présente conférence de presse, il ne va plus parler de la réhabilitation de la mairie. «J’attends maintenant. Moi, je ne parle pas avec la farine dans la bouche. Si j’étais un corrompu, on aurait eu le temps de le savoir. J’ai 27 ans de service et j’ai géré des fonds plus importants que ceux qui ont servi à la réhabilitation de la mairie».

Issa K. Barry

L’Observateur Paalga du 13 août 2007



13/08/2007
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