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Rapport de la Cour des comptes : Saint Simon ou la vertu outragée

Rapport de la Cour des comptes

Saint Simon ou la vertu outragée

 

«Un rapport qui tombe fait forcément du bruit ». Ainsi s’exprimait Boureima Pierre Nébié, le premier président de la Cour des comptes, lors de la conférence de presse qu’il a donnée le vendredi 27 juillet 2007 à l’occasion de la sortie de son rapport public 2005. Le magistrat ne pensait pas si bien dire.

La vague soulevée par le document n’est, en effet, pas près de s’estomper. Il faut dire que, une fois n’est pas coutume au Pays des hommes intègres habitué aux rapports vaseux, celui de la Cour des comptes, le deuxième du genre, jurait avec les propos convenus, la langue de bois et les circonlocutions diplomatiques. Un document quelque peu «révolutionnaire» avec des «trophées» de choix à l’image du général Tiémoko Marc Garango, premier Médiateur du Faso, le père de l’orthodoxie financière burkinabè, de la rigueur dans la gestion des finances publiques passée à la postérité sous le néologisme de «Garangose» (1). Et un autre qui se veut, lui aussi, un parangon de vertu : Simon Compaoré, le vibrionnant maire de Ouagadougou, épinglé pour la réhabilitation jugée exorbitante (1 milliard 50 millions de FCFA) de l’hôtel de ville, une somme astronomique qui avait déjà fait jaser en son temps.

Que Simon, l’enfant de Gounghin, le Tinguin-biiga (2) comme il se définit lui-même quelquefois, aime sa ville, personne n’ose en douter. On peut lui reprocher sa fougue débordante, ses «méthodes CDR» et tout ce qu’on veut, le fait est en tout cas établi qu’il se démène comme un beau diable pour développer sa ville-capitale sur les plans socio-économique, culturel, environnemental… Et de fait, il faut à l’honnêteté de reconnaître que Ouagadougou, depuis quelques années, a fière allure et une belle gueule, même si l’immensité de la tâche donne souvent l’impression que les périphéries sont délaissées au profit de la vitrine centrale.

Le drame de notre ami Simon, toujours prompt à déboîter au quart de tour, est qu’il a les nerfs à fleur de peau et qu’il ne semble pas souffrir la moindre critique. On en a encore eu l’illustration, vendredi dernier, au cours d’un échange avec les journalistes. Comme il fallait s’y attendre en effet, le rapport de la Cour des comptes est revenu sur le tapis et le bourgmestre n’est pas passé par quatre chemins pour dire tout le mal qu’il en pensait.

Morceaux choisis : «Je respecte l’institution (Cour des comptes) et son président. Mais je ne suis pas d’accord avec le jugement de valeur fait à mon endroit. Je n’ai pas fait des études en gestion de mairie. A l’université, j’ai plutôt fait l’économie pour gérer des entreprises. Je suis prêt à aller au tribunal. Et je ne chercherai pas d’avocat. Je pourrai me défendre moi-même. Je n’ai pas peur là ! On ne paie pas l’honneur en pharmacie. Une fois qu’on le perd, on ne peut plus l’avoir…J’attends maintenant. Moi, je ne parle pas avec la farine dans la bouche. Si j’étais corrompu, on aurait eu le temps de le savoir. J’ai 27 ans de service et j’ai géré des fonds plus importants que ceux qui ont servi à la réhabilitation de la mairie». Et patati et patata.

Que Simon se défende de ce dont on veut l’accabler, quoi de plus normal. Après tout, un rapport, fût-il celui de la Cour des comptes n’est jamais parole d’évangile et «l’accusé», qui qu’il soit, a quand même le droit de dire son mot. Ce qui est un peu gênant dans cette affaire, c’est le ton passionné et quelque peu exalté de Simon Compaoré, qui s’est mouché d’autant plus bruyamment qu’il s’est senti morveux. On nous dira certes que «c’est du Simon» pour qui connaît l’homme, c’est-à-dire quelqu’un qui est franc du collier et qui ne fait jamais l’économie d’une bonne bagarre, mais la responsabilité ne commande-t-elle pas de savoir raison garder et d’apprendre à se contrôler pour ne pas ruer systématiquement dans les brancards ?

N’y avait-il pas des formes plus appropriées pour une autorité comme l’édile de manifester son désaccord au lieu de cette envolée enflammée pour laquelle il a opté ? Que saint Simon, aujourd'hui martyrisée (3) par la Haute juridiction, soit au-dessus de tout soupçon telle la femme de César, alléluia ! Mais peut-il mettre sa main au feu ou donner sa langue au chat pour ce qui est de la probité de tous ses collaborateurs ?

Autant de questions qu’on est en droit de se poser surtout que ce faisant, le natif de Mankougoudougou (4), qui en fait, comme c’est souvent le cas, une affaire personnelle, instaure une sorte de guerre des institutions (Cour des comptes et l’Hôtel de ville en l’espèce) qui ne peut que le desservir. Quand on prône dans tous les discours le respect des institutions républicaines, ça passe aussi par le respect des actes que celles-ci posent dans l’exercice de leurs fonctions, quand bien même on  ne serait pas d’accord avec elles.

En faisant justement «du bruit» sur un pan du rapport, l’homme bouillant confirme les propos prémonitoires du magistrat de la Cour des comptes dont le travail n’a pas, pour une fois, servi à enrichir les tiroirs des rapports pendants.

Tant qu’on y est, s’il y a quelqu’un qui chaque matin passe sous les fourches Caudines de la presse, s’il y a quelqu’un qui est constamment, à tort ou à raison, traîné dans la boue, c’est bien Blaise Compaoré, mais si le président du Faso devait consacrer son temps à répondre à chaque critique, il ne ferait même plus rien d’autre. Certains de ses proches gagneraient donc à s’en inspirer même s’ils courent par ailleurs le risque de s’entendre dire qu’ils se foutent royalement des critiques.

 En vérité, si le document inédit de l’institution que dirige Pierre Nébié fait pousser autant d’urticaires, c’est que sous nos cieux les responsables politiques, administratifs ou associatifs ne sont pas encore habitués à ce qu’on leur remonte ainsi publiquement les bretelles.

Il faudra bien pourtant s’y faire car l’ancrage de la démocratie passe forcément par là, par l’humilité d’essuyer des critiques de temps à autre.

Pourvu qu’en s’attaquant aux gros poissons, le président de la Cour des comptes ne se noie pas dans les folles eaux de la scène politique burkinabè, à moins que lui aussi soit agrippé à du roc pour oser ainsi s’en prendre à des intouchables.

 

Cyr Payim Ouédraogo

L’Observateur Paalga du 14 août 2007

 

 

Notes :

(1) Néologisme qui désigne les méthodes austères et rigoureuses dans la gestion des finances publiques, forgé dans les années 60-70, du temps où le général Tiémoko Marc Garango était ministre des Finances de notre pays.

 

(2) terme signifiant en langue mooré un enfant du terroir

 

(3) Appelé également le "zélote", Saint Simon, apôtre de Jésus-Christ, mourut, selon la tradition, martyr, en Perse avec Saint Jude

 

(4) Un sous-quartier du secteur 9, situé dans les environs du jardin de la musique, Reemdoogo



14/08/2007
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