Relations franco-africaines : A rupture, rupture et demie
Relations franco-africaines
A rupture, rupture et demie
Après l’élection de Nicolas Sarkozy le 6 mai dernier, comme 6e président de la Ve République française, l’on se demandait qui serait le premier chef d’Etat africain, notamment du pré carré, à aller rendre visite à son homologue frais émoulu. C'est bien connu, ces princes qui nous gouvernent sont, en effet, toujours pressés d’aller sur les bords de la Seine boire l’eau de l’étranger quand un nouveau locataire s’installe à l’Elysée. Dans cette course de vitesse édition 2007, c’est finalement Ellen Johnson Sirleaf qui sera arrivée la première, rue du Faubourg Saint Honoré. Pour une surprise, c’en était plutôt une. Car le Liberia, ce n’est pas vraiment la Françafrique, et c’est sans doute aussi pour cela que cette visite était hautement symbolique. Mais, raison plus importante, Ellen Sirleaf est la première femme élue chef d’Etat en Afrique ; ensuite, elle a fait de la bonne gouvernance et de la lutte contre la corruption ses chevaux de bataille, ce qui ne doit pas déplaire à Nicolas Sarkozy, qui a promis d’épousseter les relations franco-africaines, quasi mafieuses. Et cerise sur le gâteau, cette ancienne fonctionnaire internationale, une libérale convaincue, a, pour le moins, des atomes crochus avec le nouveau champion de la droite française, lequel est, comme chacun le sait, l’ami des grands patrons du CAC 40.
Tout ce qu’il y a de présentable donc aux yeux des nouveaux maîtres de l’Hexagone, qui ont pour ainsi dire rabattu la vieille dame de 68 ans pour qu’elle fasse l’escale de Paris. Car, c’est d’Allemagne où elle séjournait que la présidente libérienne a fait le crochet hexagonal, qui n'était pas dans son agenda initial. Ce faisant, elle a presque coupé l’herbe sous les pieds à Omar Bongo Ondimba qui, en sa qualité de doyen des chefs d’Etat africains, était attendu le lendemain, et caressait, qui sait, le secret espoir d’ouvrir la liste présidentielle des invités de Sarkozy. Il se défend certes de s’adonner à une querelle de préséance du genre «c’est moi qui devais être le premier», mais on n’est pas obligé de le croire.
A bien y réfléchir d’ailleurs, on peut se demander si, en recevant, la veille, Ellen Johnson Sirleaf, l’Elysée ne s’est pas arrangée pour que l’hôte du palais de bord de mer ne soit pas le premier à fouler le Sarkoland. Ç'aurait, en effet, fait mauvais genre pour ceux qui prônent la rupture et la redéfinition des relations franco-africaines, d’adouber ainsi celui qui, quoi qu’on dise, représente la vieille Afrique, celle des réseaux, celle du désir d’éternité au pouvoir (ça fait 40 ans qu’il est aux affaires), celle de la mauvaise gouvernance et du manque de transparence, etc. C’est peut-être pour cela que le dernier dinosaure de la faune politique africaine a dû se contenter d’une deuxième place pour venir faire allégeance au petit chef blanc. Même si, comme il l’a affirmé à sa sortie d’audience, Libreville devrait être, lors de sa première sortie africaine, l’une des escales de Sarkozy président.
A Rupture donc, rupture et demie, car la révolution sarkozyenne a des limites objectives dans cette Afrique où ses petits amis milliardaires (Bolloré, Bouygue…) et de grands groupes français, comme Total, sont particulièrement présents et réalisent quelquefois jusqu’à 20 % de leur chiffre d’affaires. Et ça, ça peut assagir même le plus agité des présidents et mettre un bémol à la révolution diplomatique qu'il prétend vouloir mener dans le berceau de l'humanité.
Agnan Kayorgo
L’Observateur Paalga du 29 mai 2007
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