Si ce n’est pas de la torture, ça y ressemble fort
Présumés casseurs
Si ce n’est pas de la torture, ça y ressemble fort
Scène kafkaïenne au Tribunal de grande instance de Ouagadougou. Il est 4 h du matin. Au dehors, les coqs chantent. Entre deux bâillements, un jeune adolescent, présumé casseur du 28 février 2008, répond aux questions de la présidente.
Les autres, qui attendaient de relater les circonstances de leur interpellation ce jour-là, ne sont pas non plus de la toute première fraîcheur. Au contraire ! Ceux qui ont toujours un peu de retenue sont avachis sur les bancs des accusés.
Les autres, les traits tirés, sont carrément affalés dans les allées, dormant du sommeil …du présumé casseur. Les gendarmes et les gardes de sécurité pénitentiaire les observaient, les yeux également rougis par le manque de sommeil. C’est avant tout des humains.
Les membres du tribunal, eux, semblent se porter comme un charme. Même si de petits signes trahissent de temps en temps la fatigue généralisée. A l’extérieur, les parents des détenus somnolent. Certains d’entre eux, à l’aide de bouteilles d’eau minérale vides ramassées sur place, vont se servir au robinet d’à côté pour leurs ablutions afin d’exécuter la première prière du jour chez les Mahométans.
Pendant ce temps, pour les jeunes à la barre, ce sont toujours presque les mêmes rengaines. Le visage fixé au plancher de la salle d’audiences, ils ne reconnaissent pas les faits : « Mon papa m’avait envoyé … Je travaille avec mon grand frère qui est topographe et les « Naab-rambas » (surnom attribué aux agents de sécurité) sont venus me prendre devant la porte de l’atelier…
Je revenais du dispensaire où j’ai rendu visite à ma sœur malade… Je suis parti arroser des briques en ciment… ». C’est en effet dans cette ambiance que le tribunal a suspendu sa séance en ce petit matin frais, après avoir entendu les 169 prévenus. « L’audience est suspendue.
Elle reprendra après pour les réquisitoires », a déclaré la présidente du tribunal. Un petit nuage d’angoisse flotte dans la salle. Beaucoup, qui veulent bien piquer un petit somme, s’attendent visiblement à ce que la présidente dise plutôt que l’audience reprendra à 8h ou à 15h.
Le soleil du 11 mars 2008, quant à lui, qui ne demande l’autorisation de personne pour se coucher ou apparaître, a aussitôt commencé à poindre à l’est de Ouaga 2000. L’attente reprend aussitôt ses droits et bien des auditeurs se posaient cette question : pourquoi bon sang avoir joué ce genre de prolongation pour auditionner des prévenus qui, de par leur âge, se couchent généralement en même temps que les poules ?
Est-ce dans un souci de célérité judiciaire ou est-ce la spécificité de l’infraction qui a motivé le tribunal ? Mais quelle qu’en soit la raison, il n’était pas plaisant de voir ces adolescents vautrés sur les bancs, les paupières boursouflées par le manque de sommeil, ânonner pour finalement se rappeler leur emploi du temps du 28 février.
Si ce n’est pas de la torture, ce serait quoi alors ? A notre sens, le parquet aurait mieux fait d’étaler la durée du jugement sur plus de trois jours pour permettre aux uns et aux autres d’avoir l’esprit frais et dispos. Pourquoi pas ? Si tant est qu’ils en sont de présumés coupables.
Certes, le tribunal a eu la bonne idée d’installer un siège où les jugés pouvaient poser leur séant afin de répondre aux questions. Cette précaution fort louable n’est cependant pas suffisante si le mental des incriminés ne suit pas.
Bref, aujourd’hui, le vin a été tiré pour les présumés casseurs, qui l’ont bu. Et s’il y a un vœu que l’on pourrait émettre, c’est celui-ci : que cet exemple de célérité fasse tache d’huile sur les autres dossiers en justice, et bientôt, les tiroirs des bureaux des cabinets d’instruction, que l’on éprouve de la peine à faire coulisser, parce que plein de dossiers pendants seront bientôt vides pour le bonheur des justiciables. A ce moment, l’on pourrait dire que l’audience marathon des 10 et 11 mars 2008 était un mal nécessaire.
Barry K. I
L'Observateur Paalga du 12 mars 2008
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