Téléphonie mobile et alphabétisation : Quand l’une vole au secours de l’autre
Téléphonie mobile et alphabétisation
Quand l’une vole au secours de l’autre
"Si j'ai une voiture, j'ai intérêt à ce que personne n'en ait, pour éviter les embouteillages. Mais si j'ai un téléphone, et que personne d'autre n'en possède, alors ce téléphone ne me sert à rien". Ce que Jacques Attali, économiste français et ancien conseiller de feu le président français François Mitterrand, dit du téléphone fixe est aussi valable pour le téléphone mobile ou cellulaire ou encore portable. Vous imaginez aisément pourquoi. A quoi nous serviraient nos bigophones mobiles si nous n’avions personne avec qui communiquer ? Même jusque dans les contrées les plus reculées, il n’est pas un coin du monde où ce téléphone n’impose son signal.
Ainsi, nos petits nombrilismes africains qui consistent à souhaiter que personne ne puisse acquérir ce que nous avons déjà de sorte à pouvoir toujours nous considérer supérieur sont contraints de s’évanouir. Ainsi, c’est le type de progrès qui impose de fait l’activation des réseaux existants et est parfois source de création de nouveaux réseaux : des familles d’émigrés auraient volé en éclats si, par la magie du téléphone en général et du téléphone cellulaire en particulier, leurs membres n’étaient pas potentiellement en contact les uns avec les autres. Ainsi, on peut savoir comment se porte un proche et en cas de maladie ou d’accident voler à son secours ou prendre des dispositions à cet effet.
En plus de cela, le téléphone cellulaire permet la mobilité, l’accessibilité à tout moment et une souplesse à nulle autre pareille :
le téléphone mobile accompagne et suit son détenteur dans ses déplacements ; ce qui permet à ses relations (entourage social et professionnel) de le joindre sans avoir à composer plusieurs numéros.
N’y-a-il vraiment que des avantages ?
Cependant, comme tout produit du progrès, il ne suscite pas que de l’admiration :
• à l’instar de l’informatique, il a vu le jour d’abord à partir des motivations militaires et sécuritaires du monde occidental et s’est renforcé du fait des retombées financières escomptées dans un environnement économique libéral ; pour beaucoup d’opérateurs, tous les moyens sont, pour ce faire, bons pour avoir de l’argent ;
• des oreilles indiscrètes peuvent facilement capter les communications effectuées sur un téléphone cellulaire. Par conséquent, il peut être risqué de transmettre une information importante et confidentielle par ce moyen ;
• aujourd’hui, des études établissent de plus en plus des rapports entre l’utilisation du téléphone portable et les risques d’apparition de cancers ;
• les bandits de grands chemins (ou coupeurs de routes) communiquent plus facilement, mettent plus aisément en œuvre leurs plans et échappent sans difficulté au filet des forces de sécurité ;
• l’utilisation par temps de pluie peut, semble-t-il, provoquer la foudre.
Autant de problèmes qui font que si nul ne peut raisonnablement envisager le retour en arrière ou l’arrêt brutal du progrès scientifique et technologique en général et l’explosion de la téléphonie mobile cellulaire en particulier, on peut déplorer que les limites ainsi répertoriées ne soient pas toujours à l’ordre des préoccupations des décideurs et des scientifiques. Doit-on donc se résoudre à faire sienne cette citation de Nicolas-Edmée Restif de
En fait, il ne faut ni être résigné, ni jeter l’enfant avec l’eau du bain, car ce n’est pas tant le progrès en lui-même que son utilisation qui pose problème. Or, l’utilisation que l’on en fait est intimement liée à la personnalité de l’utilisateur, à ses intérêts, à ses motivations, aux pesanteurs auxquelles il est soumis…
Un allié des promoteurs de l’alphabétisation
Pour nombre d’Africains, et donc de Burkinabè, téléphone cellulaire a d’abord rimé avec signe extérieur de pouvoir (financier, administratif, politique). Aujourd’hui, même si une telle lecture n’a pas encore disparu des esprits dans un pays dont le PNB/habitant est inférieur à 400 dollars US (Association étudiants du Monde 2005), il n’y a pas de doute qu’avec une connexion à 400 000 francs CFA (environ 800 dollars US) en 1996, qui est tombée à moins de 5000 francs CFA (soit environ 10 dollars US) de nos jours, cette lecture a été sérieusement écornée : plus d’un million d’abonnés (selon des sources proches de Telmob) pour les trois opérateurs, comparés aux quelque trois cents de 1996, en dit long sur la place de cet outil dans la société burkinabè.
Cependant, il n’y a pas que les chiffres qui révèlent son importance. L’aspect quantitatif n’en est qu’un élément. Les autres aspects sont :
• le regain d’intérêt pour l’alphabétisation : ‘’Je vais aller suivre les cours d’alphabétisation pour pouvoir utiliser le portable que je vais acheter’’, nous a confié un de nos neveux au village, qui ne voyait point la nécessité de l’alphabétisation il y a peu. Utiliser le téléphone cellulaire suppose en effet que l’on sait lire. A défaut de savoir lire, il faut avoir la volonté d’apprendre à lire afin de surmonter le handicap. Et c’est là que les choses deviennent plus intéressantes, car les campagnes d’alphabétisation trouvent dans cette volonté un terrain favorable. Certes, avant le téléphone portable, l’intérêt de l’alphabétisation était déjà manifeste dans la maîtrise des nouvelles techniques culturales, mais il n’était pas aussi fort, du fait qu’avec ou sans alphabétisation et avec ou sans nouvelles techniques, il y avait le mode traditionnel d’exploitation de la terre. Or, dans le cas du téléphone cellulaire, il n’y a pas de répondant traditionnel. Ou on y est, ou on n’y est pas.
Il est vrai que certains utilisateurs mémorisent les numéros et les noms à leur façon, mais très fastidieuse et incertaine (risque d’oubli et impossibilité de communiquer ce ‘’savoir’’ à quelqu’un d’autre) est cette opération intellectuelle. La volonté qui naît ainsi de l’intérêt de maîtriser l’utilisation du téléphone cellulaire est une alliée puissante des promoteurs des politiques d’alphabétisation. Ces derniers gagneraient donc à intégrer cet outil dans les programmes et dans les campagnes de sensibilisation.
• Le niveau d’instruction : ‘’Depuis que j’ai le cellulaire, je sais lire a, o, i, b, …bien que je n’aie pas fait un jour d’école. Le jour où j’ai acheté le téléphone, j’ai demandé aux petits frères élèves de m’apprendre à lire petit à petit ce qui apparaît sur l’écran. C’est pourquoi aujourd’hui, je sais lire l’essentiel. Bientôt, je vais apprendre à écrire’’, disait un jeune agriculteur sur une radio FM de la place. Comme on peut s’en apercevoir, l’acquisition du portable ressemble fort à celle d’une voiture : tout comme on s’empresse de passer le permis de conduire dans le cas de la seconde, on est pressé de savoir lire dans le cas du premier.
• La maîtrise de la logique : le tout n’est pas de savoir lire ce qu’il y a sur l’écran. Encore faut-il comprendre et posséder la logique ou le mécanisme de fonctionnement de l’appareil téléphonique.
En somme, le téléphone cellulaire, en tant que moyen de communication, participe d’une certaine manière au renforcement des capacités des illettrés dont les moyens financiers et/ou les exigences professionnelles les incitent à souscrire à un abonnement. Cet engouement est, à l’évidence, parfois tempéré par les tarifs et surtout par le manque de courant électrique dans les villages pour la recharge des batteries des appareils, et il s’agit seulement d’un ralentissement et non d’un arrêt, car on se sépare difficilement du produit du progrès, du moment que nous avons acquis de nouvelles habitudes et de nouveaux besoins qu’eux seuls peuvent aider à satisfaire.
Zoodnoma Kafando
L’Observateur Paalga du 30 janvier 2008
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