Usage de faux extraits de naissance : "Fraude à Bobo"
Usage de faux extraits de naissance
"La fraude était visible et claire à Bobo"
La régularité des élections législatives du 6 mai 2007 à Bobo Dioulasso est remise en cause par certains acteurs de la scène politique. L’opposition, déçue, accuse implicitement les ténors du parti au pouvoir d’avoir grossièrement triché, notamment par l’usage massif de jugements supplétifs d’acte de naissance qui auraient été spécialement établis pour servir la fraude. On parle aussi des restants de cartes d’électeurs qui auraient été indélicatement soutirés à quelques heures du scrutin. Et cette fâcheuse expérience pourrait faire jurisprudence pour les prochaines élections, avec la proposition d’une relecture du mode de scrutin, formulée par les uns et les autres. Les dénonciateurs de cette fraude électorale souhaitent, pour plus de transparence, que ne soient utilisées lors des prochaines élections, que les seuls documents d’identification portant la photo de l’électeur. Nous avons tendu notre micro à quelques candidats de la province du Houet qui témoignent ici sur ce qu’ils ont vu et entendu le 6 mai 2007 dans les bureaux de vote.
Célestin Boyo Koussoubé : tête de liste ADF/RDA :
"En tant que candidat j’ai circulé dans les départements et surtout dans la ville de Bobo Dioulasso le jour du vote. Il faut avouer que nous ne sommes pas du tout fiers de la façon dont les élections ont été conduites. Pour moi, c’est extrêmement grave et je crois que c’est à vous ôter l'envie de faire de la politique. Je ne voudrais pas trop parler parce que, comme je l’ai dit à l’issue des dernières municipales, une fois que l’on donne les résultats et que vous vous prononcez par rapport à la fraude, les gens vont tout de suite y voir les paroles d’un perdant. Alors que la réalité est qu’il y a eu de la fraude avec des causes profondes. Je voudrais sincèrement demander à nos autorités de faire très attention au système des élections. Parce que la fraude est devenue aujourd’hui un moyen de glaner les suffrages. Et je pense que si on continue comme ça, un sentiment d’injustice va naître et grandir chez les citoyens honnêtes. Ces genres de situations amènent des problèmes qu’on n’arrive plus à gérer. Tout le monde a tendance à minimiser le problème, mais c’est grave ! Lors du scrutin du dimanche dernier, j’ai constaté que des actes de naissance ont été utilisés pour voter pratiquement dans tous les bureaux de vote à Bobo. Et ces actes de naissance sont tout neufs, ils venaient d’être faits. Les autorités politiques, la CENI, les CEIA et mêmes les candidats, tout le monde l’a constaté et on ne fait rien. Il y a des signataires pour ces actes de naissance. Et tout le monde sait que le Code des personnes et de la famille punit ces genres de comportements de la part d’officiers d’état civil. Mais je sais qu’on ne fera rien. Nous d’ailleurs, nous ne porterons pas plainte. Parce que nous pensons que ça ne vaut pas la peine. Puisque les gens ne comprendrons pas. Mais si ça continue, la réaction va venir de la population elle-même. Cela est d’autant plus inadmissible que la clairvoyance de notre président lui a valu d’être médiateur dans beaucoup de pays. Il a lui-même donné des conseils pour qu’il y ait apaisement et transparence dans les autres pays. On ne peut donc pas comprendre que dans son propre pays, la fraude soit érigée en système pour gagner les élections. Je pense que comme il l’a recommandé pour le Togo, il faut que chaque Burkinabè ait une carte numérisée avec sa photo pour pouvoir aller voter. Sinon, si on continue à utiliser le système que l’on connaît, franchement, je suis persuadé d’abord que des gens de bonne volonté comme moi ne vont plus se présenter et qu’un jour, ça amènera de sérieux troubles dans le pays. En tout cas, ce qu’on a vu à Bobo Dioulasso, ce n’était pas des élections. Je ne raconte pas d’histoires parce que tous ceux qui étaient sur le terrain ont vu ce qui se passait.
Parlant de fraude, vous accusez un parti ?
Vous savez, dans cette affaire, je ne peux pas accuser essentiellement un parti. Parce qu’il y a probablement d’autres partis qui fraudent. Moi je dirigeais la liste de l’ADF/RDA, ce qui est sûr, nous, nous n’avons pas fraudé. Et ça, c’est clair. J’ai personnellement appréhendé des fraudeurs que j’ai conduits à la gendarmerie. La gendarmerie sait quel parti fraude. C’est clair, il y a des preuves, le président de la CEPI, des CEIA, les gendarmes, etc. ont constaté eux-mêmes qui fraude. Mois je ne voudrais pas faire la polémique. C’est parce que vous insistez que j’en parle, sinon je ne voudrais même pas en parler une fois les élections passées. Car ça ne changera rien".
Déval Millogo : tête de liste UNDD
"Ce qu’on a vu dimanche à Bobo, est très grave pour le pays. Si les élections doivent se passer comme ça, je crois que ce n’est plus la peine de les organiser. A Bobo Dioulasso, la fraude était visible et claire. Tout le monde le voyait. Des restants de cartes d’électeurs ont été frauduleusement soutirées et des actes de naissance correspondant à ces cartes ont été établis avec des dates de signature qui se trouvent être des jours non ouvrables. Certains actes de naissance étaient sans cachet. Avec ces faux documents, des gens sont allés voter dans tous les quatre coins de Bobo Dioulasso. On a détecté trois zones essentielles de fraudes : Sarfalao, Bindougousso et Diarradougou. Il faut reconnaître que c’était très grave. Ces élections législatives étaient entachées de beaucoup d’irrégularités. Et si ça continue ainsi, on va déboucher à des situations des plus graves dans ce pays. Et tout cela est l’oeuvre du parti majoritaire qui se trouve actuellement être affaibli. Partout où nous sommes passés pendant la campagne, c’est le changement que l’on demandait. Et si dans les résultats on se rend compte que ce n’est pas l’expression attendue, il est clair que quelque chose ne va pas ! On n'a même pas besoin de tergiverser. C’était bien visible-là ! tout le monde l’a constaté hier ! (ndlr : dimanche 6 mai). Comme le chat et la souris, des gens se sont pourchassés ici à Bobo Dioulasso à cause de la fraude. Et même les présidents des bureaux de vote sont complices de cette fraude. Même les agents de sécurité ! Mais ça va pas ! Et pour que tout cela change, il ne doit plus être question d’utiliser lors des prochaines élections, autres documents d’identification en dehors de la carte d’identité avec la photo naturellement pour voter. Si l’on doit utiliser autres pièces, ce n’est plus la peine ! Je comprends maintenant pourquoi chaque fois l’opposition perd. Ça s’explique là !".
Nestor Batio Bassière : tête de liste UPS
"Les élections législatives du 6 mai à Bobo Dioulasso étaient loin, très loin d’être régulières. Il faut avoir le courage de le dire. Je crois que organiser des élections, c’est permettre au peuple de s’exprimer. Mais au Burkina Faso, on constate que les élections sont organisées et des gens font ce qu’ils veulent. C’est le lieu de dénoncer les cas de fraude qui ont entaché les élections de dimanche dernier. Moi personnellement, aux bureaux de vote sis au collège Tounouma garçon, j’ai pris des gens avec des extraits d’acte de naissance. C’était des gens qu’on a convoyés des villages. Ils étaient en possession de vraies cartes d’électeurs avec des jugements supplétifs d’actes de naissance. Nous avons pris les cartes et appeler les noms et nous nous sommes rendus compte que les intéressés ne reconnaissaient même pas les noms par lesquels on les appelait. Alors, nous avons fait appel, le président de la CEPI est arrivé, nous avons discuté. C’était trop flagrant. Comment comprendre que des centaines d’extraits d’actes de naissances soient établies le même jour ? Il y en avait qui étaient datées de 2007 ! C’est pour dire que la fraude était organisée depuis longtemps. Et j’accuse l’Administration ! Car je ne peux pas comprendre qu’un maire signe un extrait d’acte de naissance qui n’est pas conforme. Si nous continuons comme ça, je crois que nous créerons nous-mêmes les vrais problèmes parce que ça n’arrive pas qu’aux autres. Il faudrait désormais organiser des élections avec toutes les conditions de transparence et laisser libre cours à la population de choisir ses représentants.
Qui accusez-vous ?
Vous le savez vous-même parce que les choses sont suffisamment claires : Qui gère l’Administration ? vous savez très bien que les partis de l’opposition que nous sommes ne gèrent pas l’Administration. Nous accusons ceux qui gèrent les mairies car ce sont eux qui signent les extraits d’acte de naissance. Moi j’ai jamais signé d’acte de naissance. Celui qui a signé, ou plutôt celle qui signé les actes de naissance est candidate ! vous comprenez ! Allez-y savoir si ces actes de naissance sont enregistrés sur l’état civil de la mairie ! Ce sont autant d’enquêtes que l’on peut faire pour situer les responsabilités.
Que faire pour que tout cela change ?
Pour les prochaines élections, je pense que si l’on doit continuer à utiliser les extraits d’acte de naissance ce n’est pas la peine. Il faut des cartes d’identité numérisées avec photo. Ainsi, nous pensons qu’il sera difficile pour les faussaires de fabriquer cent à deux cents CIB. Sinon, si nous continuons les élections avec les extraits d’acte de naissance, ce sera tan pis pour notre démocratie car nous n’allons pas réellement permettre à nos populations de s’exprimer".
Amidou Sidibé : tête de liste CFDB
"Compte tenu de ce qu’on a vu le 6 mai, je dois dire de façon claire que les élections à Bobo doivent être reprises. Si nos délégués dans les bureaux de vote ont été empêchés de faire correctement leur travail, c’est parce nous avons constaté très tôt, qu’il y avait un vote partisan en préparation. Que ce soit au niveau des présidents des bureaux de vote ou que ce soit du côté des assesseurs, tout était réuni pour que ne puissions pas gagner les élections alors que nous avons abattu un travail de fond qui pouvait nous amener à partager les sièges de Bobo. Si seulement on pouvait reprendre ces élections sans les actes de naissance, nous pensons que les résultats que nous avons actuellement ne pouvaient que être partagés. Mais il y a eu utilisation d’actes de naissance établis la veille sans numéro, juste pour ces élections. Nous accusons la CENI qui a laissé les restes des cartes d’électeurs à la disposition de certaines personnes. Le jour du vote, j’ai moi-même pourchassé des gens qui étaient en possession des lots de cartes d’électeurs et des actes de naissance. Ils ont pris leur jambe au cou. Des gens peuvent témoigner à travers les quartiers. Pour les prochaines élections, il faut faire en sorte que les gens ne puissent plus voter avec des actes de naissance, ni des livrets de famille. Ce sera tant mieux pour notre démocratie. Dimanche dernier, des jeunes de 17 et 16 ans ont voté à Bobo Dioulasso. Même des morts ont voté. C’est par rapport à tout cela que nous disons que les résultats de ces législatives sont loin de refléter la réalité du terrain".
Alfred Sanou, 2e de liste CDP
On peut se féliciter du fait qu’il n’y ait pas eu de problèmes majeurs pendant le déroulement du scrutin. Je veux dire qu’on est satisfait du fait qu’on n’ait pas signalé de cas d’échauffourées notoires. Il faut toutefois déplorer le fait que pour ces législatives, comme c’était d’ailleurs le cas pour les dernières élections, beaucoup d’électeurs n’ont pas eu leur carte dès le départ. J’ai vu des électeurs qui sont venus avec leurs cartes des dernières élections mais qui n’ont pas retrouvé leur carte marron pour les législatives. J’en ai aussi rencontré qui avaient leur nouvelle carte mais qui n’avaient pas leur nom sur les listes. Ceux-là n’ont donc pas pu voter. Tout cela, c’est une défaillance de la CENI. En dehors de tout cela, il faut dire que le fichier électoral mérite d’être épuré. Ça fait bientôt une dizaine d’années que le fichier porte les mêmes noms comme s’il n’y avait pas eu de décès ou autres changements. Il faut aussi reconnaître par ailleurs que le vote avec les extraits d’acte de naissance permet de frauder. Nous avons constaté des tentatives de fraudes lors de ces législatives. Ça, c’est une défaillance de notre système électoral et je crois qu’il faut songer à le changer. Il faudra déjà tendre vers un système qui exige le vote rien qu’avec les pièces d’identité portant la photo de l’électeur. Cela réduirait la tricherie. Pendant le vote du 6 mai dernier, on a effectivement appréhendé des véhicules transportant des gens avec des lots de cartes et qui partaient très probablement pour des fraudes. En dehors de tout cela, on peut dire que de façon générale, le scrutin s’est très bien déroulé. En terme de résultats et par rapport à mon parti, le CDP, il faut dire qu’on s’attendait à avoir 4 ou 5 sièges, mais nous nous sommes malheureusement contenté de 3. Je crois que nous avons été victimes du mode de calcul. Car le CDP s’est retrouvé avec plus du double de l’ensemble des voix des trois autres partis qui ont pourtant eu chacun un siège. Je crois qu’on doit changer ce système de calcul qui, à mon sens n’est pas très juste. Les députés élus sur cette base n’ont pas la même représentativité. Même si on a adopté ce système à un moment donné, il faudra bien qu’on avance vers un autre système plus démocratique et plus représentatif".
Propos recueillis par Paul-Miki ROAMBA
Le Pays du 10 mai 2007
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