«Est-ce qu’on peut payer pantalon dans avion ?»
Rapatriement de réfugiés libériens
«Est-ce qu’on peut payer pantalon dans avion ?»
Hier, 59 réfugiés libériens qui vivaient au Burkina ont décollé pour rejoindre leur pays natal. Cette opération de rapatriement a eu lieu par le truchement du Haut-Commissariat des réfugiés et de la Commission nationale pour les réfugiés (CONAREF). Au moment du départ, la joie le disputait à l’amertume chez ces personnes qui n’ont visiblement pas réussi dans leur pays d’accueil et ne savent pas non plus ce qui les attend de l’autre côté.
Rien qu’à la voir et à l’écouter, l’on se convainc que la Libérienne Christine Zambo, 34 ans, en a vu de toutes les couleurs. Avec sa tenue défraîchie sur son corps amaigri, ses yeux qui ont perdu de leur éclat, ses dents jaunies certainement par la cigarette de l’angoisse, elle semble porter la poisse et le statut de réfugié dans la peau. Quand on l’écoute raconter, avec des trémolos dans la voix, son parcours depuis son Liberia natal, la tristesse vous étreint immanquablement : «Quand ils (Ndlr : les rebelles) sont entrés dans notre cour, ils ont tué tous mes parents sous mes yeux. J’ai eu la vie sauve en escaladant le mur. Je me suis d’abord enfuie en Côte d’Ivoire. Entre-temps, avec la guerre là-bas, ça n’allait pas et j’ai continué au Burkina par le truchement de l’Opération Bayiri. Le malheur ne venant jamais seul, j’ai aussi perdu mon enfant, qui avait 4 ans, dans ce nouveau pays d’adoption». Mais malgré les épreuves, et bien que n’ayant même pas «cinq francs en poche», la menue Christine semble visiblement soulagée de rentrer dans le pays qui l’a vu naître. Au pays de Johnson Sirleaf, a-t-elle fait remarquer, les affaires reprennent : «Tu peux facilement réussir tout ce que tu entreprends», présage-t-elle avec un brin d’optimisme.
Une affaire de 20 000 FCFA qui a failli dégénérer
Et Christine n’est pas la seule réfugiée au Burkina à avoir une histoire du genre à raconter. Comme le dit la chanteuse originaire du Congo, Pierrette Adams : «Chacun a son histoire». Même si tous les interlocuteurs ont loué l’hospitalité des Burkinabè envers ces étrangers, débrouillardise, souffrances physique et morale semblaient être leur lot quotidien pour survivre au pays des hommes intègres. Beaucoup ont par exemple confessé avoir, au début de leur séjour, mendié pour obtenir leur pitance quotidienne. Pour les femmes du groupe, c’était une toute autre histoire. Avec un passé si difficile, il est évident que la nervosité est à fleur de peau et une bagarre est vite arrivée. La preuve, à l’aéroport, certains d’entre eux ont failli en venir aux mains pour une affaire de 20000 francs CFA, qu’un généreux donateur a offerts au groupe. Celui qui a réceptionné la somme ne voulait pas visiblement la partager avec les autres et a mis les billets dans ses …sous-vêtements. Il a fallu l’intervention énergique de leur délégué, qui, soit dit en passant, reste au Burkina, pour qu’une paix précaire revienne. Avant cet incident, il y a d’ailleurs eu un autre : des réfugiés visiblement mécontents de leur traitement à l’aéroport en voulaient surtout au CONAREF. Conséquence : on vociférait et on gesticulait à n’en pas finir. A l’instar de ce réfugié qui a pointé son doigt vers les officiels : «Depuis ce matin, on n’a pas mangé et nous n’avons pas d’eau à boire. Nous ne sommes pas des animaux !».
Le rapatriement concerne 54 personnes dont 9 femmes et 11 enfants. Tous sont libériens. Dans l’opération, il était également prévu des réfugiés sierra léonais, mais au dernier moment, les autorités de ce pays ont demandé le report du retour de leurs compatriotes, compte tenu du fait que des élections s’y tiendront prochainement. Mais est-ce de leur plein gré que ces messieurs et dames retournent chez eux ? Réponse de Der Somda, coordonnateur de la Commission nationale pour les réfugiés (CONAREF) : «Absolument ! On n’oblige jamais un réfugié à quitter son pays d’adoption. Ils viennent s’inscrire librement. Le volontariat est le principe». N’empêche. Car bien qu’ils quittent le Burkina de leur plein gré, il n’en demeure pas moins que la grande joie n’était pas au rendez-vous ; beaucoup ont même affirmé ne pas savoir ce qui les attend au pays. Vont-ils retrouver leurs parents qu’ils ont perdus de vue depuis des années ? Pourront-ils se recaser avec les 100 dollars par personne qu’on va leur donner une fois dans l’avion ? Autant de questions qui font que la tension est perceptible sur les visages de ces futurs passagers qui n’attendent que le gros avion peint aux couleurs de l’ONU.
Retour dans la joie et…l’ amertume
Certes, ceux-ci partaient de leur propre gré. Mais il y en a qui restent au Burkina contre leur gré. Pourquoi ? Parce qu’ils sont en prison, pardi ! Eh oui ! Et leur compatriote Dominique Baysah, qui était sur le départ, se préoccupait beaucoup de leur sort. Selon les informations reçues sur place, ils sont une vingtaine de Libériens incarcérés à Ouaga, à Bobo, à Koupéla et même à Bitou pour diverses raisons, comme le vol, la bagarre ou pour des affaires qui ont mal tourné. «Rien que ce matin, a précisé Dominique Baysah, il y a un de nos compatriote qu’on amenait en prison, devant nous, pendant que nous montions dans le bus pour l’aéroport. Beaucoup sont aussi morts ici à cause de la drogue. C’est en grande partie le désœuvrement qui les a conduits dans ces comportements répréhensibles». Afin donc de leur donner une seconde chance dans la vie, l’altruiste Dominique suggère qu’on permette à ces prisonniers de rejoindre leur pays, même s’il reconnaît qu’ils ont commis des délits de droit commun.
Aux environs de 11 heures, l’aéronef tant attendu est enfin arrivé. A l’appel de son nom, chaque réfugié se présentait à la porte d’entrée avec son laissez-passer. D’ailleurs à observer les bagages des uns et des autres, on se rend compte que la prospérité n’a pas été au rendez-vous : vieilles sacoches, matelas élimés, etc. Même la tenue de voyage portée par chacun pour un aussi important déplacement laissait à désirer. Sur leur situation, un interlocuteur s’est ouvert à nous en ces termes. «Nous rentrons parce que c’est notre pays. En d’autres circonstances, je n’arriverais pas chez moi dans cet état. Voyez vous-même mon pantalon ! Même si on nous a promis une petite somme une fois qu’on aura embarqué dans l’avion, le mal est déjà fait ! Est-ce qu’on peut acheter pantalon dans avion ?»
Issa K. Barry
L’Observateur Paalga du 27 juin 2007
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