Affaire Michel Congo
Saybou Ouédraogo, acquitté dans l'affaire Michel Congo
Un procès aux allures d'audience de divorce
Ce n'est pas Saybou Ouédraogo qui a tué le jeune journaliste Michel Congo, dans la nuit du 21 octobre 2001, même si ce dernier entretenait depuis longtemps une liaison amoureuse avec son épouse Annick Ghislaine. C'est la conclusion à laquelle a abouti la cour, présidée par le juge Fatimata Lori, au terme d'un procès contradictoire qui a duré un peu plus de 17 heures d'horloge. C'était le 9 décembre 2006 à Ouagadougou au deuxième jour de l'ouverture des Assises criminelles de la Cour d'appel. L'accusé, Saybou, a donc été purement et simplement acquitté.
Nous voyions donc venir la chose lorsque dans notre compte-rendu de la conférence de presse du procureur général du 5 décembre 2006, nous écrivions dans notre édition du lendemain en page 25 à propos de l'affaire Michel Congo : "Une enquête contre X a été ouverte, et de fil en aiguille, X est devenu Saybou Ouédraogo. Ce dernier était sous mandat de dépôt, mais a fini par bénéficier d'une mesure de liberté provisoire. Serait-ce là les prémices d'une éventuelle relaxe pure et simple de l'accusé ? On sera définitivement situé ce samedi 9 décembre 2006".
Ce qu'on pressentait a en effet fini par arriver : Saybou Ouédraogo, poursuivi pour meurtre, a donc été acquitté parce qu'aucune preuve matérielle ne le mettait formellement et irréfutablement en cause. C'est en tout cas, à ce stade, l'aboutissement judiciaire de ce dossier qui avait captivé toute la république depuis ce maudit 21 octobre 2001.
On se souvient tous que c'est dans la nuit du dimanche 21 octobre 2001 que Michel Congo, alors étudiant en journalisme et professant au quotidien 24 Heures, a été retrouvé, peu après 22 heures, sans vie et baignant dans son sang dans sa chambre au secteur 28 de Ouagadougou. Le rapport d'autopsie a montré que ce jeune homme de 23 ans avait été mortellement agressé au moyen d'objets contondants et d'une arme blanche (probablement un couteau).
Comme une traînée de poudre, la mauvaise nouvelle s'est répandue partout dans la ville. L'indignation était à son comble d'autant plus qu'on venait d'agresser à mort, une semaine plus tôt, le vénérable Père Celestino Di Giovambattista.
Alertée, la gendarmerie a ouvert une enquête et une information judiciaire contre X a été mise en route. Après plusieurs auditions, le juge d'instruction a fini par décerner un mandat de dépôt à l'encontre de Saybou Ouédraogo, agent commercial à la SODIBO et époux d'Annick Ghislaine, au moment des faits étudiante au département d'Arts et Communication à l'université de Ouagadougou. C'était le 19 mai 2003. L'inculpé bénéficiera d'une mesure de liberté provisoire le 31 mars 2004.
Selon le contenu de l'arrêt de renvoi en date du 12 avril 2006 qui justifie la présence de l'inculpé devant la chambre criminelle de la Cour d'appel, le regretté fréquentait assidûment Dame Ouédraogo Annick Ghislaine Zoungrana et entretenait avec elle des rapports intimes. Cette "liaison dangereuse" et coupable, antérieure aux fiançailles d'Annick et de Saybou, avait persisté après le mariage légal du couple le 30 décembre 2000.
Si l'époux n'était pas un exemple de vertu, puisqu'il avait continué à mener une vie comparable à celle d'un célibataire, l'épouse non plus ne l'était pas, car elle avait continué à voir Michel même après son hyménée. Cette relation a été prouvée par les courriers électroniques échangés par les deux tourtereaux. Le contenu de cet abondant courrier est révélateur de leurs rapports amoureux.
"Non, mon mari n'est pas l'auteur de cet assassinat"
L'arrêt de renvoi a, de ce fait, soutenu que c'est un mari cocu et jaloux qui a planifié et mis fin aux jours de ce partenaire qui était évidemment de trop au sein du couple. Un crime passionnel donc.
A la barre, l'accusé a plaidé non coupable avant de décliner son programme du 21 octobre 2001 : sommeil dans la matinée, visite à la belle-famille, virée avec son épouse et sa belle-sœur pour boire un coup et manger de la grillade, retour à la maison vers 21 heures, somnolence dans le divan puis sommeil dans la chambre. Autant dire un alibi en béton.
Il dit avoir appris la mort de son rival le lundi 22 octobre par sa femme : "On dormait, son téléphone a sonné, elle a décroché puis a crié en m'annonçant que Michel est mort. Elle pleurait, elle s'est habillée et est partie au domicile du défunt. Je ne l'ai pas accompagnée, je suis allé à mon service". Il a avoué connaître Michel "qui était dans la même classe que ma femme. Il venait à la maison voir mon épouse bien avant notre mariage et elle aussi allait chez lui". La victime était donc connue et tolérée chez les Ouédraogo. Dans ces conditions, pourquoi n'être pas allé à ses obsèques et saluer sa famille ? "Il n'était pas un ami commun à moi et à ma femme. De plus, je ne me rends pas chez les amis de mon épouse quand ils ont des problèmes".
A la question de savoir si Michel était une menace pour son foyer, car il pouvait, à terme, lui ravir sa femme, il a répondu : "Je n'ai jamais été inquiété par Michel. Et je n'ai jamais su qu'il sortait avec mon épouse. Je n'avais donc aucune raison de lui en vouloir". Pour apprécier ses déclarations, Annick, le témoin clé dans cette affaire, a été appelée à la barre.
Sans détour, elle a confessé sa relation coupable avec notre défunt confrère qui était pourtant son cadet de 4 ans. Le mari vandage a commencé bien avant qu'elle ne convole et s'est poursuivi après parce que "j'avais de l'affection pour lui, il était gentil et intelligent. Mais mon mari ne savait rien de cette liaison. Au dernier anniversaire de Michel, je lui ai offert 3 pagnes et une carte de vœu". Pendant que sa tendre moitié confirmait ses infidélités, Saybou Ouédraogo, tête baissée et certainement très embarrassé, se prenait souvent la tête entre les mains. Personne, en effet, ne souhaite qu'on déballe ainsi ses secrets d'alcane.
Toutefois, Annick a soutenu l'agenda du 21 octobre de son mari : "Nous sommes restés ensemble toute la journée. C'est quand on est arrivé la nuit chez nous que je l'ai quitté pour aller naviguer dans un cyber. Je n'ai pas fait plus de 15 minutes. A mon retour, il était couché dans le divan. J'ai regardé un feuilleton à la télé : "Melrose place". Après, on est rentré se coucher. Quand j'ai appris la mort de Michel, je n'y croyais pas. Sa disparition ma beaucoup affectée, je ne mangeais pas et n'arrivais pas à dormir".
"Votre mari pouvait-il être l'auteur de cette mort ?", interroge la Cour : "Je ne pense pas que mon mari soit l'auteur de cet assassinat". Mais Annick avait sa petite idée sur ce meurtre. Se fondant sur la rumeur, elle a énoncé trois pistes possibles : celle liée à l'assassinat du Père Celestino ; une deuxième, relative à un jeune qui se disait être un enfant naturel du papa de Michel et la troisième, qui fait cas de deux personnes qu'un mécanicien aurait vu entrer dans la cour de la victime.
"Michel n'était pas un proche du Père Celestino"
Entre deux confessions, Annick a versé quelques larmes lorsque dans son témoignage elle évoquait la mort de son amant. Ce fut aussi le cas d'Odette Congo, la sœur aînée du défunt. Son petit frère habitait avec elle depuis qu'il est arrivé de Dakar pour sa première année d'université. "J'étais allée passer le week-end chez mon fiancé si bien que c'est aux obsèques du père Celestino le 20 octobre que j'ai vu Michel pour la dernière fois. Après le feuilleton "Melrose Place", mon copain m'a ramenée à la maison. La porte était ouverte, il n'y avait pas de lumière au salon ; par contre, il y en avait dans la chambre. Je voyais ses pieds qui débordaient du lit. Vu que notre télé n'était pas au salon, j'ai supposé qu'il était entré avec dans la chambre pour bien suivre une émission. C'est pour cela que je lui est lancé un : "alors, on joue au boss". Il n'a pas répondu. Intriguée, je me suis précipitée dans la chambre. Il y avait du sang partout. Mais la chambre était en ordre. J'ai crié en sortant : on a tué Michel. Mon copain a appelé son frère qui est médecin. Il a accouru et après avoir vu le corps, il a dit : c'est fini, il est mort".
Alertée, la gendarmerie se déporta sur les lieux. Le ou les agresseurs n'ont rien emporté si ce n'est le petit poste de télévision noir et blanc alors qu'il y avait une moto P50, un vélo et un billet de 5000 Fcfa posé sur la table.
Interrogée sur la nature des accointances entre Michel et Annick, Odette soutiendra que pour elle, c'était des relations d'amitié, de camaraderie. "Les deux se fréquentaient depuis que Michel était en première année. Au fil du temps, il y a eu des comportements qui m'ont amenée à me poser des questions. Annick était très attentionnée et lui faisait de petits cadeaux. Mais comme elle était plus âgée que mon frère, je me disais qu'il n'y avait rien. Quand elle s'est mariée, ça me dérangeait qu'elle continue à venir assez souvent chez nous".
Odette a aussi affirmé que si c'était vrai que Michel était choriste à la paroisse St Camille, "ce n'est pas juste de dire qu'il était un proche du Père Celestino". Cette affirmation sera confortée par tous les choristes passés déposer leur témoignage à la barre. Plus d'une cinquantaine de témoins étaient cités à l'audience. Parmi eux, six journalistes exerçant aujourd'hui à L'Observateur Paalga (Cyr Payim Ouédraogo), à Sidwaya (Gabriel Sama), aux éditions Le Pays (Parfait Silga et Taoko Hervé) et à L'Indépendant (Dieudonné Soubéiga et Elie Kaboré).
Soubéiga refuse de se dédire
De ce lot d'hommes de médias, c'est Dieudonné Soubéiga qui durera le plus à la barre. Les avocats de la défense, constitués des cabinets René Adolphe Ouédraogo et Prosper Farama, ont beaucoup critiqué un article qu'il avait publié et dans lequel il écrivait noir sur blanc que le crime passionnel était le mobile de l'assassinat de Michel. Notre confrère est resté ferme sur sa position en maintenant ce qu'il avait écrit avant. Face à la multitude de questions qui pleuvait sur lui, Soubéiga a répondu comme il pouvait sans une fois se dédire. Mais ça n'a pas été le cas de nombreux témoins. En effet, à la barre, beaucoup sont devenus amnésiques ou sont carrément revenus sur leurs déclarations faites lors de l'enquête préliminaire ou devant le juge d'instruction. Il était 21h30 lorsque le dernier témoin a fini sa déposition.
A la demande de l'avocat de la partie civile, Me Apollinaire Kyélem, la présidente de la cour a procédé à la lecture des courriels que Michel et Annick ont eu à échanger. Pendant cette lecture, on voyait Saybou boucher ses oreilles pour ne pas entendre le contenu de ces e-mail qui n'étaient pas, comme on peut le deviner, à son honneur.
Il était 22 heures lorsque Me Kyélem a ouvert le bal des plaidoiries. Il a commencé par émettre plusieurs hypothèses qu'il s'est attelé à détruire au fur et à mesure. Ni le crime crapuleux, ni le vol (seule la télé noir et blanc a été emportée), ni la profession journalistique, ni le fait qu'il pouvait être proche du père Celestino, ni le statut d'étudiant de la victime ne peuvent être les raisons de son assassinat. Alors, pour l'avocat, ce procès a montré suffisamment que Michel avait des relations coupables avec Annick, une femme mariée.
C'est Saybou qui avait intérêt à sa disparition puisqu'ainsi, il gardait sa femme pour lui seul. "Voilà pourquoi il a froidement calculé et exécuté son coup : un crime passionnel". Considérant la violence de cet assassinat (Ndlr : la victime portait 17 blessures sur le corps), Me Kyélem a enfoncé le clou si on ose dire en affirmant que "les crimes passionnels se caractérisent par leur cruauté". Et de plus, après avoir entendu les appréciations que les voisins ont faites de l'accusé, "on ne peut plus être étonné qu'il puisse commettre un assassinat de ce genre".
Annick pour qui tout est arrivé
La difficulté de ce dossier est l'absence de preuves tangibles. Mais l'avocat de la partie civile a cité de nombreux exemples de procès similaires à travers le monde, où, malgré le manque de preuves matérielles, on a pu démasquer de grands criminels. En effet, "quand les indices sont bien exploités, on peut confondre le criminel. Le coupable ici, c'est bien Saybou qui voulait garder Annick pour lui seul, Annick pour qui tout est arrivé". Me Kyélem a demandé à la cour de le condamner, car "Si Saybou reste en liberté, ce serait regrettable à plusieurs titres. Si on acquitte cet homme qui sait bien exécuter les crimes, on court le risque de le voir affiner ses méthodes. Et dans ce cas, la société sera dans une telle insécurité car on ne saura jamais quand et où il va frapper. Saybou est un homme dangereux. Alors il faut que sa passion criminelle, son énergie maléfique et destructrice soit utilisée contre les murs d'une prison et non contre des humains comme Michel Congo".
Dans ses réquisitions, l'avocat général a abondé dans le même sens que la partie civile en soutenant que tous les éléments constitutifs d'un assassinat sont réunis et accusent Saybou Ouédraogo qui connaissait la nature des liens entre sa femme et le supplicié. "Il a profité de cette mort pour avoir sa femme pour lui seul et son attitude après le décès le prouve. Il y a aussi la barbarie et la violence du crime qui montrent qu'il est de nature passionnelle".
Seulement, en "considérant l'heure et le lieu de la commission de ce meurtre, il est impossible que Saybou en soit l'auteur. Il ne pouvait pas aller commettre le forfait et revenir si vite chez lui en moins de 15 minutes, même si nous restons convaincus qu'Annick a passé plus d'un quart au cyber cette nuit-là. Face à tout cela, le ministère public recule, car il ne peut pas soutenir l'accusation. A la barre, aucun témoin n'a affirmé que Saybou a quitté son domicile aux environs de l'heure de la commission du crime".
"Une instruction bâclée"
C'est pour cela que l'avocat général a estimé qu'il n'y avait pas assez d'éléments pour établir la culpabilité de l'accusé. Cependant, le parquet a laissé la liberté à la cour d'apprécier les faits et de condamner au besoin Saybou. Il lui a aussi laissé le soin d'appliquer la peine qu'elle voulait étant entendu que le crime d'assassinat est passible de la peine de mort.
Les avocats de la partie civile ont présenté leurs plaidoiries en deux phases. D'abord, Me Hermann Minoungou du cabinet René Ouédraogo a renouvelé leur compassion pour la perte de Michel Congo. Mais il a battu en brèche les arguments du parquet et de la partie civile. Pour lui, "c'est à défaut que le juge d'instruction a instruit dans le sens du crime passionnel". Mais cette accusation ne peut pas prospérer contre Saybou que rien n'accuse formellement à part les "on dit", les "il paraît"...
Pour Me Prosper Farama, le but du procès pénal n'est pas de trouver un coupable coûte que coûte, mais d'établir la vérité. Et s'il n'y a pas de coupable, on ne condamne pas un innocent. En considérant le déballage de la vie intime du couple Ouédraogo, Me Farama a dit sa désolation, car depuis le début de ce procès, "on a eu l'impression qu'on était à une audience de divorce alors que le procès en ce jour est une affaire de crime".
Et l'avocat de se demander si le couple Ouédraogo pourra survivre après tout ce linge sale lavé en public. Une situation due, selon lui, à une instruction bâclée. Pour lui, le mobile du crime ne suffit pas à montrer que Saybou est coupable. Voilà pourquoi il a demandé à la cour d'acquitter l'accusé, car il n'y a malheureusement pas mieux que de l'acquitter.
Il était 0h35 ce dimanche 10 décembre 2006 lorsque la cour s'est retirée pour délibérer. A 1h45, le verdict tomba : Saybou Ouédraogo est acquitté. La présidente de la cour a ordonné sa libération immédiate si aucune autre charge n'est retenue contre lui. Les dépens du procès ont été mis à la charge du Trésor public. Le ministère public a 5 jours francs (Ndlr : 5 jours ouvrables) pour se pourvoir en cassation.
Au sortir de la salle d'audience, Me Kyélem a exprimé sa déception. Il s'est dit convaincu de la culpabilité de l'accusé. Mais on manquait d'éléments matériels contre lui. Qu'à cela ne tienne, pour lui, le dossier contenait des indices graves et concordants contre le mari cocu. "Je crois que l'instruction n'a pas été bâclée".
Pour sa part, Me Farama s'est dit désolé, car on n'aurait jamais dû en arrivé là à ce procès. Pour lui, "c'est une décision qui rend justice à notre client".
L'affaire Michel Congo vient donc de connaître ainsi son épilogue judiciaire, du moins s'il n'y a pas de pourvoi.
San Evariste Barro
A découvrir aussi
- Forces de sécurité et journalistes : Les rapports conflictuels au centre d'un conclave
- L'évangile du "pasteur" Boni Yayi continue de faire des victimes
- Manifestation de militaires : «Nous allons sortir et la bamboula va prendre fin»
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 1021 autres membres