Côte d’Ivoire : La paix si proche, si loin
Côte d’Ivoire
La paix si proche, si loin
L’anniversaire du déclenchement de la rébellion en Côte d’Ivoire, le 19 septembre, est presque passé inaperçu. Comme si les différents acteurs de cette parenthèse de sang et de douleur voulaient rapidement la refermer. Tant du côté gouvernemental que de l’ex-rébellion, aucun relief particulier n’est donné à cette date. Si ce silence signifie que tous ont désormais le regard tourné vers l’avenir pour entreprendre une nouvelle aventure commune, il est compréhensible. Mais il ne doit être en aucun cas l’expression d’une fuite de responsabilité et d’une volonté d’effacer d’un trait l’histoire du pays, de septembre 2002 à la signature de l’Accord de Ouagadougou le 4 mars dernier. Car c’est dans le tréfonds de cette période trouble où l’histoire du pays a bégayé, du fait d’un concept identitaire dangereux, qu’il faut puiser les ressources d’un nouveau départ. Et à ce niveau, si les armes se sont rangées, tout n’est pas pour autant réglé. Le président du FPI (parti au pouvoir), Pascal Affi N’Guessan, vient de nous le rappeler. Dans une des rares sorties d’un membre du pouvoir à l’occasion de ce 19 septembre, il a déclaré sur RFI qu’au maximum 300 000 personnes sont concernées par les audiences foraines prévues pour démarrer le 25 septembre. On ignore sur quelle base cette appréciation est faite, mais il est un fait qu’elle peut être sujette à une nouvelle crise. Car les partis d’opposition comme le RDR estiment à des millions le nombre d’Ivoiriens en quête de reconnaissance nationale à travers un acte d’état civil. La responsable des audiences foraines au ministère de la Justice parle de 3,5 millions d’Ivoiriens concernés par l’opération de délivrance de jugements supplétifs. Un gap impressionnant existe donc entre les estimations du FPI et celles de l’opposition et même de sources proches du Projet chargé de mener l’opération. Après s’être donc entendus sur le mode opératoire, les Ivoiriens risquent de s’étriper autour de cette guerre des chiffres.
Malgré le discours apaisant qu’il tient, Affi N’Guessan, en glissant ce chiffre à polémique, montre que l’âme de faucon qu’il avait au temps fort de la crise, reste enfouie en lui. S’il veut rester dans la logique de l’apaisement qu’il prône, le président du FPI doit laisser les techniciens travailler en toute indépendance. Le chiffre qu’il a avancé est en effet de nature à perturber la sérénité des acteurs de terrain et peut constituer un facteur de blocage des audiences foraines. C’est dire que si les bruits de bottes ne se font plus entendre, les clameurs des hommes politiques peuvent se révéler très dangereuses pour le processus de paix. La course vers le pouvoir va inévitablement déchaîner des passions dans un pays où les principaux candidats sont de poids sensiblement égal. Une concurrence rendue encore plus vive par de profonds ressentiments et une grave crise de confiance. L’Accord de Ouagadougou, signé entre les protagonistes armés, a été adopté du bout des lèvres par les forces politiques de l’opposition dont les principaux leaders ont subtilement boycotté la cérémonie de la Flamme à Bouaké le 30 juillet dernier. Tant qu’il s’agira des questions concernant directement le pouvoir et les Forces nouvelles, comme l’affaire des grades et le désarmement, cette opposition sera dans une position attentiste. Mais dès que l’on abordera des sujets liés à leur survie politique, les partis réagiront avec fermeté. Il va sans dire que les audiences foraines feront l’objet d’une nouvelle bataille qui risque de ralentir la marche vers les élections. A cette problématique vient s’ajouter un aléa qu’il va falloir régler, à savoir la menace de boycott des greffiers. Sans compter les rumeurs récurrentes de coup d’Etat, la volonté de Gbagbo d’imposer son propre calendrier électoral, la guerre à fleurets mouchetés entre les ex-rebelles Soro et IB, qui sont autant de parasites sur le processus.
Dans tous les cas de figure, le déroulement actuel du processus, qui est une émanation de l’Accord de Ouagadougou, fait bien l’affaire du camp Gbagbo. C’est pourquoi sans doute il se fait discret, préférant rameuter ses troupes par un travail de mobilisation sur le terrain, avec en ligne de mire l’élection présidentielle. Mais on sait que le pouvoir n’hésitera pas à se dresser contre toute mesure qui irait contre ses intérêts, à l’image de cette déclaration de Affi NGuessan sur les audiences foraines qui sonnent comme une mise en garde. L’optimisme, en ce cinquième anniversaire de l’éclatement de la rébellion, est de mise. La leçon de patriotisme que viennent de donner les Sierra-Leonais, qui ont connu pire, doit inspirer les Ivoiriens. Dans la région jadis tourmentée, le Liberia et la Sierra-Leone ont réussi à exorciser leurs démons et à s’ouvrir les voies de la reconstruction. Le puzzle manquant est la Côte d’Ivoire dont le retour à une vie constitutionnelle normale après des élections transparentes n’est pas le souhait des seuls Ivoiriens mais aussi celui de tous les Africains de l’ouest. A commencer par le facilitateur Blaise Compaoré qui, en s’engageant dans ce bourbier, joue sa crédibilité.
Le Pays du 20 septembre 2007
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