Tertius AN I à la primature : Sous une conjoncture difficile
Tertius AN I
Sous une conjoncture difficile
Mercredi dernier, cela faisait donc un an (même si c’est demain que son équipe, formée le 10 juin 2007, boucle sa première année d’exercice) que Tertius Zongo a été rappelé de l’ambassade du Burkina aux Etats-Unis pour être propulsé cinquième premier ministre de Blaise Compaoré (1).
Ce fut alors une grosse surprise, comme le chef sait en réserver, quand bien même l’heureux élu, pour avoir été plusieurs fois ministre, notamment de l’Economie et des Finances (son dernier maroquin) ne serait pas vraiment un nouveau venu dans le landerneau politique national. Parti, pratiquement "exilé", cinq ans plus tôt couvert d’opprobre, il prenait ainsi une belle revanche sur ses détracteurs.
Puis vint donc le 4 juin de l’an de grâce (pour lui s’entend) 2007. Un an après, quel bilan peut-on tirer de son action à la tête du gouvernement ? 365 jours, c’est sans doute peu pour juger objectivement le chemin déjà parcouru mais du moment qu’un chef de gouvernement est lié, par essence, à son mandant par un CDD (contrat à durée déterminée) et qu’il peut être révoqué à tout moment (Youssouf Ouédraogo et Roch Marc Christian Kaboré l’ont été au bout de deux petites années), il n’est donc pas besoin d’attendre qu’il pousse des racines sur son fauteuil pour passer son entreprise au scanner.
Tertius, dans une débauche communicationnelle qui avait fini par lasser, aura surtout consacré les premiers moments qui ont suivi son débarquement à
Comme s’il voulait mettre tout ce beau monde dans le coup, les rendre un peu complices de son œuvre mais surtout leur montrer sa disponibilité à l’écoute, déclarer ses bonnes intentions, professer sa bonne foi, sa volonté de changer les choses, de bousculer la lourde machine endormie de l’Etat, de lutter contre la corruption et la fraude sous toutes ses formes... Bref, comme toutes les fois qu’un nouveau venu arrivait, on avait l’impression d’entendre cet air familier du "plus rien ne sera comme avant".
On peut, en effet, tout reprocher à l’enfant de Doudou sauf de ne pas être volontaire, même volontariste, mais dans la situation qui est la sienne, il faut bien plus que la seule volonté pour dérouiller une machine étatique où, hélas, les mauvaises habitudes ont été souvent érigées en méthodes de gouvernement par les tenants du pouvoir, parfois complices ou même acteurs de pratiques à la lisière de la forfaiture.
De trois choses l’une, se disait-on en juin 2007 : ou bien le PM frais émoulu, ce grand débatteur (d’aucuns diront hâbleur) au franc-parler parfois fort peu politique, faisait preuve d’une candeur suicidaire à ce niveau de responsabilité ; ou bien, en voulant s’attaquer à des mœurs et à des intérêts consubstantiels au régime, il ne savait pas dans quel guêpier il s’aventurait alors qu’il est un pur produit du système ; ou alors le locataire du palais flambant neuf de Kosyam, qui doit bien commencer à préparer sa sortie, s’est enfin rendu compte de l’état de putréfaction avancé de son pays où le fossé entre riches et pauvres est chaque jour plus abyssal et a, de ce fait, donné carte blanche à son nouveau fusible pour nettoyer les Ecuries d’Augias.
On aura quand même, au risque de pêcher contre l’esprit, noté quelques frémissements qui vont dans la bonne direction. Ainsi, à titre d’exemple, de l’utilisation abusive des véhicules de l’Etat qui ont fait l’objet de contrôles inopinés et causé des désagréments à certains "abuseurs". Et quand on a déjà été arraisonné en rase campagne avec madame et les enfants quand ce n’est pas la maîtresse qui est assise à "la place du mort", on hésite plus d’une fois désormais avant de prendre un fond rouge ou bleu pour aller saluer des funérailles, assister à un mariage ou faire une petite escapade.
Ainsi également de la rationalisation en voie dans la gestion du carburant, question d’alléger la facture pétrolière de l’Etat dans la mesure où une bonne partie des bons d’essence remplissent les réservoirs des spermivores professionnelles du Faso. Ainsi, en outre, de la traque aux fonctionnaires retardataires ou absentéistes quand ils ne sont pas carrément fantômes, etc. On notera aussi que, une fois n’est pas coutume, un chef de gouvernement a mis la main dans le cambouis en allant discuter directement avec les partenaires sociaux à l’immeuble dit du dialogue social, avant d’aller à Bobo, tenir un discours de vérité aux opérateurs économiques dans un face-à-face mémorable.
Mais ici comme là, et dans bien d’autres domaines, il faut, au-delà des mesures ponctuelles pour ne pas dire cosmétiques, poursuivre ce qui a été entrepris si on veut atteindre des résultats tangibles et si on ne veut pas donner l’impression que ce sont juste des coups de com., de l’agitation médiatique pour amuser la galerie et donner l’illusion du changement.
Reste, reste le gros nœud gordien de la corruption, ce moulin à vent contre lequel tous les PM disent se battre (mais y a-t-il seulement une réelle volonté politique ?) sans oublier la fraude institutionnelle et généralisée, qu’elle soit douanière ou fiscale. On n’a pas idée de ce que ça fait perdre comme argent au Trésor public ! Pour un pays pauvre très endetté comme celui-là, il n’ y a pourtant pas d’économies de bouts de chandelles. Hélas, les Etats qui en ont le moins sont les mêmes qui savent comment gaspiller l’argent public ou laisser s’évader ce qu’il peuvent collecter en étant davantage organisés et volontaires.
Mais ce qui aura surtout marqué l’An I de Tertius, c’est la flambée des prix des produits de première nécessité qui a presque coïncidé avec son arrivée à
Certes, le prix de l’essence à la pompe, par on ne sait trop quel miracle, n’a pas grimpé depuis quelques mois (jusqu’à quand ?) nonobstant un cours du brut qui fait tous les jours le saut à la perche mais pour le reste, le "viima ya kanga" de K’Rvane a rarement été autant d’actualité. Riz, huile, lait, viande, pâtes alimentaires, beurre, savon... le panier de la ménagère s’allège au fur et à mesure que la facture des produits agricoles s’alourdit.
Il faut dire que le premier ministre frais émoulu a été accueilli et même cueilli à froid par une détestable conjoncture internationale dont on n’a pas encore fini de constater les dégâts sous les effets conjugués de l’offre, de la demande, de la spéculation et de la théorie dite du second tour par les économistes.
Mais pour mondiale que soit la hausse vertigineuse des prix, c’est à l’aune de la réaction voire de la réactivité locale qu’on mesure l’efficacité d’un gouvernement. Comme le rétorquait un jour un cotonculteur à un apprenti-économiste qui glosait sur la déprime des cours de l’or blanc sur le marché mondial qui serait responsable de ses malheurs à lui dans le Tuy : "marché mondial là, c’est où ? Faut me dire c’est où je vais aller voir".
Or, force est de reconnaître que la réponse du gouvernement, qui a d’ailleurs semblé être surpris par la déferlante inflationniste, a souvent confiné au folklore et au one-man-show (doublé de "pétage" de plomb) comme cette ridicule ronde chez les ladji, prêtres et pasteurs à laquelle nous avons eu droit pendant les émeutes de la vie chère et au cours de laquelle les envoyés gouvernementaux se sont d’ailleurs fait proprement remonter les bretelles par l’archevêque de l’Ouagadougou en personne, qui semblait vouloir expier les accointances qu’on lui prête volontiers avec Blaise.
Les décisions tertiusiennes auront donc produit l’effet d’un coup d’épée dans l’eau. Un comble car non seulement le consommateur n’en profite pas mais en plus l’Etat perd des ressources avec les allègements circonstanciels consentis aux commerçants. Et on attend toujours de voir avec un sac de riz (n’atteignant même pas souvent
Tout compte fait, le coup le plus fumant de Tertius Ier, au titre de sa première année d’exercice, aura été l’éviction spectaculaire de Salif Diallo, ci-devant ministre d’Etat chargé de l’Agriculture, de l’Hydraulique et des Ressources halieutiques, crucifié un jour de Pâques par celui qui n’a jamais fait mystère de sa foi chrétienne, protestante en l’occurrence.
Autant dire tout un symbole car lui dont on prétendait les relations exécrables avec son ministre ressuscitait du même coup dans la mesure où, de notoriété publique, celui qu’on disait avoir l’oreille du chef, tenait en laisse tous les PM qui se sont succédé jusque-là. Le locataire du 10-50 rue Agostino Neto a certes profité de l’inimitié à peine voilée entre François Compaoré et Gorba pour asséner à ce dernier le coup de Jarnac mais en s’affranchissant de sa "tutelle" de cette façon, il confirme ce qu’il avait laissé entendre lors de sa première conférence de presse le mardi 12 juin 2007.
"Tous ceux que vous citez-là, ce sont mes amis et je vais les faire travailler comme c’est pas possible mais en attendant c’est moi", avait-il, en effet, répondu à ceux qui avaient osé affirmer qu’il était un "PM par défaut" car de Zéphirin Diabré à Juliette Bonkoungou en passant par Christophe Dabiré et tutti quanti, tous les noms de premiers ministrables avaient été cités sauf le sien. C’est ça, Tertius ! Un homme de pouvoir qui n’en donne pas toujours l’air derrière son sourire énigmatique et son regard en coin. Reste à savoir si cette volonté de puissance lui sera d’une quelconque utilité pour faire avancer ce Burkina où l’indolence des dirigeants a laissé trop de mauvaises habitudes s’installer. Reste à savoir si cette foi qui l’habite lui fera soulever des montagnes dans la droite ligne de l’Evangile selon saint Mathieu (chapitre 17 verset 19).
Ousséni Ilboudo
L’Observateur Paalga du 9 juin 2008
Note : (1) Après Youssouf Ouédraogo, Roch Marc Christian Kaboré, Kadré Désiré Ouédraogo et Ernest Paramanga Yonli.
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