Darfour : Massacres à huis clos
Darfour
Massacres à huis clos
La semaine qui tire vers sa fin aura été marquée, en Afrique, par la résurgence de certaines formes de violences que l’on croyait être en voie de disparition.
Le mardi 10 avril, la capitale économique du royaume du Maroc, Casablanca, a connu une vague d’attentats suicides qui a coûté la vie à un policier et fait de nombreux blessés. Après quatre ans de répit des activités terroristes (les derniers attentats meurtriers datant de 2003), le royaume chérifien est secoué par la violence portant la signature de l’islamisme radical.
Au moment où l’on continuait de s’interroger, avec effroi, sur le retour des vieux démons sur le chérifat, c’est au tour d'Alger, la capitale d’un pays ennemi du Maroc, vu sous l’angle de la question du Sahara occidental, d’être soufflé par une vague d’attentats quasi simultanés ce mercredi 11 avril. Bilan de cette funeste journée d’actions terroristes : 24 tués et au moins 222 blessés. Si au Maroc comme en Algérie les violences ont immédiatement été revendiquées par des groupuscules se réclamant proches du réseau al-Qaïda, les autorités marocaines, se refusent, pour le moment, d’établir tout lien entre les deux actions.
En attendant que les jours à venir nous apportent davantage d’éclairages sur ces derniers événements, souhaitons qu’ils ne soient pas les signes avant-coureurs d’un autre basculement dans la barbarie comme celle des années 90 en Algérie.
Autre théâtre de violences cette semaine sur les terres africaines : la corne de l’Afrique, avec l’incursion de l’armée tchadienne dans la province soudanaise du Darfour ce lundi 9 avril. Lancés à la poursuite des forces rebelles de la Concorde nationale tchadienne (CNT), des militaires loyalistes du pouvoir de N’Djamena se sont heurtés, au cours de violents accrochages, à la riposte de soldats soudanais massés le long de la frontière entre les deux pays.
Le Soudan menace de répondre à la «provocation» qui, selon Khartoum, aurait occasionné la mort de 17 de ses policiers et soldats. N’Djamena exprime ses regrets, mais rappelle son «droit de poursuite» contre des factieux. Enième avatar entre deux pays dont les relations sont depuis longtemps empoisonnées par la situation du Darfour (Nord-Ouest Soudan et frontalier avec le Tchad).
Les présidents tchadien Idriss Déby Itno et Soudanais Omar El-Béchir s’accusent mutuellement de soutenir des rebelles dans cette région contre leurs gouvernements respectifs.
Depuis quatre ans, la guerre civile dans cette province orientale du Soudan a fait plus de deux millions de déplacés et provoqué la mort d’environ quatre cent mille personnes en majorité civile. Soit un taux d’extermination quotidien supérieur à celui enregistré actuellement en Irak. Vols, viols, empoisonnement de puits dans une zone pourtant désertique et destructions de villages y sont érigés en tactiques de guerre.
Exactions de toutes sortes sont le lot quotidien des organisations humanitaires, témoins gênants de l’une « des catastrophes humanitaires les plus graves de la planète», selon le prix Nobel de la paix 1984, Mgr Desmond Tutu, codirigeant du conseil des droits de l’homme de l’ONU, organisme naguère chargé de l’évaluation de la situation au Darfour.
Envoyés avec des moyens humains, matériels et logistiques inversement proportionnels à l’ampleur de l’horreur qui affecte toute la région et menace la stabilité déjà fragile de toute la Corne de l’Afrique, les quelque sept mille cinq cents hommes de la force interafricaine, la Mission de l’Union africaine au Soudan (MUAS), ne cachent pas leur sentiment d’impuissance. «Nous ne servons à rien», confessent-ils, résignés de voir leur mission tourner honteusement en un simple exercice de recensement macabre loin des caméras.
Si le conflit, né d’un différend foncier entre pasteurs nomades et paysans sédentaires, est devenu aujourd’hui une longue guerre d’extermination contre ceux-ci, c’est qu’il est entré dans la logique des confrontations entre puissances étrangères pour le contrôle d’intérêts économiques, politiques et géopolitiques.
Au début en 2003, des affrontements tribaux pour le contrôle des terres dans une zone aux conditions climatiques les plus austères. Agriculteurs sédentaires se battent contre éleveurs nomades arabes à la recherche de verts pâturages. Entrent plus tard en scène, aux côtés de leurs frères, les redoutables miliciens arabes, les Djandjawids (cavaliers armés de kalachnikovs), encadrés et équipés en moyens matériels par l’armée régulière du Soudan.
Malgré les dénégations du président tchadien, Idriss Déby, les «rebelles soudanais» bénéficient à leur tour de l’appui de N’Djamena. Le conflit se durcit. Le massacre des tribus non arabes s’intensifie. Les organisations humanitaires crient au génocide, l’ONU, après un long moment de tergiversations parle de «nettoyage ethnique».
La communauté internationale feint de s’indigner et menace mollement le Soudan de sanctions économiques et propose dans la foulée l’envoi de casques bleus. Proposition rejetée par Khartoum qui promet de faire accueillir les soldats de la paix onusiens par des kamikazes si on ne le laisse pas massacrer en paix au Darfour. La Chine s’engage à faire infléchir la position de son deuxième partenaire commercial du continent noir (elle achète 65% du pétrole soudanais), mais continue de lui fournir des armes.
Les USA montrent moins d’empressement dans l’application de sanctions contre un nouvel allié qui a fait amende honorable dans la collaboration contre le terrorisme. La France, quant à elle est plus préoccupée par les risques de déstabilisation qui menacent ses deux partenaires que sont le Tchad et la Centrafrique.
Ainsi donc, la garantie des intérêts politiques, économiques et géostratégiques l’emporte sur la survie d’un peuple. Et particulièrement lorsqu’il s’agit d’un peuple d’hommes de couleur.
Alain Saint Robespierre
L’Observateur Paalga du 13 avril 2007
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