Développement et inégalités au Burkina Faso : La conscience nationale des Burkinabè est-elle en cause ?
Développement et inégalités au Burkina Faso
La conscience nationale des Burkinabè est-elle en cause ?
On croyait les sujets politiques absents dans les médias à la faveur des vacances.
Erreur ! La réflexion du président de l'Union pour la démocratie et le développement (UDD) vient rappeler que le fait politique s'exerce au quotidien. Clément Toubé Dakio, puisque c'est de lui qu'il s'agit, donne ici son analyse sur le développement et les irrégalités au Burkina Faso.
En démocratie plurielle, l'opposant a un rôle d'observateur critique de la politique du pouvoir en place. On sait que tout ce qui touche à l'Etat est politique. L'Etat, dit-on, est le lieu privilégié du politique et sont donc qualifiés de politiques les faits qui le concernent. Les affaires de l'Etat, c'est-à-dire les affaires de la cité sont les affaires de tout le monde. Je peux donc "mettre ma bouche" dans la politique du pouvoir.
La Haute-Volta, aujourd'hui Burkina Faso, une pure création de la colonisation
La conquête du Burkina terminée en 1998, le décret du 1er mars 1919 a fait du pays un réservoir de mains- d'œuvre pour les colonies voisines. A cet effet, le décret du 5 septembre 1932 partage le Burkina entre la Côte d'Ivoire, le Niger et le Mali.
Mais les forces politiques nationales et la chefferie traditionnelle protestèrent énergiquement contre ce fait et le Burkina fut reconstitué le 4 septembre 1947 dans ses limites territoriales de 1932.
La très grande majorité de la population des Etats africains est liée à la société traditionnelle. Celle-ci est structurée en groupes restreints (famille, village, tribu, ethnie, etc.). L'insertion des individus dans ces groupes a toujours pour effet de limiter leur horizon social. Le phénomène du tribalisme ne fait qu'exprimer l'éminente position du groupe et l'absence de sentiment d'appartenance à une réalité plus vaste, la communauté nationale. Comme on l'a dit avec justesse, "en Afrique, l'Etat a précédé la nation". La construction nationale, l'un des grands thèmes évoqués par les dirigeants politiques africains, n'est pas un mythe. La nation reste à constituer sur le plan tant économique que politique.
Sur le plan politique, les premières manifestations de la conscience nationale sont liées à la lutte des politiciens pour l'indépendance politique. A ce propos, des leaders africains ont, vers la fin des années 1940, posé ouvertement le problème de l'indépendance de leurs pays en organisant les premières luttes politiques anticolonialistes à travers des partis politiques divers. Les politiciens burkinabè ne sont pas en reste.
Sur le plan sportif, les grands événements comme la Coupe d'Afrique des nations (CAN) ont été parfois utilisés comme facteur d'unité et de solidarité nationales.
Pour la construction nationale, il faut dépasser l'appartenance ethnique et le sectarisme partisan et parvenir à un sentiment plus fort de solidarité nationale.
Sur le plan économique, c'est autour de la lutte pour le développement, gage de l'indépendance économique, que les leaders africains ont, au lendemain des indépendances, voulu galvaniser les énergies de la population africaine. Aussi des responsables politiques africaines lancent-ils des appels au travail, à l'unité nationale et à l'égalité. Les termes de conversion des mentalités, de conversion des structures et des habitudes reviennent souvent dans les discours.
Suite aux appels à la construction nationale lancés après l'indépendance du Burkina par les dirigeants politiques de ce pays, les Burkinabè sont-ils parvenus à une conscience nationale plus forte, à un sentiment de solidarité qui dépasse l'appartenance ethnique ?
Force est de constater qu'un manque d'harmonie apparaît entre les objectifs fixés par les responsables (indépendance nationale, construction nationale, développement) et l'attitude de ceux qui devraient les réaliser mais demeurent passifs, car n'en percevant pas le sens.
Pour des populations dont l'horizon se borne au village, le concept d'indépendance nationale est étranger et n'est donc pas un mobile d'action. Pour ces populations, l'investissement humain, c'est-à-dire la contribution volontaire à la construction nationale, n'a pas de sens, car le concept de nation leur est étranger. Même le changement d'appellation du pays : la Haute-Volta du système colonial devenue Burkina Faso sous la Révolution d'août 1983 n'a pas eu d'effet mobilisateur sur ces populations.
Au Burkina, comme dans la plupart des Etats africains, la population liée à la société traditionnelle est largement majoritaire. Dans un régime démocratique, c'est la majorité qui détermine les orientations politiques et économiques. Cette majorité est pour une grande fraction illettrée et n'a que peu de prise sur les problèmes qui se posent dans un cadre qu'elle ignore. N'ayant pas de conceptions politiques à défendre au niveau national, elle s'en remet à des hommes politiques censés traduire les aspirations de la population.
Donc, une partie importante de la population demeure étrangère à la vie nationale qui correspond à des réalités dont elle n'a pas la moindre idée. Cette absence d'intégration de la population à la vie nationale retarde les progrès économiques réalisables. Une insertion accélérée de cette population est plus que nécessaire. Les partis politiques burkinabè pourraient contribuer à cette insertion à travers l'information, l'éducation, et la sensibilisation politique du peuple.
Depuis la nomination du nouveau Premier ministre, les trois premiers responsables du Burkina sont tous originaires des régions mossi. Je pense qu'ils sont et seront principalement guidés, dans les décisions à prendre, par l'intérêt supérieur des Burkinabè. N'empêche que je me demande s'il n'y a pas, dans la partie du Burkina qu'il est convenu d'appeler l'Ouest, des hommes ayant une conscience nationale forte comme celle des hommes des régions mossi, car ce sont les responsables politiques qui définissent et appliquent la politique nationale. Or, "une politique est liée à des choix, donc à un système de valeurs qui oriente les décisions et qui favorisera souvent tel ou tel groupe social". Compte tenu de cela et du faible niveau socio-économique du pays, il est permis de se demander si le fait que les trois premiers responsables du Faso sont de la même région et de la même ethnie consolide la construction nationale. Cela pourrait donner raison à ceux qui parlent d'hégémonie des Mossis sur les autres ethnies du pays ou de monarchisation du régime actuel.
Bien qu'aujourd'hui on insiste sur la nécessité de promouvoir non seulement l'égalité de tous devant la loi, mais aussi l'égalité des chances et des progrès dans le domaine économique, l'égalité entre les régions, les ethnies, les différentes catégories de la population, on constate, au Faso, une aggravation des inégalités de plusieurs natures.
Quelles sont les causes et les conséquences des inégalités entre les différentes catégories de la population et des inégalités entre les régions ?
Une fois les causes et les conséquences du mal connues, il faut appliquer à ce mal une thérapeutique conséquente.
Causes des inégalités entre les différentes catégories de la population et des inégalités entre les régions
On dit souvent que toute société connaît des inégalités de revenus. Au Faso, cette inégalité des revenus entre la minorité privilégiée d'une part et la grande majorité défavorisée de la population d'autre part s'est gravement accentuée. Les inégalités entre les régions qui n'étaient pas perceptibles à la veille de l'indépendance sont, aujourd'hui, très prononcées.
En effet, la minorité privilégiée qui exerce les responsabilités politiques, administratives et économiques détient et le pouvoir politique et le pouvoir économique. De ce fait, elle accapare la plus grande partie du revenu national, la grande majorité défavorisée de la population devant se contenter de la portion congrue.
Il faut souligner qu'environ 46% de la population burkinabè vivant en dessous du seuil de pauvreté font naturellement partie de cette grande majorité défavorisée.
Enfin, on constate que le niveau moyen des revenus urbains est presque toujours plus élevé que le niveau moyen des revenus ruraux.
Pour certains observateurs, les inégalités entre les différentes catégories de la population et les inégalités entre les régions trouvent une explication dans le fait que chez les responsables politiques, économiques et administratifs de l'après-indépendance, le sens du bien commun n'a pas toujours été à la hauteur des espérances et des appels des premières heures de l'indépendance. Par ailleurs, la croissance économique non plus n'a pas favorisé toutes les couches de la population et toutes les régions. Au Burkina, les inégalités sont beaucoup plus grandes qu'à la veille de l'indépendance. L'égalité des chances et des progrès dans le domaine économique n'a pas été effective pour toutes les couches de la population à cause des faibles taux de couverture sanitaire, scolaire et universitaire de certaines régions du pays. Ces régions accusent donc un retard économique.
Pour d'autres, les inégalités sont liées aux structures sociales et familiales traditionnelles. Tant que l'intérêt familial (ethnique ou clanique) demeure le lien suprême, des gens à la conscience large peuvent penser que voler l'Etat au profit de sa famille n'apparaît pas contraire à la morale.
Il en est ainsi quand la famille (l'ethnie ou le clan) a permis, des années durant, la survie et la sécurité de l'individu.
Donc, le respect de l'intérêt général suppose un certain effacement des structures sociales et familiales traditionnelles ou du moins le dépassement de l'appartenance ethnique si l'on veut parvenir à un sentiment fort de solidarité nationale. Il est hautement souhaitable que tous les dirigeants politiques, administratifs et économiques parviennent à ce sentiment fort de solidarité nationale.
Plusieurs économistes attribuent les inégalités dans une économie sous-développée comme celle du Faso à la désarticulation de celle-ci et aux dominations qui l'accompagnent. Dans une économie désarticulée, les secteurs économiques sont juxtaposés.
En ce qui concerne l'économie du Burkina et pour simplifier, on peut parler de secteur moderne et de secteur rural d'autosubsistance. Entre ces deux secteurs, les liaisons sont faibles. Le secteur moderne dominant aspire tous les crédits bancaires, le secteur rural d'autosubsistance ne connaissant, parfois, la banque que de nom.
Enfin, la corruption est source d'inégalités au Burkina. A ce propos, j'emprunte un passage de la description de la corruption de certains fonctionnaires du tiers-monde, faite par JCHEVERNY.
"Quand le pouvoir public est la principale industrie nationale, c'est la corruption qui permet d'établir la hiérarchie des tâches administratives. La direction et la gestion des services de l'Etat deviennent l'affaire la plus rentable, elle procure des avantages de la spéculation et des biens massifs et rapides.
La vénalité présente peu de risques et ne laisse pas de malencontreuses traces ; les faveurs fournissent les cadeaux et ceux-ci orientent les faveurs, c'est la nouvelle circulation des richesses".
Conséquences des inégalités entre les différentes couches de la population et entre les régions
Il faut rappeler que le Burkina, comme les autres Etats africains, veut et organise le développement. En effet, le progrès économique (développement) est considéré comme la voie obligée vers l'indépendance, la liberté et le mieux-être. Il s'agit d'un mieux-être également réparti entre toutes les couches de la population et entre toutes les régions.
Mais le progrès économique présente des dangers lorsqu'il n'est pas mis au service de toutes les catégories de la population, et de toutes les régions du pays. Il peut susciter et aggraver les antagonismes sociaux et fournir des moyens accrus à la domination et à l'exploitation de l'homme par l'homme. L'économie doit être au service de l'homme. Le développement n'a de sens que s'il permet à l'homme de s'épanouir dans toutes ses dimensions. L'inégalité des revenus au Burkina bloque le développement.
En tout cas, les populations des régions accusant un retard économique parce que délaissées par le pouvoir CDP sont frustrées et déçues, les promesses électorales ne sont pas concrétisées, leurs aspirations légitimes n'ont pas été prises en compte. Il n'y a pas eu d'amélioration de leurs conditions de vie. Au contraire, la paupérisation s'est généralisée et aggravée. L'objectif du millénaire pour le développement consistant à réduire de moitié le nombre des pauvres d'ici 2015 apparaît de plus en plus comme un rêve inaccessible.
Il y a lieu de dire qu'une région accusant un retard économique se caractérise par une infrastructure économique pauvre, des investissements productifs faibles ou inexistants.
Thérapeutique
Dans les discours, des responsables préconisent de faire profiter à tout le monde les progrès réalisés.
Pour assurer cette égalité, des voies différentes ont été empruntées de par le monde.
Certains font confiance au socialisme qu'ils considèrent comme le seul système qui puisse barrer la route à l'exploitation de l'homme par l'homme.
D'autres optent pour une action de l'Etat pour corriger les inégalités entraînées par une croissance de type capitaliste.
Au Faso, les inégalités profitent au pouvoir du CDP car :
- les populations défavorisées comme les plus favorisées votent pour le CDP, mais pour des raisons différentes.
Il ne faut donc pas s'attendre à ce que ce pouvoir corrige ou même réduise ces inégalités paralysantes. C'est pourquoi il s'impose aux Burkinabè conscients, déterminés et dévoués de s'impliquer dans l'information, l'éducation et l'éveil de la conscience politique des populations défavorisées et analphabètes de toutes les régions du Burkina, afin que ces populations se ressaisissent, qu'elles acceptent de serrer la ceinture ; refusent les instruments de corruption du CDP : argent, vêtements, sucre, sel, dolo (pour les Bobos et leurs parents peulhs) et revendiquent leur droit à des conditions de vie décentes. Ces populations ont pris conscience elles-mêmes que l'argent de la corruption ne peut pas résoudre leurs problèmes de famine et de pénurie alimentaire.
Pour résoudre ces problèmes, il faut opposer à la politique économique extravertie du pouvoir une politique autocentrée, c'est-à-dire tournée vers la satisfaction de la grande majorité de la population. La mise en œuvre d'une telle politique suppose de profonds changements des structures agricoles et industrielles.
Ces populations ne font pas mystère de leur sentiment "de ne pas faire partie du Burkina". Elles ne votent pour le CDP que parce qu'elles veulent assurer leur survie. Si ce parti cessait de leur donner de l'argent contre le vote, elles ne le voteraient plus. Les responsables de ce pari sont bien conscients de cela et c'est pourquoi ils veulent faire appliquer la limitation du financement public des activités hors campagne à travers un critère chiffré.
Mais ce critère ne me semble pas adéquat, car il saperait la démocratie que le CDP entend renforcer. En effet, pour atteindre l'objectif chiffré, les partis en compétition seraient tentés de frauder et de corrompre les électeurs. Et puis, quelle signification donner à un pourcentage de 5%, voire de 10% des suffrages exprimés pour un parti en lice si la participation citoyenne globale est faible et s'établit bien en dessous de 50% des inscrits ?
C'est pourquoi il faut rejeter ce critère et adopter des critères de bonne gouvernance démocratique, par exemple :
- pourcentage de fraude et de corruption par rapport au total des suffrages exprimés : zéro (0) ;
- encouragement à la participation citoyenne au vote ;
- participation à l'information, à l'éducation et à l'éveil de la conscience politique du peuple.
En refusant de voter pour le CDP, ces populations permettront ainsi de mettre démocratiquement fin, par les urnes, au pouvoir régionaliste et exploiteur du CDP, principal responsable de leur misère.
Ces populations fréquemment victimes des frontières arbitraires imposées par le colonisateur percevront très facilement les avantages de l'intégration politique et économique africaine. D'ailleurs, ces populations ont toujours considéré ces frontières, maintenues au service du néocolonialisme, comme une affaire purement diplomatique ; bien qu'elles suscitent parfois des oppositions tragiques entre populations frontalières de pays différents, les frontières n'ont jamais empêché de fraterniser de part et d'autre.
Aussi, avec les Burkinabè conscients, déterminés et dévoués, les populations s'organiseront pour prendre en main leur propre développement ; elles s'organiseront en fonction de la croissance pour devenir comme des poissons dans l'eau, c'est-à-dire tout à fait heureux, sans difficultés.
Et les Burkinabè auront alors une conscience nationale forte, gage de l'édification d'une nation forte.
Toubé Clément Dakio
Président de l'UDD
L’Observateur Paalga du 13 août 2007
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