Grippe aviaire au Burkina : Retour au foyer infectieux un an après
Grippe aviaire au Burkina
Retour au foyer infectieux un an après
Grippe aviaire. Début 2006, cette maladie des volailles qui a une forme humaine mortelle, on se rappelle, a créé la psychose au Burkina suite à l'annonce d'un foyer infectieux aux portes de la capitale. Mais les autorités gouvernementales, qui avait préparé un plan de riposte depuis que le virus H5N1 a été signalé au Nigeria puis au Niger, ont permis de vite maîtriser la propagation de la maladie en procédant, entre autres, à une opération d'abattage de gallinacés à Gampéla, où le premier cas a été signalé, puis à Barogo. Un an après, quel est l'état des lieux ? Les promesses faites, notamment le dédommagement des populations, ont-elles été tenues ? Retour au foyer infectieux pour faire l'état des lieux.
Janvier 2006. Un virus, le H5N1 (son nom scientifique), qui avait déjà fait son apparition en Asie en 2003, provoqué l'abattage de milliers de volailles et causé le décès de plus de 90 personnes atteintes de la forme humaine de la maladie, refait surface. L'information, relayée par les médias internationaux, sème la psychose dans le monde. Mais l'Afrique était épargnée jusqu'en février 2006 où le virus a atterri au Sud du Sahara, dans le nord du Nigeria. La communauté internationale lance un appel aux services vétérinaires des pays voisins du Nigeria pour éviter la propagation du virus. On craint le pire, à cause notamment du mode de vie de nos populations qui cohabitent bien souvent avec les animaux.
Le président sénégalais, Abdoulaye Wade, convoque une conférence régionale sur la question afin de mettre en place un plan d'urgence. Mais ce fut peine perdue, puisque le virus continuait sa progression fulgurante et dévastatrice pour atteindre le Niger. Puis, un matin d'avril, on apprend que la grippe aviaire est aux portes de la capitale burkinabè, plus précisément à Gampéla, localité située à une vingtaine de kilomètres de Ouagadougou, sur la route de Fada N'Gourma, celle-là même qui mène au Niger. La nouvelle se répand comme une traînée de poudre.
Prince Isaac échappe à un lynchage en règle
Les populations sont inquiètes, étant donné qu'elles sont de grandes consommatrices de gallinacés, et que beaucoup de gens tirent leurs revenus du commerce des volailles, estimées à 32 millions de têtes au Burkina Faso. Les regards sont tournés vers les autorités en charge des ressources humaines et vers Gampéla, notamment vers le camping "le Pharaon" de Prince Isaac, foyer de l'épizootie, déclaré officiellement. D'ailleurs le propriétaire de cet espace de loisirs et d'hébergement, qui a, il est vrai, une réputation sulfureuse, a essuyé la colère des populations, selon lesquelles il aurait un jour affirmé qu'il amènerait la maladie au Faso. Et puisqu'il a vendu des canards et des pintades quelques jours auparavant au marché de volailles de la Cité An II, cela était une preuve suffisante pour l'accabler. Il a fallu d'ailleurs l'intervention de la police de Saaba pour lui éviter un lynchage en règle.
C'était le jeudi 6 avril 2006, jour de l'opération d'abattage des volailles, une des mesures prises par le ministère des Ressources animales, contenues dans le plan de riposte pour limiter la propagation du mal et dont le besoin de financement était estimé à plus de 5 milliards de FCFA. Mais, en fin de compte, l'Etat burkinabè n'a pu mobiliser que 1 milliard 389 millions de francs CFA avec l'aide des partenaires au développement. En plus ce cela, il était prévu d'indemniser tous ceux dont les poulets devaient être abattus et jetés dans une fosse commune. Cela fait donc un an que la grippe aviaire est passée par là. Douze mois après, quelle est la situation sur le terrain ?
Les promesses faites par le gouvernement ont-elles été tenues d'autant plus que pour nombre de Burkinabè, ces gens qui nous gouvernent les ont habitués à ne pas tenir parole ?
Jeudi 29 mars 2007. Une équipe de notre quotidien s'est rendue sur place à Gampèla. Première destination : le camping le Pharaon, le foyer infectieux.
Le patron des lieux, Prince Isaac, est absent. Il serait en déplacement à l'étranger. Nous avons d'ailleurs auparavant tenté vainement de le joindre. L'employé qui nous reçoit lit une petite déception sur nos visages. Comme pour ne pas nous laisser repartir bredouilles, il nous ouvre grandement les portes du camping pour une visite, mais ne peut répondre à nos interrogations.
A l'intérieur, le décor est resté inchangé pour ceux qui connaissent les lieux.
Sur le mur et les portes, des dessins dont certains font sourire mais qui ont le mérite de livrer des messages de sensibilisation sur certains sujets tels que le VIH avec quelquefois des exagérations ou des préjugés, notamment sur les femmes. C'est l'œuvre du Prince Isaac pour qui connaît l'homme. Nous n'avons pas fini d'observer les images que le roucoulement des pigeons nous attire. Perchés sur les branches d'arbres, ils semblent veiller sur la basse-cour, en pleine reconstitution ; car la grippe aviaire a entraîné la disparition des centaines de têtes dont disposait Prince Isaac. Le virus ayant disparu, il a repris petit à petit son élevage et on dénombrait une vingtaine de coqs et de poules avec de nombreux poussins qui, comme pour refuser qu'on les dénombre, se sont réfugiés dans leur case, sous deux hangars ombragés construits dans la cour qui leur est réservée.
"J'ai acheté un vélo pour ma femme avec l'argent de la grippe aviaire"
Après le camping, cap sur la première concession en face, à un jet de pierre. Les brûlures du soleil, ajoutées à l'air chaud et sec, intensifiaient la canicule. Dans un tel climat, il est difficile de rester dans une maison, fût-ce dans des maisonnettes en banco dont la toiture est faite en bois. Ainsi, Rasmané Kibsa Yoda, pour fuir cette chaleur insupportable, s'est réfugié sous un karité avec son épouse Zikoum Kouliga, fille du chef de Gampéla. Torse nu, le bonnet blanc, qui a viré au "blanc sale" à force de ne pas être régulièrement lavé, sur la tête, Rasmané nous reçoit avec une joie non feinte quand, après nous avoir offert la traditionnelle eau de l'étranger qu'on ne saurait refuser, il s'enquiert de l'objet de notre visite. D'entrée de jeu, il déclare : "Cette fois, les autorités ont respecté leur parole". Puis, souriant, il laisse transparaître une dentition rougie par la cola, qu'il ne cessait de mâcher. Le vieux Rasmané possédait plus de 60 têtes de poulets qui ont été payés à hauteur de 1 500 F l'une (les poussins sont aussi pris en compte au même montant).
Quant aux œufs, ils étaient remboursés à 25 F l'unité. Ainsi, il a été dédommagé à plus de 90 000 FCFA ; ce qui lui a permis d'acheter un vélo à 40 000 FCFA et d'utiliser le reste de l'argent pour régler des problèmes familiaux et acheter des coqs et des poules pour tenter de reconstituer sa basse-cour.
Cela est une nécessité, soutient-il, dans la mesure où la volaille, surtout le coq, a des usages culturels, voire cultuels dans nos sociétés. "Je ne pouvais donc pas ne pas recommencer à élever des poules, ne serait-ce que pour cette raison".
A 500 m de chez Rasmané se trouve le domicile de Marcel Nassa, une cour gardée par trois chiens méchants. En avril 2006, leur maître avait reçu la visite des services vétérinaires allés abattre ses 65 poules et pigeons et lui remettre par la suite (le 26 avril précisément) 105 350 FCFA. Tout comme à Rasmané, l'argent du dédommagement a été utile à Marcel : il a acheté un mouton et une chèvre, des vivres et remis de l'argent à ses enfants qui ont vu également leurs volailles décimées.
Toutefois, il y avait un goût d'amertume chez M. Nassa ; car il dit avoir souffert de la situation, d'autant plus que le dédommagement ne peut pas, en réalité, compenser la perte et l'utilité de disposer en permanence d'un poulailler bien fourni. "Lorsque je suis coincé financièrement, je peux vendre immédiatement un ou deux coqs pour résoudre un tant soit peu mon problème, alors que l'argent que nous avons eu a été rapidement dépensé". Néanmoins, il supporte la situation avec un air de soumission en ces termes : "Dieu a dit de se soumettre aux autorités".
Boukaré Moussa Diandé dont le domicile est situé à côté de l'aire d'enterrement des volailles était également concerné par l'opération d'abattage. Il a, à l'instar des autres, reçu son "argent de la grippe aviaire" qui lui a permis d'augmenter son cheptel en achetant 4 chèvres. Cependant, il n'est pas content des services vétérinaires, qu'il a beaucoup aidés à l'époque et on lui avait promis une récompense, qui tarde à venir.
Plus de 20 millions de FCFA de dédommagement
Qu'à cela ne tienne, il salue la promptitude avec laquelle les promesses ont été tenues tout comme ce groupe de jeunes rencontrés sur place qui soutient que tout le monde a été dédommagé. Information confirmée par Emile Yanogo, le président de la commission villageoise de gestion des terroirs (CVGT) de Gampèla, rencontré au bar-restaurant Dawanziri. Au total, 20 534 600 FCFA ont été distribués au titre des dédommagements de 1477 personnes dont 241 à Gampèla et Barogo à hauteur de 9 885 375 FCFA, 214 à Bilbalogho (secteur 2 de Ouagadougou) pour un montant de 2 298 650 FCFA.
Le quartier Lafiabougou de Bobo-Dioulasso a bénéficié de 6 877 650 pour 882 individus.
Enfin, le département de Tenado a obtenu 1 472 925.
Passé l'épizootie de la grippe aviaire, un an plus tard, tout serait rentré dans l'ordre au foyer infectieux hormis le froid qu'il a engendré entre les populations et Prince Isaac. En tout cas, c'est ce qu'ont affirmé certaines personnes dudit village. Mais les relations sont désormais au beau fixe, à en croire le propriétaire du Pharaon que vous lirez dans l'interview qu'il nous a accordée à son retour de voyage.
Adama Ouédraogo Damiss
Abdoul Karim Sawadogo
L’Observateur Paalga du 13 avril 2007
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