Il faut sauver le soldat Mugabe
SOMMET UNION EUROPEENNE-AFRIQUE
Il faut sauver le soldat Mugabe
Dans le bras de fer qui oppose le nouveau Premier ministre britannique Gordon Brown au père de l'indépendance du Zimbabwe, on ne sait pas encore qui aura le dernier mot. En effet, le successeur de Tony Blair s'est littéralement opposé à la participation de Robert Mugabe au prochain sommet Union européenne-Afrique qui se tiendra à Lisbonne, au Portugal, et a même conditionné la sienne à l'absence du président zimbabwéen. Et pour cause. Il l'accuse de traiter avec le plus grand mépris, les droits de l'homme dans son pays, et ne voit en lui qu'un dictateur de la pire espèce. Tel qu'on le connaît, Mugabe ne lui offrira pas un si grand "cadeau" qui sonnerait finalement comme une abdication. Quelle que soit l'issue de la querelle, il est certain que ce n'est pas en jetant l'opprobre sur le dirigeant zimbabwéen qu'on parviendra à le rendre docile. Bien au contraire. Car, en même temps que la position de Brown peut le rendre plus sympathique aux yeux de bon nombre de ses concitoyens, et même au-delà, elle peut davantage pousser Mugabe à raidir la nuque. S'achemine-t-on pour autant vers un fiasco du sommet?
Au moins une certitude: le président zimbabwéen doit surtout ses ennuis et son ostracisme à la réforme agraire qu'il a engagée et qui, jusque-là, semble restée en travers de la gorge de l'Occident, en particulier celle de son ancienne puissance colonisatrice, la Grande-Bretagne. En somme, un combat de libération que les Blancs n'ont jamais pu digérer. Alors que 80% des terres appartenaient à la petite minorité blanche, Mugabe a voulu, quoi qu'on ait eu à dire sur les calculs politiciens d'une telle réforme, poser un acte de justice sociale au profit du plus grand nombre. Plutôt que d'applaudir ce geste d'équité et de justice sociale, et de l'accompagner, l'Occident a vu en l'initiative, une menace frontale contre ses intérêts. Puis, entrèrent en jeu toutes sortes de moyens destinés à mettre le pays à genoux, à l'asphyxier économiquement. A dire vrai, les problèmes du Zimbabwe s'expliquent moins par son déficit de démocratie que par la volonté de la Grande-Bretagne et de ses alliés de faire subir à l'ancienne Rhodésie du Sud les conséquences de son affront. Au demeurant, quelles que soient la couleur et la nature du régime, qu'il soit démocratique, monarchique, autocratique, etc., tout pouvoir d'Etat africain est quasi certain de ne pas subir les foudres des puissants tant qu'il ne s'attaque pas aux intérêts de ces derniers. Tant qu'on sait jouer le jeu, on est assuré d'être pratiquement couvert. Droits de l'homme, démocratie, etc., tout cela n'est, en réalité, qu'un jeu de dupes. De combien de dictatures les Occidentaux se sont-ils accommodés sur le continent noir tout simplement parce qu'elles servent leurs intérêts ? Autant l'Occident a taillé une camisole de dictateur à Mugabe, autant, en toute logique, il devrait en faire de même pour le Colonel Moammar Khadaffi de Libye, au pouvoir depuis 1969, de façon ininterrompue et sans aucune perspective d'alternance démocratique. Ah! la Libye, ce grand chouchou des pays puissants ! Si ces derniers étaient vraiment attachés aux valeurs de démocratie et au respect des droits humains, ils se seraient soumis au verdict des urnes, après la victoire du mouvement palestinien, le Hamas. Et que dire des Etats-Unis, pour ne pas les citer, qui, tout en prétendant être respectueux des droits de l'homme, continuent à s'opposer à la ratification du protocole de Kyoto ? Pour tout dire, seuls comptent les intérêts, et le reste passe après. De la pure hypocrisie que tout cela ! Ce qui pousse à se demander finalement qui est plus dictateur que qui.
Dans son bras de fer avec la Grande-Bretagne, Mugabe n'est pas seul. S'il a le soutien de quelques pairs de la région australe, cela n'est guère surprenant. Les pays de cette partie de l'Afrique ont eu, à un moment donné de leur histoire, un ennemi commun: l'envahisseur européen. Les pays de l'Afrique australe ont généralement montré une plus grande force de cohésion, que ceux de l'Afrique francophone. Mugabe a jusque-là réussi à faire face à ses adversaires parce qu'il appartient à l'espace anglophone. Il serait dans l'espace francophone qu'il ne serait peut-être pas à ce jour au pouvoir.
Si seulement une telle cohésion pouvait être la règle sur tout le continent, l'Afrique n'en serait pas là. Si les pays du Nord ont toujours su faire chorus face à des situations qui engagent leur destin commun, qu'est-ce qui empêche l'Afrique de s'affirmer à travers une union sacrée ?
Après être parvenue à mettre le Zimbabwe au ban du Commonwealth, il s'agit maintenant pour la Grande-Bretagne de transférer son différend avec son ancienne colonie à l'Union européenne. Mais, dans le fond, Mugabe est-il un pestiféré comme l'Occident veut bien le faire croire ? Doit-on voir en ce personnage le mal incarné ? On ne peut en aucun cas l'affirmer avec force, d'autant qu'il a été à la base de réformes qui avaient même valu les félicitations de certains de ceux qui le combattent aujourd'hui.
Dans la campagne de diabolisation contre le président Mugabe, on ne saurait omettre le rôle néfaste des médias occidentaux. Ils n'ont pas toujours eu le même empressement à relayer les actes positifs de Mugabe. Tous les moyens sont vraisemblablement bons pour dénigrer et abattre le dirigeant zimbabwéen, parmi lesquels il faut citer le financement de ses opposants politiques. Même s'il est vrai que le manque d'alternance et l'entêtement de Mugabe à s'accrocher au pouvoir, ne sont pas pour honorer l' Afrique. Mugabe devrait travailler à une certaine ouverture qui pourrait prendre la forme d'une transition en douceur dans son propre parti, la ZANU PF qui reste jusque-là populaire dans le Zimbabwe profond et dans certains centres urbains.
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