L'Heure du Temps (Blog d'Information sur le Burkina Faso)

L'Heure     du     Temps (Blog d'Information sur le Burkina Faso)

«Internet ne remplace pas un journal, il le complète»

Alexis Delcambre, rédacteur en chef de lemonde.fr

«Internet ne remplace pas un journal, il le complète»

 

Avec l’avènement d’internet, on assiste aujourd’hui à un bouleversement des rapports traditionnels entre le média et son audience. Comme dans un jeu de passe-passe, ils deviennent tous, tour à tour, émetteurs et récepteurs. Cette révolution touche à fond l’ensemble des pratiques journalistiques tant aux niveaux de la collecte, du traitement que de la diffusion de l’information.

Outil et média à la fois, internet est un sujet de réflexion au sein des organes de presse et de la société. Un sujet que nous avons abordé avec Alexis Delcambre, rédacteur en chef du site web (lemonde.fr) du journal français Le Monde.

La place du net dans une rédaction ; la tenue des sites web d’information ; les rapports entre un site internet et son métier d’origine ; la publicité sur le net ; le rôle de l’internautes dans l’animation du site web sont autant de points d’importance que nous avons abordés avec Alexis Delcambre. Dans cet entretien, l’interviewé, de façon très pédagogique et technique, nous parle du management de sites web d’information et nous fait part de sa conviction de ce que internet ne remplace pas un journal, mais le complète.

 

Est-ce qu’aujourd’hui un journal peut se passer du net ?

 

• Il existe des journaux qui se passent du net. En France, un journal comme «Le Canard enchaîné» est un média qui n’a délibérément pas de site internet et qui continue de développer une politique de diffusion exclusivement papier.

Mais je crois qu’aujourd’hui, c’est compliqué pour un titre de faire abstraction de la réflexion sur internet.

La question qui se pose finalement est celle du métier, ce qui fait qu’on est un journal. Est-ce qu’être un journal c’est imprimer des feuilles de papier ou est-ce que c’est diffuser la meilleure information accessible au plus grand nombre ?

Je crois que c’est plutôt la deuxième réponse qui prévaut.

Donc, les questions qu’il faut se poser pour savoir s’il faut passer en partie ou tous les articles sur internet sont les suivantes :

- où sont mes lecteurs actuels et où seront mes lecteurs de demain ? Il revient à chaque média de trouver des réponses à ces questions de façon à déterminer où est sa base de lectorat la plus large. Il y a des cas où un journal peut avoir beaucoup de lecteurs à l’étranger. Il est évident que dans ce cas de figure, une diffusion par internet est plus efficace et plus profitable qu’une diffusion par papier.

Autre cas de figure, les jeunes générations. On sait qu’elles sont plutôt utilisatrices de l’internet. Si je veux conquérir de nouveaux lecteurs, est-ce que je n’ai pas intérêt à commencer dès maintenant à aller sur internet et à commencer à apprivoiser ce futur lectorat ?

Une fois qu’on a déterminé où est son lectorat actuel et son lectorat potentiel, l’autre question importante à se poser est la suivante : comment je fais pour diffuser de l’information au meilleur coût ?

Editer un site internet et imprimer un journal, ça n’a pas la même structure de coûts. Quand on fait de l’internet, on n’a pas à gérer les coûts de fabrication ni de distribution hormis la bande passante.

Il peut s’avérer donc intéressant pour un journal de basculer petit à petit vers l’internet.

 

En Afrique, les rédactions web ne sont pas très répandues. Alors dites-nous qu’est-ce qu’une rédaction web et comment fonctionne-t-elle ?

 

• Il faut d’abord dire qu’il y a certains journaux qui ont créé une rédaction web indépendante de la rédaction papier. C’est le cas par exemple du Monde. D’autres au contraire, comme Le Figaro, ont leur rédaction web qui est en fait une cellule au sein de la grande rédaction papier. Et c’est d’ailleurs la situation de beaucoup de médias. Ce qu’on observe, c’est que dans tous ces cas, il y a toujours un groupe de gens chargés de certaines missions.

Les fonctions essentielles d’une équipe web, qu’elle soit intégrée ou à l’extérieur de la rédaction papier, sont de trois ordres.

Tout d’abord, c’est d’assurer une mise à jour en continu du site web d’information. Internet est un média de flux et repose sur la continuité de la mise à jour du site dès qu’il y a une information.

La deuxième fonction de cette équipe, c’est d’assurer la mise en ligne du journal papier. Cette mise en ligne n’est pas forcément une reproduction textuelle et conforme de l’article publié dans le journal. Il faut si possible ajouter des liens, des images, du son et même ouvrir un débat avec les lecteurs. C’est transformer un article papier en un article multimédia et interactif.

La troisième fonction d’une équipe web, c’est de produire des contenus spécifiques au web. Il s’agit de contenus qui n’existent que sur internet, c’est-à-dire le multimédia : proposer des images, des vidéos, des sons, du texte. C’est proposer des contenus interactifs pour faciliter la participation des lecteurs ; c’est agréger des liens vers d’autres sites (faire une sélection des meilleures informations qui existent à un moment donné sur le réseau).

Toutes ces fonctions sont en fait des formes nouvelles de journalisme que les équipes web sont chargées d’assumer à l’intérieur des médias traditionnels.

 

Qu’est-ce qu’un journaliste multimédia et quelles sont ses compétences ?

 

• Je précise qu’il s’agit-là d’un métier en cours d’invention. Mais on peut déjà faire une photographie de ce type de journalisme dans la plupart des rédactions web mêmes s’il n’est pas exclu que ça évolue.

Le journaliste multimédia a trois caractéristiques fondamentales.

D’abord, c’est un journaliste qui travaille dans une temporalité de temps réel. C’est un journaliste qui est capable de publier à tout moment une information dont il dispose.

La deuxième caractéristique de ce journaliste, c’est que c’est un journaliste qui est capable de manipuler différents langages. Jusqu’à présent, on a vécu dans une répartition des langages entre les différents médias traditionnels. Les gens de la presse écrite font du texte, ceux de la radio du son et ceux de la télévision de l’image.

Aujourd’hui, on voit apparaître une spécialité professionnelle qui manipule tous ces langages : c’est le journaliste multimédia.

Un tel journaliste a des notions dans tous ces différents langages (sans être forcément un spécialiste de chacun d’eux). Il peut donc donner son information sous plusieurs formats. Un peu comme un peintre, c’est un journaliste qui a une palette entre ses mains et qui est capable de l’utiliser à bon escient.

La troisième caractéristique est que c’est un journaliste qui est très ouvert à ses lecteurs et à ce qui se passe ailleurs sur internet. Il est capable d’observer le réseau, de voir ce qui s’y passe et aussi de garder le contact avec ses lecteurs, d’établir un dialogue avec eux. Il est capable au fond d’assurer une fonction essentielle du journalisme dans la société et qui est une fonction de créateur de débat.

Le journaliste a toujours été censé avoir un rôle d’animateur du débat dans la société. Avec le web, il dispose des outils nécessaires pour assurer sa fonction. Il peut faire réagir son audience, créer des sondages, faire vivre des forums. Bref, il a différents moyens de nourrir le débat sur son site.

 

Quelle est la fréquence moyenne de la mise à jour d’un site web d’information ?

 

• Il n’y a pas de réponse fixe. Ça dépend vraiment des sites et de ce qu’on veut en faire. Mais si le site est conçu comme un média autonome d’information, il est évident qu’il aura une catégorie de fidèles lecteurs. Et on observe qu’une fréquence de plusieurs mises à jour en l’espace d’une journée contribue à fidéliser un lectorat et à augmenter la fréquentation du site.

Ce qu’on observe, c’est qu’internet est un média d’information continue, que c’est un média qui s’adresse à des gens qui sont derrière leur ordinateur, à ce moment, il est intéressant de faire plusieurs mises à jour en l’espace d’une journée.

 

Doit-on sélectionner certains articles ou faut-il tout mettre en ligne ?

 

• Là aussi il n’y a pas de réponse définitive. Ça dépend des stratégies qu’on met en place.

Mais aujourd’hui, dans les grands sites, la tendance est de mettre en ligne gratuitement l’intégralité du contenu de la version papier du journal. La raison est qu’à partir d’un certain niveau d’audience, on peut avoir une exploitation publicitaire du site.

 

Votre site, lemonde.fr est réputé comme étant le premier site d’information en France. Pouvez-vous nous en donner quelques statistiques ?

 

• Je peux par exemple vous donner les statistiques de février 2008. Durant ce mois, on a enregistré 43 millions de visites soit à peu près 1,5 millions de visites par jour. Ces 43 millions de visites ont généré 125 millions de pages vues. Donc en moyenne, une visite génère 3 pages vues.

C’est vrai que notre site est le premier site d’information en France ; ce qu’on voit aussi à travers ces chiffres c’est qu’internet est un média de consultation rapide. Sur le net, les gens passent entre 5 et 10 mn par site web.

Le rôle d’internet, c’est de permettre aux gens, à un moment donné de la journée, d’aller voir quelles sont les dernières informations. Internet ne remplace pas la lecture du journal, c’est un usage complémentaire.

 

Cette forte fréquentation du site web n’a-t-elle pas une influence négative sur les abonnements et les ventes au numéro de la version papier du journal ?

 

• Il y a une petite dizaine d’années, quand on a commencé à mettre gratuitement sur la toile le contenu du journal, ça a pu avoir un impact légèrement négatif sur l’audience du journal. C’est-à-dire qu’il y a eu une partie des lecteurs du journal qui s’est dit que puisqu’ils ont finalement la même chose gratuitement, pourquoi alors débourser 7,50 francs ou 1,20 euros (c’était le prix à l’époque) pour acheter le journal.

Par la suite, les choses ont changé parce que le site internet s’est mis à gagner des lecteurs, à conquérir de nouveaux lecteurs et notamment des lecteurs jeunes. Je précise que sur lemonde.fr la moitié des lecteurs a moins de 35 ans. Et c’est totalement différent de l’audience du journal papier où la moitié des lecteurs a plus de 45 ans. Mais au fil du temps, on a vu que le site internet est devenu un outil de recrutement de nouveaux lecteurs pour le journal papier. C’est-à-dire que des lecteurs, jeunes en général, découvrent l’univers Le Monde grâce au site web et puis au bout d’un moment, ils se disent que “tiens,  Le Monde est très bien, je vais acheter le journal”. Ils deviennent ainsi, petit à petit, lecteurs du journal. Par exemple en 2007, il y a eu 12 500 nouveaux abonnés recrutés grâce au site internet pour le journal.

Après une période de transition qui a un tout petit peu affaibli l’audience du journal, on est arrivé aujourd’hui à un point où le site internet sert un peu d’entonnoir en permettant à des gens qui ne seraient pas allés spontanément vers la presse écrite de prendre connaissance de son univers, et pour certains d’entre eux, de devenir des lecteurs fidèles qui vont jusqu’à s’abonner au journal. Je crois qu’on arrive à mettre en place une complémentarité entre le site et le journal.

En Europe, le problème de la presse écrite est le vieillissement de son lectorat. Grâce au site internet, on arrive à recruter de nouveaux lecteurs pour le papier.

 

Quel est le modèle économique de votre site web et pourquoi ?

 

• L’originalité du monde.fr,  c’est qu’il a un modèle économique mixte : une partie gratuite et l’autre payante.

On a l’essentiel des informations qui sont disponibles gratuitement. Mais il y a un deuxième niveau qui est réservé aux abonnés et qui propose une offre supplémentaire. Cette offre supplémentaire est payante à raison de 6 euros par mois. Cette offre propose l’accès aux archives du journal depuis 1987, des dossiers, des newsletters. A propos des newsletters, nous estimons que le fait de servir de l’information à l’internaute dans sa boîte mail doit être payant parce qu’on lui sert, en quelque sorte à domicile, une offre d’information adaptée à ses besoins. Pour cela, on a plusieurs types de newsletters qui sont proposés aux abonnées.

Nous avons aussi intégré à la sphère payante la capacité offerte à l’internaute de pouvoir s’exprimer sur le site, c’est-à-dire que quand je suis un abonné du monde.fr, j’ai le droit de prendre la parole sur son site, je peux réagir aux articles, je peux participer aux forums, j’ai le droit d’ouvrir un blog sur ce site.

Au final, nous avons créé un paquet de services qui nous a permis de recruter à ce jour 95 000 abonnés dont 45 000 exclusivement au web. Les autres sont des abonnés papier à qui nous offrons automatiquement un abonnement web et qui l’ont activé, cela représente 50 000 personnes.

Au final, on parvient à obtenir une structure de revenus équilibrés. Certes, la publicité est le premier foyer de revenus du site web, mais à côté, on a un noyau de fidèles, 95 000 abonnés ce n’est pas rien, qui nous permet d’avoir une source de revenus stables et d’être un tout petit peu protégés par rapport aux fluctuations du marché publicitaire sur internet.

 

Peut-on vraiment rentabiliser un site web payant ?

 

• Oui, il existe des sites web qui sont payants. Mais ce qu’on observe, c’est qu’en général, il s’agit d’information très spécialisée.

Je prends l’exemple de l’information économique et financière. Un journal comme Les Echos en France ou le Wall Street Journal aux USA sont des journaux qui diffusent une information très très spécialisée à destination d’une cible bien particulière, à savoir les décideurs économiques. C’est donc une cible qui a les moyens et qui est en quête des informations de grande qualité et les plus récentes car c’est très important pour ses activités économiques.

Quand on a ce genre d’information à diffuser, on peut mettre en place une mécanique payante parce qu’on s’adresse à une niche de gens qui sont très demandeurs de ces informations et qui en plus ont les moyens de se les offrir.

Je dirais que quand on est dans le domaine de l’information générale, c’est beaucoup plus compliqué de mettre en place une stratégie exclusivement payante. C’est beaucoup plus compliqué parce qu’on est obligé de constater qu’aujourd’hui l’information sur internet, l’information générale, c’est gratuit. C’est gratuit parce qu’on l’obtient par Yahoo news, Google news, etc. ou par des portails web au niveau de chaque pays. C’est donc un peu vain de vouloir vendre ces informations. Le mieux est d’essayer d’attirer le maximum d’audience sur son site et rentabiliser cette audience grâce à la publicité.

 

C’est peut-être pour cela que certains grands médias numériques européens et américains sont en train de revenir à la gratuité ?

 

• Tout à fait. Mais encore une fois, ce qu’on observe, c’est que ceux qui reviennent à la gratuité sont des médias d’information générale. Le cas le plus célèbre, c’est le New York Times. Il avait une zone payante comme lemonde.fr, mais il a décidé de tout passer en gratuit. Ç'a été une réussite et ça a accru son marché. Pourquoi ça a marché ? Parce qu’aux USA, ce n’est pas le cas en Europe, le marché publicitaire sur internet a atteint une telle maturité qu’aujourd’hui, c’est plus intéressant de commercialiser une page qui est gratuite mais qui va attirer beaucoup de lecteurs et qu’on va pouvoir vendre assez cher à un annonceur. Finalement, c’est plus intéressant que de vendre un abonnement.

 

Comment se fait la facturation de la publicité sur internet ?

 

• Ça dépend de ce qu’on vend. Sur internet, la publicité existe à travers différents usages. Il y a :

- des bannières publicitaires ;

- des liens sponsorisés qui sont des liens gérés par Google Adsense par exemple qui met un lien sur votre page.

Ces usages différents ne peuvent pas avoir la même facturation.

Certains annonceurs achètent des bannières, c’est-à-dire qu’ils achètent une campagne publicitaire sur internet. Et là, ils paient par série de 1000 impressions de leurs publicités. Ce qu’on appelle 1 000 impressions, c’est 1 000 générations par les serveurs d’une page où cette publicité est présente. Là on parle de CPM (coût pour mille) et il y a un barème de facturation.

Quand on est en lien sponsorisé, c’est un autre système de coût et de facturation. C’est le coût par clic. Là, l’annonceur ne va payer que quand un internaute a cliqué sur son lien. C’est très intéressant parce qu’il ne paie que ce qui a été vraiment utile.

 

Peut-on avoir une idée sur le coût de la publicité sur internet en France ?

 

• Le CPM vaut environ 10 euros en moyenne. Ce n'est pas très cher et c’est ce qui explique qu’en France, la publicité sur internet est en train de décoller parce qu’elle est beaucoup moins cher que la publicité à la télévision, à la radio, dans la presse écrite ou sur les panneaux publicitaires dans la ville.

Le coût au clic peut être compris dans une fourchette de quelques centimes à quelques euros. Ce système a une efficacité très forte.

 

Quelle appréciation faite-vous des sites web d’information du Burkina ?

 

• Mon impression est que la presse burkinabè en ligne est assez riche et variée. Il y a près d’une dizaine de sites qui sont de bonne tenue et c’est un facteur positif.

Ce qu’on observe quand même, c’est que c’est une presse qui propose une version numérique du journal papier. Cela, on le voit dès qu’on arrive sur la page d’accueil de ces sites. On voit qu’on nous propose une version électronique de l’édition de tel jour.

Donc, on est dans le cas d’une presse qui n’a pas encore développé son site internet comme un média autonome et qui, pour le moment, continue de le concevoir comme une édition supplémentaire du journal papier. Dans ces conditions, on a l’impression que c’est une édition numérique destinée peut-être à la diaspora et à une partie du lectorat qui n’a pas un accès facile et direct à l’édition papier.

J’ai remarqué qu’il y avait un portail, lefasonet.net qui est actualisé très régulièrement. J’ai compris que c’est un site qui mettait en avant les ressources d’autres médias mais dans un rythme proche de la temporalité du web.

 

En Afrique, le site internet, comme vous venez de le faire remarquer, est encore, pour ce qui est de son contenu, un clone de la version papier du journal si bien qu’il contribue d’une certaine façon à éroder l’audience du journal. Alors, que faire pour compenser les pertes ?

 

• C’est vrai que le site peut contribuer à une érosion du lectorat papier. Mais il ne faut pas oublier qu’il peut aussi contribuer à recruter de nouveaux lecteurs. Avec le site, on pourra faire découvrir le site à des lecteurs qui n’ont pas un accès facile au journal et qui pourront à terme devenir des habitués et des abonnés du journal dès qu'ils le pourront. Je pense au lectorat expatrié et aux jeunes qui ont un accès internet.

Je comprends qu’il est dommageable que le site web se développe au détriment du journal papier. Alors, ce qu’il faut, c’est de faire en sorte que le site internet réponde à une autre demande d’information que celle à laquelle répond le papier.

Les responsables des médias doivent développer deux médias qui ont le même nom mais qui sont des médias différents parce que répondant à des usages différents.

Le média web est un média qui s’adresse surtout à des personnes qui sont régulièrement derrière un ordinateur et qui, depuis cette position, vont aller regarder les nouvelles. Mais ce n’est pas ça qui va les empêcher le soir d’ouvrir un journal. Il faut se dire que c’est un usage complémentaire.

Pour faire en sorte que le site ne morde pas sur le lectorat papier, il faut le concevoir comme un outil qui réponde à d’autres usages :

- il permet de toucher le lecteur à d’autres moments que ce que fait le journal papier ;

- il doit s’adresser à des gens qui ne peuvent pas être nos lecteurs aujourd’hui parce qu’ils sont géographiquement très loin ;

- il doit proposer l’information autrement. Il doit le faire de façon plus riche avec une variété de formes et de langages (texte, images, son) ;

- il doit proposer l’information de façon interactive. Permettre à l’internaute de prendre la parole, de donner son avis, etc. Cette façon-là de vivre l’information peut plaire aux jeunes plus que le rapport traditionnel au journal papier.

- ce qu’on peut aussi faire sur internet, c’est de développer des offres extrêmement ciblées. Par exemple, ça n’a pas forcément de sens d’éditer un journal réservé aux amateurs de pétanque. Par contre, le faire sur internet peut être plus simple parce que moins onéreux et qu’on va pouvoir proposer plus efficacement aux annonceurs une audience parfaitement ciblée et des outils adaptés.

 

Dans des pays pauvres comme le Burkina, croyez-vous qu’on puisse rentabiliser un site web d’information ?

 

• Je réponds oui et non. C’est-à-dire que je crois que pour un site web d’information générale, publiant gratuitement ses informations, il est évident que sans un certain niveau d’audience, on va avoir du mal à trouver de la publicité. Il va donc être compliqué de rentabiliser le site.

Mais je crois qu’on est face à un média sur lequel il faut se positionner dès maintenant parce qu’il ne faut pas laisser passer le train. Même si c’est pour y être de façon modeste, il faut avoir une présence sur le web, car c’est bien d’avoir quelques pions sur la toile pour préparer l’avenir.

Ce qui peut être rentable dans un pays où le net n’est pas encore un média très courant, je pense que c’est de développer des offres très spécialisées à destination de gens qui sont prêts à payer cette information-là. Il faut développer des offres très modestes mais payantes à destinations de la diaspora.

 

Parlez-nous de la place des internautes dans l’animation d’un site web.

 

• La place de l’internaute est majeure dans l’animation d’un site internet. C’est une place qui est majeure parce que les internautes jouent trois fonctions essentielles dans la vie d’un site.

Tout d’abord, ils transforment l’information que donnent les journalistes en sujet de débat. C’est un peu comme dans le théâtre grec antique où on a les acteurs qui jouent et dans la salle il y a un chœur qui commente ce qui est en train de se passer sur la scène. Internet permet de prendre le pouls de l’opinion. C’est important parce qu’il ne faut pas l’oublier, la mission des médias, c’est aussi de générer des débats dans la société, c’est de faire réfléchir et converser.

La deuxième chose est que l’internaute peut être apporteur d’information. Il peut être témoin de quelque chose. Ce point est surtout vrai lorsqu’il s’agit de catastrophes, d’attentats ou de faits divers. On l’a vu à l’occasion du Tsunami et des attentats de Londres et Madrid. A toutes ces occasions, les gens qui étaient les mieux placés pour faire des images, c’était le public (qui était sur place) et donc les internautes mais pas les journalistes. Parce que ces événements imprévus se déroulent le plus souvent en l’absence des journalistes et le temps que ces derniers en soient informés, l’événement a peut-être déjà plusieurs heures. Avec le développement du téléphone portable, les gens ont la possibilité de faire des photos ou des courtes vidéos et beaucoup ont le réflexe de les envoyer aux médias.

En plus d’être témoins, les internautes peuvent être experts. Parmi eux, il y a des médecins, des ingénieurs, des professeurs, des spécialistes de tel ou tel domaine. Ils peuvent donc avoir des choses à dire. On a donc tout intérêt à essayer de capter leurs expertises.

La dernière fonction des internautes, c’est qu’ils sont des relais de la diffusion des informations. Le web est ainsi fait que c’est un réseau mondial et qu’une partie des informations et des contenus circulent grâce à l’action des internautes. Ils circulent parce que vous et moi trouvons que cette information est importante. Alors, on va l’envoyer par email à des amis, on va la copier sur notre blog ou notre page FaceBook. En fait, on va assurer collectivement, en tant que public-internaute, une diffusion virale de cette information.

Aujourd’hui, il n’y a rien qui fonctionne véritablement sur internet sans ce relais de la diffusion virale des informations par les internautes entre eux.

Je pense qu’un site internet a tout intérêt à ne pas être protectionniste par rapport à son contenu. On a tout intérêt à permettre aux gens d’utiliser nos contenus, à mettre à leur disposition des fonctions d’export de nos contenus. C’est tout cela qui va permettre à nos contenus, à nos marques médiatiques de se diffuser, d’être connus du plus grand nombre, et peut-être demain, grâce à ça, de gagner de nouveaux lecteurs et beaucoup de publicité.

 

Propos recueillis par

San Evariste Barro

barro.evariste@lobservateur.bf

L’Observateur Paalga du 3 avril 2008

 

Encadré

Bio express de l’interviewé

 

Alexis DELCAMBRE, âgé de 30 ans, est rédacteur en chef du Monde.fr depuis mars 2006.

Après une licence d'histoire, il poursuit ses études à l'Ecole supérieure de journalisme de Lille (ESJ) de laquelle il sort majeur de promotion en 2002. En parallèle, il est journaliste pour le service des sports de La Voix du Nord et pour Radio France.

C'est en 2002 qu'Alexis Delcambre intègre le groupe Le Monde où il est successivement journaliste pour la séquence «Entreprises» puis journaliste-pigiste en presse économique et managériale.

En février 2003, il entre au Monde Interactif en tant que rédacteur pour Le Monde.fr. Après avoir été chef d'édition en charge du central et rédacteur en chef adjoint, il est nommé rédacteur en chef en mars 2006.

Alexis Delcambre est également intervenant en journalisme multimédia à l'Ecole supérieure de journalisme (ESJ) de Lille, à l’Ecole de journalisme de Sciences-Po et à l'Ecole des métiers de l’information (EMI-CFD) de Paris.



02/04/2008
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