Kibaki veut régner sur un cimetière au Kenya
Kenya
Kibaki veut régner sur un cimetière
L'année 2008 s'est ouverte sur une hécatombe au Kenya. Près de 350 morts, plus d'un millier de blessés et quelque 100 000 déplacés, tel était en effet à la date d'hier le bilan provisoire des émeutes qui ont éclaté dans ce pays d'Afrique orientale au lendemain de la présidentielle du 27 décembre 2007. Une élection que le président sortant, Mwai Kibaki, dit avoir remporté, mais dont les résultats sont contestés par son challenger, Raila Odinga, qui prétend, lui aussi, avoir gagné le scrutin. Il faut dire que Kibaki a fait montre d'un empressement sérieusement suspect en prêtant serment dès le 29 alors même que les résultats étaient à peine définitifs et connus. Comme s'il n'était pas vraiment sûr de son affaire. Comme s'il était conscient d'avoir volé la victoire à son vis-à-vis.
De fait, de nombreux observateurs de la scène politique kenyane pensent qu'il n'est pas tout à fait net et que, si une différence de 200 000 voix il y a entre les deux prétendants, ce devrait être en faveur d'Odinga. N'a-t-on d'ailleurs pas assisté, mercredi, à un coup de théâtre quand le président de
On comprend dès lors pourquoi Odinga n'entend pas se laisser flouer de son gain. Résultat, le déchaînement de violence avec la comptabilité macabre, même pas exhaustive, qu'on sait, qui a transformé en morgues géantes les paysages luxuriants de ces contrées de rêve qui voient déferler chaque années des millions de touristes assoiffés de safaris-photos.
Mwai Kibaki veut-il donc régner sur un cimetière ? C'est la question que l'on est en droit de se poser au regard de ce spectacle insoutenable de personnes parfois brûlées vives, cela, d'autant plus que le spectre d'une guerre ethnique est en train de se profiler. Car ces choses, on sait toujours quand ça commence, mais on ne sait jamais quand ça va s'arrêter.
C'est pourquoi il faut éviter de jouer avec le feu pour que le pays ne "se rwandaise pas", les deux camps s'accusant mutuellement de "génocide", de "nettoyage ethnique". On n'en est sans doute pas encore là, mais tout se passe comme si les fantômes de
Dans nos Etats, qui ne sont pas encore de vraies nations et où la carte politique épouse bien souvent, hélas, les contours de la géographie ethno-régionale, où les partis sont parfois des histoires de clans et de tribus, le différend qui est d'abord fondamentalement politique a ainsi insidieusement glissé sur le terrain ethnique. Ce seraient les Gikuyus de Kibaki et les Luos d'Odinga qui se massacrent, les seconds voyant en leur champion le moyen inespéré d'accéder au pouvoir suprême, dont ils ont été tenu longtemps éloignés. Tout cela, sur fond de problèmes fonciers non ou mal résolus, de pauvreté accrue, d'inégalités qui se sont accentuées...
Un cocktail forcément détonnant, qui fait penser que si le soupçon de hold-up électoral en est l'élément déclencheur, c'est aussi des difficultés socio-économiques qui ont fait le lit de cette escalade, ces pauvres hères qui ont massivement voté Odinga voyant en lui le candidat du changement susceptible de leur apporter une bouffée d'oxygène. Quitte à ce qu'il les déçoive, comme c'est souvent le cas, s'il venait un jour à accéder à la plus haute charge. Mais en attendant, il voulait essayer autre chose.
Au-delà des clivages ethniques, cette armée de défavorisés est sans doute la même qui avait hissé, après 24 ans de règne sans partage d'Arap Moï, l'opposition et Kibaki au faîte du pouvoir en 2002.
Mais pour être une déception, celui-ci en est une bien grosse, car à l'image de nombreux autres "opposants historiques", il doit avoir été trop tôt enivré par l'ivresse du trône, son épouse se payant même le luxe d'aller faire des scandales dans des résidences ambassadoriales ou d'effectuer des descentes dans des rédactions pour corriger quelqu'impertinent journaliste.
Triste à pleurer dans ce pays stable, connu pour ces grands coureurs de fond, mais où la politique de certains, au lieu de toiser la cime du mont Kenya, vole au ras des pâquerettes alors que dans cette région du continent, il était le seul à s'être très rapidement démocratisé et faisait office d'exemple. Avec, de surcroît, une bonne situation économique.
Voilà où nous en sommes aujourd'hui, les centaines de macchabées qui jonchent les rues de Naïrobi, de Mombassa, d'Eldoret, de Kisumu (3e ville et bastion d'Odinga) n'étant que les pauvres victimes de la mauvaise gouvernance politique, les élections truquées conduisant un jour ou l'autre à ces tragédies. Que les fraudeurs électoraux professionnels et autres tripatouilleurs de constitution qui rêvent d'éternité ne disent pas après qu'ils n'en avaient pas été prévenus.
Maintenant donc que l'incendie s'est déclaré et qu'il s'est très vite propagé à l'intérieur du pays, il s'agit, pour éviter l'embrasement général, de le circonscrire rapidement avant de le maîtriser. Par la négociation et c'est à cela que s'affaire la communauté internationale, qui a multiplié ces jours-ci les pressions diplomatiques pour amener les différents protagonistes à s'asseoir autour de la même table. John Kufuour, le chef de l'Etat Ghanéen et président en exercice de l'Union africaine, et Ahmed Tejan Kabah, ancien président de Sierra Leone et chef de la mission du Commowealth, sont ainsi arrivés hier dans l'après-midi dans la capitale kenyane, où ils ont presque été reçus comme un chien dans un jeu de quilles. Le présumé président-fraudeur a en effet estimé avant l'arrivée des deux médiateurs qu'il n'avait pas besoin de leurs bons offices parce que son pays n'était pas en guerre.
C'est quand même terrible ! Ça met le feu à sa maison et après, dans une logique suicidaire, ça bombe le torse devant les flammes ravageuses pour dire au voisin que ça ne le regarde pas et qu'on n'a pas besoin de son seau d'eau. Pauvre Afrique ! Pauvre Kenya !
Hier c'était le colon qui réprimait dans le sang les Mau-Mau parce qu'ils avaient eu la mauvaise idée de se révolter entre 1952 et 1956, aujourd'hui ce sont les dirigeants qui tirent sur leurs propres frères noirs et ça, ça fait forcément plus mal. Quand est-ce que tout cela va-t-il prendre fin pour qu'on s'attelle à la vraie guerre qui vaille : celle contre le sous-développement, l'ignorance et la maladie ?
Ousséni Ilboudo
L’Observateur Paalga du 4 janvier 2008
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