Saint-Valentin
L'amour n'attend pas les grandes dates
Le 14 février, jour de la fête de saint Valentin, est désormais considéré comme la fête des amoureux. Pour une catégorie de personnes, et elles sont de la plus en plus nombreuses, une nuit de débauche. Le 14 février de chaque année, dès le crépuscule, cette fête fait fureur au Burkina, notamment dans les grands centres urbains. Certainement aussi dans d'autres pays en Afrique. Pourtant, des Valentin célébraient depuis la nuit des temps, depuis l'ère chrétienne pour être plus précis, la fête de leur saint patron. Tout comme saint Joseph est le patron des menuisiers et saint Sébastien le patron des militaires, saint Valentin serait le protecteur des amoureux. Il veille à ce que leurs souhaits se concrétisent. C'est ainsi que tous ceux qui brûlaient d'une flamme secrète pour un être aimé se rendaient le 14 février très tôt à l'église pour prier et demander à saint Valentin d'exhausser leurs voeux, en amenant le coeur aimé à s'intéresser à leur flamme.
Mais, depuis une décennie, le 14 février est en passe de devenir une nuit d'orgies pour bien des hommes et des femmes. La nuit de la Saint-Valentin n'est plus seulement l'affaire des Valentin et des Valentine. Elle est une occasion d'excentricités de toutes sortes. On dit que la Saint-Valentin est la fête de l'amour. L'amour a-t-il besoin d'un jour spécial pour se manifester? L'amour est un miracle qui se répète chaque jour; il est fait d'attention et de prévenances de chaque instant. L'amour n'a point besoin de date pour s'exprimer, pour se manifester. Dans les pays occidentaux, le 14 février est la fête du muguet, cette fleur violette qu'on offre à sa femme ou à celle appelée à devenir un jour sa femme. Tout s'arrêtait là. C'était un symbole. Le symbole est devenu autre chose quelques années après.
Mais depuis l'avènement de la téléphonie mobile au Burkina, la nuit du 14 février a pris un reflet particulier. Surtout des hommes, mais parfois des femmes aussi, qui se font un impérieux devoir d'offrir des cadeaux (parfois dispendieux) à l'être aimé. En règle générale, les filles attendent tout de leurs petits amis, la nuit de la Saint-Valentin étant manifestement avant tout une affaire de jeunes. Les moins jeunes se contentant de manger un poulet et de boire une bière étant assis tranquillement dans leur salon. Les jeunes filles attendent de leurs petits copains, pas des fleurs seulement, mais de précieux cadeaux, une invitation à sortir pour aller manger du poisson ou du poulet braisé, à aller danser dans une boîte de nuit. Des garçons pousseront l'extravagance, ou la générosité, jusqu'à leur proposer d'aller manger dans un lieu où eux-mêmes ne sont jamais allés de leur propre chef. En dépit de la vie chère, des fêtes de fin d'année qui vont causer des trous dans les poches et des ravages dans les comptes en banque, les comptes d'épargne et autres dépôts dans les caisses populaires. Mais, en cette nuit de la Saint-Valentin, aucun sacrifice n'est de trop pour apprivoiser le coeur de l'être aimé.
"Avez-vous pensé à acheter le pagne ou le tee-shirt saint Valentin pour l'offrir ce soir à celui ou à celle que vous aimez? Dépêchez-vous car le stock est limité." Ce slogan pourrait être celui de toute personne qui compte tirer profit de la fête de saint Valentin. Ce slogan montre surtout le caractère purement mercantile de la Saint-Valentin. Et, comme en toute chose, l'Africain singe l'Occidental, avec des excès et des extrêmes. Car, la Saint-Valentin telle qu'elle est célébrée chez nous aujourd'hui, est un "truc" purement commercial. Elle est une occasion attendue pour se débarrasser des vieux stocks qui ne peuvent plus trouver preneurs. En outre, la Saint-Valentin, telle qu'on la fête chez nous, est une fête importée, mais avec tous les travers en plus. C'est une coutume qui vient d'ailleurs, plus précisément de l'Occident, des anciennes puissances coloniales. C'est une imitation servile de ce qui se fait en France et ailleurs en Occident. C'est la célébration de l'amour dans sa dimension matérielle. Les maisons de téléphonie mobile, les fleuristes et autres boutiquiers vont faire de très bonnes affaires. La Saint-Valentin, telle que nous la vivons aujourd'hui, n'est ni plus ni moins qu'un autre avatar de la société de consommation dans un pays où les priorités sont avant tout boire et manger à sa faim, et assurer le minimum à ceux qu'on aime. Encore une fois, voilà l'Africain embarqué de force dans une histoire de mimétisme infantilisant et ruineux. Un mimétisme qui gagne malheureusement du terrain.
La Saint-Valentin ne va pas faire que des heureux et des heureuses. Beaucoup attendront ou chercheront toute la nuit, leur Valentin ou leur Valentine en vain. Il est sorti avec une autre; elle a été invitée par quelqu'un qui possède une plus grande surface financière. Pour beaucoup, ce sera un vrai dépit amoureux, une nuit de calvaire, une nuit où des projets échafaudés de longue date vont s'écrouler. L'essentiel pour les unes et les autres, ce sera d'en tirer des leçons salvatrices pour l'avenir. La Saint-Valentin se devrait être ça aussi.
Le Fou
Le Pays du 15 février 2008