"L'Arche de Zoé est une comédie"
Micael N. Didama, journaliste tchadien
"L'Arche de Zoé est une comédie"
En séminaire à Ouagadougou, le Directeur de publication du journal "Le Temps" de N'Djamena nous a accordé une interview sur la liberté de la presse au Tchad, la situation politique qui prévaut ces derniers temps, mais aussi l'affaire Arche de Zoé qui est d'actualité depuis plus d'une semaine.
"Le Temps" de N'Djamena est-il un journal d'opposition, privé ou indépendant?
Le journal "Le Temps" que je dirige existe depuis le 8 mars 1995 ; ça fait déjà 12 ans que ce journal a vu le jour. C'est un journal d'informations générales, indépendant, très critique vis-à- vis du régime, ce qui fait qu'on le considère comme un journal d'opposition, même si cela n'est pas notre vision. Nous nous considérons simplement comme des veilleurs de temps en temps, si les choses ne marchent pas. Malheureusement, nous sommes pris comme des gens de l'opposition, ce qui nous a valu beaucoup de tracasseries, de démêlés avec le pouvoir, de harcèlement. Personnellement, ma dernière incarcération date de deux ans.
Juste pour les articles que vous écrivez, ou ce que vous dénoncez ?
Ce sont les articles que nous écrivons, qui provoquent souvent ces tracasseries. Ce sont souvent les proches du président, les autorités de
Le dernier incident en date, c'est le passage à votre domicile pendant que vous êtes à Ouagadougou. Comment vous avez appris cette information sur les bandits qui sont passés chez vous?
C'est le mercredi 31 octobre dernier, autour de 4h 30 que j'ai été réveillé par un coup de fil de ma femme qui était en pleurs. Je lui ai demandé la raison, et elle m'a dit que les gens venaient d'entrer chez nous et ont ouvert le feu sur la voiture qui a été copieusement mitraillée et très sérieusement endommagée, avant de se retirer sans rien prendre. Elle avait cru avoir affaire à des voleurs, mais c'était plutôt des hommes armés qui, heureusement, n'ont pas tiré sur quelqu'un dans la maison.
Il n'y a pas eu de blessés dans votre famille ?
Non, il n'y a pas eu de blessés, mais c'est des chocs émotionnels. Imaginez les enfants dans la maison, mais surtout madame, en mon absence, qui reçoivent une bande de pistoléros à la maison qui tirent sur tout ce qui bouge, et qui réveillent les gens en pleine nuit. Je pense que ça laisse quand même des traces indélébiles. J'ai essayé d'appeler les autorités du pays, j'ai tenté de joindre le Premier ministre qui, malheureusement, était en déplacement au Congo. Mais j'ai joint son directeur de cabinet à qui j'ai exprimé ma totale désapprobation pour ce qui s'était passé. La gendarmerie, saisie, a fait le déplacement pour faire le constat. Un commis huissier est aussi parti dresser un procès-verbal de ce qu'il a vu. J'entends donner une suite judiciaire à cette affaire.
Etaient-ce des gens qui voulaient vous intimider ? Avez-vous un dossier essentiel sous la main ?
A ce que je sache, depuis ma sortie de prison en 2005, je n'ai pas eu d'autres accrocs avec les autorités du pays. Bien que de temps à autres, il y ait certains barons du régime qui haussent le ton ou appellent au téléphone pour m'engueuler ou déverser leur colère sur moi ou sur mes collègues, je ne pense pas qu'il y ait un dossier quelconque qui puisse amener les gens à escalader le mur et aller mitrailler ma voiture. Nous vivons dans un pays où il y a beaucoup de forces qui ne sont pas contrôlées, ou bien qui obéissent à des groupes qui ont des intérêts totalement obscurs. Est-ce vraiment un message qu'on veut envoyer au journal que je dirige ou à ma personne ? Je souhaite que la plainte portée contre X et l'enquête ouverte par la gendarmerie aboutissent à quelque chose.
Est-ce que ces pratiques sont fréquentes au Tchad ?
Fréquentes, non ! Dans l'histoire assez mouvementée de la presse au Tchad, nous avons connu des passages à tabac, des arrestations arbitraires, des emprisonnements, mais, à ce que je sache, pas un journaliste qui reçoit à 5h du matin la visite de gens qui débarquent, tirent sur la voiture ; je crois que c'est la première fois.
Est-ce que la liberté de la presse est respectée dans votre pays ?
Il faut dire que nous sommes le seul pays de la sous-région où la liberté de la presse se sent, parce que nous avons des textes qui nous permettent vraiment cette liberté. L'autre aspect est que nous sortons d'une très longue dictature avec le régime Hissein Habré, et ceux qui sont aux commandes aujourd'hui sont des purs produits du règne de ce dernier.
Pouvez nous décrire le paysage de la presse au Tchad, les grandes tendances ?
Depuis les années 90 jusqu'aujourd'hui, à part le journal "N'Djaména Hebdo" qui est né en 1989, la plupart des journaux sont nés après 90. Nous avons eu au début de cette année une quarantaine de titres qui paraissent, dont une trentaine est morte parce que c'est très difficile de tenir un journal. Nous sommes un pays enclavé connaissant une situation économique très difficile, même si nous avons le pétrole maintenant. Les journaux ont un très petit lectorat, l'imprimerie est l'une des plus chères au monde, et surtout avec l'absence de la publicité, les journaux n'arrivent pas à résister. A cela s'ajoute aussi la censure qui nous a été imposée en 2005, juste à notre sortie de la prison. Tout cela est de nature à faire disparaître complètement la presse indépendante. Sur les 9 ou 10 titres qui paraissent, il y a un quotidien dont le propriétaire est l'actuel directeur de cabinet du président de
Selon le classement de Reporters Sans Frontières, le Tchad est passé de 124e en 2006 à 113e en 2007, pour ce qui concerne la liberté de la presse. Tout simplement parce qu'il y a eu des séries d'arrestations en 2005. Il y a moi-même, ma consoeur Coumbo Gali Sy qui est actuellement en RDC, Samori Kimto qui est rédacteur en chef de "L'Observateur". En plus de cela, comme je vous le disais, nous avons connu la censure. Après notre sortie de la prison, il y a des pressions qui ont été faites par les différentes organisations, ce qui a amené un certain assouplissement des conditions qui étaient les nôtres. Je pense que c'est ce qui explique cette évolution.
En tant qu'homme de presse, quel commentaire pouvez- vous faire de l'affaire Arche de Zoé ?
Je pense que c'est une situation qui est déplorable, mais il faut l'analyser avec une certaine prudence. Premièrement, à l'est du Tchad, avec cette crise du Darfour, il y a de nombreuses organisations qui pullulent et dont on ignore exactement le mobile. Deuxièmement, dans un pays comme le Tchad qui a connu beaucoup d'années de dictature et qui est presqu'entièrement quadrillé par les services de sécurité ou de renseignement, on ne peut pas croire qu'une organisation comme l'Arche de Zoé puisse aller dans les confins du village, dans les camps de réfugiés et déplacés pour y ramasser 113 enfants et chercher à les embarquer pour
Que dites-vous de la déclaration de Timan Erdimi, président du Rassemblement des forces pour le changement (RFC), qui disait qu'il ne croyait pas un seul instant à une paix avec Déby, et qu'une lutte armée contre ce dernier débuterait dans les prochains jours ?
En ce qui concerne les accords entre le gouvernement et les rebelles, je crois qu'il est difficile de croire à leur réussite. L'accord a été signé dans des conditions très opaques. Nous savons la profondeur de la divergence entre le président Déby et les rebelles. L'autre aspect est que, ce qui oppose Déby et ces différents chefs rebelles n'est pas seulement au niveau politique, c'est au-delà de la politique. Et quand dans une affaire comme celle-là, une divergence va au-delà du politique, elle n'a pas de solution politique. Timan Erdimi a été la matière grise du président Déby. Si Déby est resté 17 ans au pouvoir, c'est grâce à l'intelligence de cet homme dont tout le monde connaît la finesse d'esprit. Timan Erdimi considère Déby comme sa propre créature. Par ailleurs, Déby pense que Timan qui est son neveu est sa création. Donc à mon niveau, ce problème n'est pas politique, et comme je l'avais dit, quand un problème n'est pas politique, on ne peut pas le résoudre politiquement. Avant que les accords ne soient signés, le président a renforcé son armée à l'Est, et lui-même s'est déplacé à Abéché pour, dit-on, prendre la direction des opérations. Les rebelles, de leur côté, ont fait également de grandes pénétrations à l'intérieur du territoire. Quelques heures avant de signer les accords, Timan Erdimi a dit que c'étaient des accords caducs. Je ne peux pas comprendre que des accords soient déclares caducs avant qu'ils ne soient signés.
Le pétrole y est-il pour quelque chose dans la situation politique du Tchad ?
Il faut dire que le pétrole a été pour beaucoup dans la complication de la situation au Tchad. En 2001, le président Déby a déclaré aux yeux du monde qu'il ne modifierait pas
Propos réceuillis par Adoulaye TAO et Bogli KABO (Stagiaire)
Le Pays du 7 novembre 2007
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