L'Europe doit écouter l'opinion africaine
Accords de partenariat économique
L'Europe doit écouter l'opinion africaine
Le président Abdoulaye WADE, une fois n'est pas coutume, a mis les pieds à l'étrier. Il a rejeté, avec fracas, le projet d'Accords de partenariat économique (APE) entre les ACP (Afrique Caraïbes Pacifique) et l'Union européenne. Il propose autre chose, les Accords de partenariat pour le développement (APD).
Alors que l'Union européenne fait le pressing pour une signature le 31 décembre prochain de APE, la déclaration du président sénégalais matérialise, de façon officielle et solennelle, l'opinion générale des Africains par rapport aux négociations. En cela, Wade est courageux voire téméraire car il repousse non seulement l'idée des APE, mais aussi fait une contre-proposition. Celle-ci consiste à mettre au coeur des relations Europe-Afrique le développement. En ce qui concerne les APE, tous les scénarii ont montré que l'Afrique sortira perdante dans l'application des accords. Alors pourquoi signer? Que gagnera-t-on sinon faire plaisir aux Européens?
Wade a le mérite de dire tout haut ce que bon nombre de ses pairs pensent tout bas. Ces derniers, sans doute par peur de perdre quelques avantages secrets ou par simple prudence diplomatique du reste mal placée, se sont emmurés dans un silence coupable.
En Afrique de l'Ouest, seuls les présidents maliens et sénégalais se sont prononcés sur les négociations, les autres préférant s'en remettre aux négociateurs de
Le fait est qu'il y a des hésitations de la part de certains chefs d'Etat africains. Parmi eux, certains vont peut être tenter de jouer aux équilibristes. Quant au président Wade, sa dernière prise de position a le mérite d'être claire et sans ambages: nos économies ne sont pas prêtes pour le libre-échange que l'Europe propose et en attendant que le nouvel accord réponde aux préoccupations africaines, il faut faire jouer les dérogations prévues dans les textes de l'Organisation mondiale du commerce.
Les pressions ne manquent pas du côté européen. Mais, jamais dans l'histoire des relations entre l'Union européenne et les ACP, un accord n'aura fait autant de vagues. L'Afrique à qui on reprochait de ne pas avoir une opinion publique forte, a cette fois-ci montré qu'elle était capable d'une expression audible et intelligible sur les questions qui la touchent directement. Les marches, les déclarations, les réactions contre le projet d'accord ont essaimé partout sur le continent.
Et si les dirigeants africains avaient besoin d'alliés solides pour s'opposer aux APE et résister, ils les ont désormais dans les rues, dans les médias et même dans leur représentation nationale où les anti-APE leur ont donné des arguments suffisamment clairs pour dire non. Dans tous les cas, cette opinion publique est aujourd'hui plus représentative que le vote d'un parlement.
C'est une des rares occasions où le politique et l'opinion publique sont à même de constituer un bloc homogène, au nom de l'intérêt général. C'est un tournant historique et les responsables africains doivent se montrer capables de bien négocier, pour éviter le jugement de l'histoire. Il faut éviter d'aller aux négociations pour se faire hara-kiri. On l'a vu avec les accords de Bangui où les Africains se sont eux-mêmes liés les mains à propos de l'accès aux médicaments.
Cette fois, le débat a été assez large et les chefs d'Etat auront très peu de circonstances atténuantes s'ils acceptent de porter cette camisole imposée.
Les Européens eux-mêmes ont intérêt à entendre la clameur des peuples africains et qui traduit leurs craintes d'êtres broyés par un libre-échangisme en réalité plus tourné vers la promotion des grandes multinationales que vers le développement socio-économique du continent; ce continent que l'Occident veut manifestement contenir dans son rôle traditionnel de grand pourvoyeur des matières premières et de vaste marché pour les produits manufacturés du Nord. Il y a véritablement une obligation morale de la part de l'Europe de tenir compte de l'avis des peuples africains pour autant qu'elle tienne réellement aux valeurs et principes de démocratie.
Après plus de quarante ans d'indépendance, les précédents accords n'ont pas réussi à sortir le continent du sous-développement. Le continent est plutôt exclu du commerce international avec à peine 3% des échanges mondiaux. Si ces accords étaient équitables et tournés vers la promotion de nos économies africaines, il n'y aurait rien à redire. Mais cela semble loin d'être le cas.
En tout état de cause, tout accord qui ne pose pas clairement les fondements d'un développement économique durable sera considéré, par les Africains, comme un marché de dupes destiné à les maintenir dans les liens de la dépendance permanente. Préserver avant tout les intérêts du continent, tout en ne foulant pas au pied ceux de l'Europe, c'est à cela que doivent servir les négociations. Autrement, on court tout droit vers un diktat déguisé.
Le Pays du 14 novembre 2007
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