L'Heure du Temps (Blog d'Information sur le Burkina Faso)

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LAURENT OUEDRAOGO : "Il ne suffit pas de prendre des mesures"

LAURENT OUEDRAOGO
"Il ne suffit pas de prendre des mesures"



Pour enrayer la flambée des prix des produits de première nécessité, le gouvernement, après avoir suspendu les droits de douane pour 3 mois sur certains produits, vient de fixer leurs prix de vente que les commerçants sont tenus de respecter théoriquement depuis le 10 mars 2008. Mais que peuvent bien penser les syndicats d'une telle mesure ? N'ont-ils pas failli dans la lutte contre la vie chère vu que c'est à la suite de manifestations de rue spontanées et violentes que le gouvernement a pris les mesures d'allègement ? Qu'est-ce que les syndicats vont revendiquer au cours de leur Assemblée générale suivie de marche-meeting le 15 mars prochain ? En vue d'avoir des réponses à ces questions et à bien d'autres, nous avons rencontré en fin de matinée du 10 mars 2008 Laurent Ouédraogo, secrétaire général de la Confédération nationale des travailleurs du Burkina et président du mois des centrales syndicales du Burkina pour la période 31 décembre 2007 - 31 mai 2008.

Quelle est la réaction des syndicats par rapport à la dernière mesure gouvernementale contre la flambée des prix ?

Nous pouvons dire que nous étions déjà quelque peu informés que le gouvernement allait faire quelque chose par rapport à la flambée des prix. Seulement, nous ne savions pas exactement la mesure qui allait être prise. Avant les événements que nous avons connus récemment, le gouvernement nous avait invités pour nous dire qu'il se trouvait dans une situation qui l'obligeait à réfléchir pour trouver une solution à la flambée des prix et également nous informait qu'il allait prendre des mesures sans dire lesquelles. Il nous avait aussi demandé de réfléchir de notre côté. Mais notre réponse a été catégorique à savoir que gouverner c'est prévoir et que chacun joue son rôle. Pour nous, la seule façon de lutter contre la pauvreté est d'augmenter les salaires et nous l'avons demandé dans notre cahier de doléances de 2007. Nous avons dit au gouvernement que nous prenons acte des mesures qu'il propose de prendre pour lutter contre la flambée des prix. Nous avons également dit que nous sommes heureux que le gouvernement reconnaisse avec nous les méfaits de la libéralisation des prix parce que tout le monde, sauf nous bien sûr, pensait qu'elle allait amener la baisse des prix. Or, ceux qui vendent sont bien malins et savent comment récupérer l'argent qu'ils investissent et aussi le bénéfice. Donc au lieu de jouer la concurrence, ils ont joué l'alignement. En fin de compte, notre problème est d'oeuvrer à la lutte contre la pauvreté, d'avoir le pouvoir d'achat, de disposer de ce dont on a besoin pour vivre. Nous n'avons rien contre le fait de trouver des solutions pour baisser les prix. Nous prenons acte. Seulement, et par rapport à la mesure prise aujourd'hui par le gouvernement, nous nous demandons ce que l'on va faire après les 3 mois. Les décisions prises sont ponctuelles et dès maintenant il faut commencer à penser à ce que l'on va faire après. Si vous vous rappelez, les syndicats ont demandé et obtenu du gouvernement le blocage du prix des hydrocarbures de juillet à décembre 2007. Mais après les 6 mois, le gouvernement nous a dit qu'il ne pouvait plus supporter les blocages qui allaient créer d'autres problèmes plus graves. Il nous a montré plusieurs scénarios et a choisi celui qu'il pense meilleur et qui consiste à fixer les prix à la pompe en fonction du cours mondial. Le tout n'est pas de prendre des mesures, l'important est de tout faire pour que leur mise en oeuvre soit effective. C'est le problème dans notre pays. Je pense que de plus en plus les consommateurs doivent aussi aider le gouvernement. Si un consommateur trouve qu'un commerçant ne vend pas aux prix fixés par le gouvernement, la première chose à faire est de ne pas acheter. Par la suite, il peut s'associer à d'autres pour dire à ce commerçant qu'il est dans l'illégalité. Chacun de nous doit donc faire en sorte que ces mesures soient appliquées. Les gens ont longtemps vécu dans la pagaille, l'impunité, la fraude qu'aujourd'hui ils ne peuvent pas facilement accepter les mesures réelles du commerce parce qu'ils vivaient au-dessus de leurs bénéfices par la fraude. Nous avons aussi remarqué que derrière les fraudeurs, il y a les délinquants à col blanc. Et c'est pour cela que lorsque l'on prend une mesure qui touche aux intérêts de ce monde, il y a un mécontentement, des casses comme nous l'avons vu. Nous avons compris et c'est pour cela que nous avons toujours dit au gouvernement ce qu'il y a lieu de faire.



Jusque-là, vous ne nous avez pas clairement dit si la dernière mesure est bonne ou pas !



Nous allons l'apprécier dans la mise en oeuvre. Vous conviendrez avec moi que diminuer les prix des marchandises n'a jamais été mauvais. Nous voulons qu'il y ait adéquation entre les prix et le pouvoir d'achat; c'est là que se trouve notre combat. C'est déjà quelque chose que les prix soient bloqués, qu'ils soient connus de tout le monde. Mais il ne faut pas oublier que nous aurons à faire à l'intelligentsia commerciale et qu'est-ce qui peut bien se passer. Je ne voudrais pas jouer les prophètes de mauvais augure mais nous allons observer pour voir le phénomène qui va se passer qui pourrait être la pénurie artificielle. Et le gouvernement doit ouvrir l'oeil sur cela pour que des commerçants ne fassent pas disparaître les marchandises en attendant de les ressortir après les 3 mois. Tous ceux qui ont emmagasiné des marchandises (NDLR : il tape à plusieurs reprises sur son bureau) attendant de les sortir après doivent les vendre maintenant. Les commerçants doivent savoir que nous menons le même combat. S'il n' y a pas d'argent, on n'achètera pas et si on n'achète pas, il n' y aura pas de bénéfice aussi.



C'est à la suite des manifestations violentes que le gouvernement a pris des mesures contre la flambée des prix. Pourtant, les syndicats marchent depuis longtemps et revendiquent le relèvement du pouvoir d'achat sans que le gouvernement ait fait quelque chose de significatif. Etes-vous d'avis avec ceux qui disent, à la faveur des derniers événements, que les syndicats ont échoué ?



Echoué par rapport à quoi ? Les syndicats ont un programme d'activités bien précis. Nous dénonçons depuis 2001 la pauvreté, la cherté de la vie. Notre processus est de marcher dans la légalité. Après les négociations de novembre 2007, nous avons établi un programme de tournée dans les provinces (NDLR : une mission syndicale incluant le président du mois était le week-end passé à Fada, Tenkodogo et Zorgho) pour expliquer aux militants les résultats des négociations que nous avons eues, recueillir de leur part des propositions, des amendements et obtenir d'eux le mandat d'organiser ce qui aura été décidé ensemble. Nous sommes donc imperturbables. Nous déplorons ce qui s'est passé et pour éviter ce genre de situation, nous disons au gouvernement qu'il faut s'asseoir autour d'une table de discussions et régler les problèmes parce que personne n'a intérêt à ce que le pays brûle. Il ne faut pas que les gens pensent que c'est parce qu'il y a eu des événements à Bobo, Ouahigouya, Banfora, Ouagadougou que les syndicats sortent. Par rapport à ces événements, le monde syndical doit réagir et c'est ce que nous avons fait à travers des déclarations pour déplorer ce qui s'est passé, faire une analyse de la situation et dire que nous avons engagé un processus qui continue son chemin. Il faut aussi dire que nous voulons prendre le pouls; c'est pour cela que nous allons tenir une Assemblée générale suivie de marche-meeting pour dire au gouvernement ce que nous avons toujours répété depuis 2001. Les syndicats n'ont failli nulle part, c'est vous (NDLR : il nous indexe avec insistance) qui faillissez tous les jours.



De qui voulez-vous parler ?



La population, les travailleurs. Quand nous manifestons, vous ne sortez pas. Quand nous lançons des mots d'ordre de grève, vous ne les respectez pas. Ce que vous attendez, ce sont les fruits de la grève. Avec les manifestations prévues, nous voulons montrer aussi à la population la différence entre une manifestation spontanée et une manifestation légalement organisée, encadrée pour qu'il n'y ait pas des infiltrations. Nous avons déjà écrit au maire de la commune pour avoir l'autorisation, qui nous l'a rapidement donnée. Nous avons également écrit à cet effet au ministère de l'Administration territoriale et de la Décentralisation. C'est pour vous dire que l'autorité est déjà informée dans les détails de ce que nous voulons faire. Nous tirons notre force de la loi et n'avons pas intérêt à la piétiner.



Votre AG suivie de marche-meeting a-t-elle toujours sa raison d'être vu que le gouvernement a pris une mesure contre la flambée des prix que bien de personnes apprécient ?



Je vous ai dit qu'il ne suffit pas seulement de prendre des mesures, c'est leur mise en oeuvre qui compte le plus. Il y a un autre combat qui est de faire en sorte que les mesures prises puissent être respectées au bénéfice de 2 personnes : le consommateur et le commerçant.



Qu'allez-vous revendiquer lors de vos activités du 15 mars au cours desquelles la vie chère, la flambée des prix seront évoquées alors que des mesures sont prises par exemple contre la valse des étiquettes ?



Nous allons dénoncer la fraude, l'impunité, le manque de liberté. Cette fois-ci, nous avons un bon nombre de membres de la société civile avec nous. Quinze organisations de la société civile ont participé à notre dernière réunion; elles sont d'accord avec nous, nous soutiennent et s'engagent également à nos côtés. Nous allons élaborer ensemble une plate-forme qui prend en compte les préoccupations de tout le monde. Mais ce sont les syndicats qui sont les moteurs de l'activité, c'est nous qui tirons la charrue. Nous allons nous tabler surtout sur des revendications d'ordre général concernant la cherté de la vie. On ne sort pas de ce cadre; il faut que les rôles soient bien précis et éviter les dérapages qui peuvent nous coûter cher.



A ce propos, quelles dispositions avez-vous prises pour qu'il n' y ait pas de débordements ?



Ce sont des secrets de l'organisation que nous ne pouvons pas étaler sur la place publique.



Ne craignez-vous pas qu'au regard des précédents événements, les autorités se rétractent au dernier moment et vous interdisent de mener les activités prévues ?



Je ne leur conseille pas de le faire. Je leur conseille même de nous aider à organiser de manière paisible la marche et le meeting parce que la paix est chère à tout le monde. Le Burkina, pays le plus pauvre du monde, a des choses que les gens envient qui sont la paix, la sécurité. Et vous voyez que la sécurité commence à s'effriter avec les coupeurs de route, les agressions de toutes sortes. C'est cela qui est inquiétant.



Propos recueillis par Séni DABO

Le Pays du 12 mars 2008



12/03/2008
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