"Le parent a pataugé dans la boue"
Le PF face à la presse
"Le parent a pataugé dans la boue"
L'entretien de Blaise Compaoré avec la presse, le 6 septembre 2007, a suscité à Jonas Hien l'appréciation ci-après.
On imagine que c’est dans le cadre de la fête des 20 ans de pouvoir du chef de l’Etat burkinabè que s’inscrit la récente sortie télévisuelle de celui-ci. En pareille circonstance, le Comité d’organisation s’active et chaque commission de travail va à qui mieux mieux. Compte tenu de l’importance que les neveux, les oncles, les tanties, les cousins, les tontons, les cousines, les amis et autres accordent à l’événement, la commission communication devient la vitrine, devant développer une stratégie de communication conséquente en vue de rendre visible non seulement l’événement, mais surtout l’artisan principal. Et ainsi, Blaise Comparé est sorti et a parlé. Et quand le chef de l’Etat parle, cela attire l’attention de tous et chaque citoyen est en droit d’apprécier la prestation de son président. C’est d’ailleurs pourquoi en pareils cas, la presse prend le soin d’interroger des personnes de ressources et "l’homme de la rue" pour recueillir leurs impressions. Objectivement, la Télévision nationale (comme c’est le cas ici) ne peut pas interroger tous les Burkinabè pour avoir leur point de vue sur la sortie télévisuelle de leur Président. Mais chaque citoyen a le droit d’y porter son appréciation par les canaux de communication possibles. C’est ce qui justifie mon appréciation sur l’entretien du chef de l’Etat avec la presse à la télévision nationale, et ce, à plusieurs niveaux: le décor, les questions des journalistes, les réponses du Président et l’effet de sa prestation sur la fête de ses 20 ans de pouvoir.
Du décor
D’un point de vue de la communication, on pourrait dire que le décor a été bien choisi et bien aménagé: sol brillant sur lequel on peut se mirer, salon somptueux à l’image de l’édifice comme pour présenter au peuple miséreux les richesses amassées 20 ans durant. On y remarque aussi un président assis dans une position qui tranche avec les réalités de son pays, sécurisé à droite et à gauche par deux animaux méchants comme pour dire «peu importe, pourvu qu’on me craigne».
Des questions des journalistes
On peut reprocher aux journalistes face aux animaux méchants (des léopards m’a-t-on dit) de n’avoir pas abordé des sujets de grande importance pour la majorité des Burkinabè: l’impunité, le dossier Norbert Zongo, celui de Thomas Sankara, etc. Mais on doit reconnaître que les sujets qui ont pu être abordés l’ont été grâce à un certain courage dans la formulation des questions.
Les réponses du chef de l’Etat
Tout le monde en parle. Pour une télévision qui est sur satellite, donc suivie à travers le monde, la prestation du chef de l’Etat burkinabè a été des plus catastrophiques. Prenons quelques questions et analysons les réponses qui viennent de tout un chef d’Etat qui règne depuis 20 ans.
«On parle de plus en plus de dissensions entre votre frère François et votre fidèle Salif Diallo. Les avez-vous appelés pour les rapprocher?»
Le Président du Burkina Faso dit sans détour que les journalistes ont l’impression d’avoir beaucoup d’informations. Oui, ils ont l’impression d’être des gens bien informés et pourtant, ils ne sont que des inventeurs d’informations pour faire croire que depuis 20 ans, Blaise Compaoré ne fait rien sinon passer le temps à faire basculer le pays. A voir Blaise Compaoré, on a l’impression aussi que c’est un président bien informé des réalités de son pays. Et pourtant ! Il n’est jamais au courant de rien, toujours préoccupé à la recherche de mécanismes et de formules, à telle enseigne que tout le pays est au courant qu’entre son frère et le ministre Salif Diallo, ça ne va plus ; sauf lui. Que c’est dangereux pour tout un peuple d’avoir un président sous-informé, même par rapport aux informations qui viennent de sa cellule familiale.
Et c’est en cela que l’on veut comparer l’illustre Thomas Sankara, extrêmement informé, cultivé, aux réponses vives et sans détour et d’un langage d’un chef d’Etat collé aux réalités de son pays et de son continent.
S’agissant de la question sur les travailleurs du ministère des Affaires étrangères, curieusement le Président du Faso est au courant que ce sont des porteurs de jeans qui se promènent dans les rues munis de pancartes et qu’on ne saurait assimiler à des compétences du pays. Oui ! Un chef d’Etat. Il est au pouvoir depuis 20 ans. Et il va le faire savoir d’ici le 15 octobre par la voix des «braconniers de la presse» et tous les autres griots du même acabit.
Les travailleurs doivent aussi la boucler, car à moins qu’il ne s’agisse d’une folie, l’homme qui continue son progrès pour une nouvelle espérance au Burkina Faso depuis 20 ans ne voit pas en quoi il sera possible de doubler leur salaire. Et la réponse est toute sèche : «Rien du tout».
Blaise Compaoré brille d’un professionnalisme parfait dans ses propres contradictions. Il n’est jamais informé des choses sérieuses mais paradoxalement il sait que dans les rapports produits sur certains aspects de la gouvernance, il y a des choses qui ne sont pas vraies. Dans cette logique, il contredit avec fracas son actuel Premier ministre qui, lors de sa récente rencontre avec les organisations de la société civile au Ministère des Affaires étrangères, a loué les mérites de cette composante de la société et l’a invité à aller de l’avant aux côtés du gouvernement pour un développement harmonieux du pays. Lui au moins, il connaît les bonnes choses. Blaise Compaoré, lui, n’a pas hésité à minimiser l’action remarquable et incontestable des organisations de la société civile sur le terrain du développement. Et le REN-LAC que le Président balaie du revers de la main a fait ses preuves et inspiré des pays en matière de lutte contre la corruption. Le Président Compaoré se trompe énormément en voulant jeter bas les gros efforts des organisations de la société civile de son pays dont certaines deviennent subitement importantes et courtisées quand vient les temps chauds où toutes les lignes téléphones restent ouvertes : «Je sais compter sur toi. Avec tes groupements ou associations-là, on aura la victoire s’ils votent effectivement». Si votre gouvernement avait le souci de la lutte vraie contre la corruption comme le fait le REN-LAC, les fonds des partenaires financiers auraient pu servir à autre chose pour le bien-être de ce peuple au sein duquel vous dites bien vous sentir, Monsieur le Président.
On a l’impression parfois que Blaise Compaoré se moque de son peuple quand on aborde les choses sérieuses pour le pays. Et en voilà encore un exemple. Lui qui n’est jamais informé de rien, les journalistes saisissent l’occasion pour le mettre au courant de ce que des ponts s’écroulent parfois même avant la réception, donc mettant en danger la vie de ses concitoyens, et voici sa réaction : «Aux Etats-Unis et en Europe, des ouvrages s’effondrent. C’est ainsi partout dans le monde». Comme pour dire : «Continuer à construire comme ça. Celui qui ne veut pas rouler sur un pont n’a qu’à s’acheter un concorde». Quel président d’une Nation !
Là où il faut s’étonner encore du chef de l’Etat du Burkina Faso, c’est quand il dit : «Le rôle du Président n’est pas d’aider des citoyens à se rapprocher sur quoi que ce soit». Quelle catastrophe ! Des propos d’un facilitateur international ! Lui qui dit se battre pour rapprocher les Ivoiriens et les Togolais de l’essentiel! Cette phrase est très maladroite. Cela voudrait autant dire que le rôle d’un chef de l’Etat n’est pas d’œuvrer pour l’unité nationale. Mais on peut dire qu’il a raison. A force de courir vers les coutumiers et les religieux chaque fois que le pays bascule, il a fini par croire que le rôle d’aider des citoyens à se rapprocher revient aux coutumiers et aux religieux.
La commémoration des 20 ans ne sera pas facile pour l’aspect visibilité; car il ne suffit pas de se faire voir. Il faut se faire bien voir. A vouloir coûte que coûte se mettre à la hauteur des Sankaristes dans leurs visions stratégiques des choses, les fêtards risquent d’exposer eux-mêmes leurs 20 ans de désordre, de deuils, d’impunité et de misère pour le peuple à l’occasion de chacune de leur sortie.
Et cette occupation de l’espace médiatique pour plus de visibilité des 20 ans de pouvoir s’est avérée une surenchère, c’est-à-dire que c’est l’effet contraire qui a été produit. La plupart des Burkinabè sont déçus de cette sortie du chef de l’Etat, à telle enseigne qu’un téléspectateur, après avoir suivi l’entretien et comme pour donner lui aussi son appréciation, a dit : «Le parent a pataugé dans la boue».
Jonas Hien
L’Observateur Paalga 14 septembre 2007
A découvrir aussi
- Un conflit foncier persistant au secteur 16 de Ouaga
- Le paradoxe de la vie sociale au Burkina Faso
- "Les seins, un don de Dieu"
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 1021 autres membres