"Les seins, un don de Dieu"
Cameroun
"Les seins, un don de Dieu"
Masser les seins des jeunes filles avec des objets chauffés pour les résorber est une tradition au Cameroun. Une association féminine fait campagne contre cette pratique douloureuse, dangereuse et souvent inefficace, censée protéger les filles de la convoitise des garçons.
Le Réseau national des associations de tantines (Renata), qui regroupe des filles mères du Cameroun, mène actuellement campagne contre le "repassage" des seins. "Cette pratique terriblement douloureuse et très répandue consiste à masser les seins des jeunes filles avec des objets chauffés ou non dans l'intention de les faire disparaître", explique Bessem Ebanga, secrétaire exécutive du Renata. C'est une douleur atroce, indescriptible !"
Selon une étude menée en décembre 2005 dans tout le pays par l'anthropologue Flavien Ndonko du Programme germano-camerounais de santé/sida à Yaoundé, 24 %, soit près d'une adolescente sur quatre, en sont victimes. Aggée Nkwidja, jeune maman à Douala, avait 11 ans quand ses seins ont commencé à pousser. Elle l'a dit à sa maman qui lui a répondu : "C'est trop tôt. Il faut les faire disparaître pour te permettre de grandir". Et le calvaire a commencé pour la petite fille : "Tous les soirs, elle me conduisait dans ma chambre pour me masser les seins à l'aide d'une pierre chauffée. La douleur était intense, mais je supportais parce que j'étais convaincue que ma mère ne pouvait que me vouloir du bien". La poussée s'est arrêtée pour reprendre deux ans plus tard.
Ariane, 19 ans, qui vit à Yaoundé, s'entend encore hurler de douleur quand sa mère la séquestrait dans la chambre pour lui "repasser" les seins : "Elle les écrasait à l'aide d'une pierre chauffée en se protégeant les mains avec un chiffon. Je criais de toutes mes forces 'Non maman ! Ça fait mal ! Non ! Non !" Malgré ses supplications, la mère d'Ariane a persisté chaque jour, matin et soir, durant deux mois. Elle avait alors 12 ans et ses parents voulaient ainsi étouffer le développement de sa poitrine et de sa féminité. Une sorte de lait s'est mis à couler de ses seins traumatisés. Pour échapper à cette épreuve, Ariane faisait des fugues, devenait de plus en plus rebelle, n'allait plus régulièrement à l'école. Ironie cruelle, elle a fini par tomber enceinte un an plus tard.
Éducation traditionnelle
Le "repassage" des seins est une tradition qui se transmet de mère en fille. "Je l'ai appris de ma mère peu avant mon mariage, dans le cadre de l'éducation à la vie conjugale que toute mère donne à sa fille. Depuis, je l'applique à toutes mes filles", confie Christine Ngatchou. Surprise d'apprendre que cette pratique est dangereuse, elle explique que le massage des seins qui poussent avant 14 ans fait partie du b a -ba de la de la bonne conduite que toute femme doit connaître avant d'aller au mariage.
L'étude menée en 2005 montre que toutes sortes d'objets et de substances sont appliqués sur les seins pour les résorber, certains chauffés (pierre, spatule, pilon, herbes, peaux de banane), d'autres non (sel, pétrole, serre seins, etc.). Mais le but des parents est toujours le même : faire disparaître la poitrine de l'adolescente afin que de ne pas attirer les garçons, qu'elle continue ses études et ne s'engage pas précocement dans des relations sexuelles au risque de tomber enceinte. C'est pourtant souvent le résultat inverse qui se produit. Nicole, membre du Renata, en est la preuve. "Ça faisait très mal ; j'ai fui pour aller chez la voisine. Elle n'était pas là. Son fils m'a violée et je suis tombée enceinte à 14 ans."
Cancer du sein
Le repassage des seins est non seulement douloureux, mais dangereux. À partir de témoignages de femmes qui l'ont subi, l'enquête a révélé les affections et maladies qu'il peut provoquer : abcès, kystes, disparition totale de la poitrine voire cancer. Pour le Dr Patrick Ekiko Ekole, gynécologue-obstétricien à Douala, cela peut provoquer une réaction inflammatoire. Le tissu mammaire durcit entraînant le rétrécissement des seins et parfois la formation de nodules et de cellules cancéreuses.
"L'acte répété a des conséquences qu'on ne peut pas juger à l'immédiat", poursuit ce médecin. Géraldine Sirri, de Bafut dans l'Ouest, avait vu sa poitrine disparaître à la suite du "repassage", avant de reprendre son développement. Mais après son accouchement, sa poitrine s'est mise à gonfler à tel point qu'elle a dû cesser d'allaiter son fils."Il a fallu un traitement médical pour que mes seins retrouvent une taille acceptable."
Comme d'autres membres du Renata, elle espère que la campagne d'information en cours fera prendre conscience aux Camerounais de l'inutilité et de la nocivité de cette tradition Prospectus, spots radio et télé reprennent le slogan du réseau "Les seins, un don de Dieu" pour rappeler que la poussée des seins est un signe normal de la puberté que l'on ne saurait contrarier sans danger. Christine Ngatchou l'a compris : "Maintenant que je suis au courant, je ne peux plus conseiller cette pratique à mes filles".
SYFIA
L’Observateur Paalga du 13 février 2008
A découvrir aussi
- Tous les problèmes sont réglés entre la FBF et Saboteur
- "L'ADF/RDA est bel et bien le chef de file de l'opposition"
- 15 – Octobre : "Eviter les accusations et les procès
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 1021 autres membres