L'Heure du Temps (Blog d'Information sur le Burkina Faso)

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Le poisson pourrit par la tête (Perte des valeurs au Burkina)

Perte des valeurs au Burkina

Le poisson pourrit par la tête

 

 

En dépit du rayonnement de leur pays sur le plan sous-régional et malgré le changement positif continu du visage de leurs villes et campagnes, les Burkinabè restent, pour une grande partie d'entre eux, convaincus que ça ne va pas au Faso : non seulement la vie renchérit de façon de plus en plus insupportable mais aussi et (peut-être) surtout des valeurs telles que l'intégrité, l'honnêteté, la justice... foutent le camp.

 

Si tous sont unanimes sur ces questions et notamment celle relative à la perte des valeurs, l'unanimité se lézarde dès lors que vient le moment de rechercher les responsables de la dépravation des mœurs. Le sens commun a vite vu dans la dépravation des mœurs le fait des princes qui nous gouvernent. Ce qui n'est pas faux dans l'absolu mais  pas non plus vrai dans l'absolu.

Ce n'est pas faux dans l'absolu car le mot dépravation, qui est synonyme de débauche, de dévergondage, d'immoralité, de luxure, de pervertissement, de corruption, etc., suppose qu'on ait les moyens (prestige, argent, relations, pouvoir...) pour dépraver les mœurs.

En effet, la corruption, qui est un des aspects les plus visibles et les plus combattus de la dépravation des mœurs, n'est-elle pas définie par Transparency international comme "l'abus de pouvoir reçu en délégation à des fins privées" ? Elle peut donc concerner toute personne détenant un pouvoir (leader politique, fonctionnaire, juge, etc.).

En outre, la raison de donner raison au citoyen Tartampion réside dans le fait que tout détenteur de pouvoir est placé dans une situation plus voyante que celle du reste des mortels. Aussi, ses inconduites sont plus voyantes que celles du commun des Burkinabè. Ces inconduites sont alors grossies au gré de ceux qui ont intérêt à le faire. Et comme au Burkina tout le monde (ou presque) est toujours d'avis lorsqu'il s'agit de jeter l'anathème sur quelqu'un (fût-ce de manière injuste), il en résulte que dans l'imaginaire et (pire) la croyance populaire, tout dirigeant (politique ou administratif surtout) est corrompu. Conséquence : du fait que toutes les autorités sont corrompues, toute la population a tendance à l'être à cause de la métastase des mauvais comportements.

Dans la mesure où le mauvais exemple engendre des comportements indignes, on comprend la logique par laquelle procède la majorité des citoyens.

A priori, ils ont la raison et le droit avec eux, vu qu'un des présupposés théoriques de l'Etat de droit démocratique est que ceux qui sont élus pour gérer les affaires de la cité sont censés être des modèles au sein de la société. C'est pourquoi dans les démocraties occidentales, les électeurs sont très regardants sur les pratiques sociales passées et présentes des candidats aux différentes élections.

 

Le glissement vers un manichéisme dangereux

 

A priori séduisante et facilement illustrable, cette perception des choses est vraiment spécieuse ; pour ce faire, elle est dangereuse car ce qui est spécieux entraîne très vite l'adhésion, alors que tout n'est qu'apparence, la réalité étant différente et plus complexe.

A l'instar de Manès (d'où manichéisme), pour qui il n'y a que le bien et le mal qui gouvernent le monde sans la possibilité d'existence d'une position médiane, la perception simpliste selon laquelle tout détenteur de pouvoir est dépravé ou corrompu est un jugement sans appel à l'ensemble de la société.

En effet, si tout détenteur de pouvoir est corrompu alors que du fait du renouvellement des générations et des simples classes d'âge ou de l'alternance démocratique, ceux qui ont en charge les affaires de la cité ne seront pas les mêmes demain, cela revient à dire que ceux qui leur succéderont sont déjà des corrompus dans l'âme qui attendent d'avoir l'opportunité de pratiquer la corruption.

Tel un péché originel, dont on ne peut s'en défaire, on est donc obligé d'assumer.

Or, que cela est faux ! On ne naît pas corrompu, on n'est pas d'avance condamné à être corrompu. On le devient en fonction de notre processus de socialisation, de nos origines sociales, de l'environnement social et politique, du déterminisme du type de société (société de consommation par exemple), de notre personnalité au sens psychologique...

C'est là un ensemble de facteurs sur lequel les individus ou les institutions peuvent agir pour que les choses aillent dans le bon sens. Seulement, il y a une condition  : l'adhésion d'une masse critique suffisamment importante pour produire un effet d'entraînement sur toute la société. Or, aujourd'hui les citoyens ordinaires, dont le nombre est au moins 90 fois plus élevé que celui des dirigeants, croient dur comme fer que les responsables étant corrompus, il serait idiot de ne pas faire comme eux si l'occasion se présentait. Ainsi, la pratique a de très beaux jours devant elle.

En fait, s'il est du devoir des gouvernants de donner l'exemple, il est également du devoir des gouvernés de ne pas imiter ceux-ci dans la vie quotidienne ou s'il advient qu'ils les remplacent.

Or, avant même d'occuper un poste de responsabilité, nos comportements quotidiens sont aux antipodes de la morale et de la bienséance ; jugez-en vous-même :

quand nous pressons un ami, un "parent" qui est un directeur de l'Administration et des Finances pour qu'il nous donne 5 000 F en espèces ou sous forme de bon d'essence tout en sachant très bien que cela ne sortira pas de sa poche, il devient aisé de comprendre que nous-mêmes l'encourageons à détourner et à s'approprier le bien public avant de nous le donner. Mais gare à lui s'il ne nous donne pas ce que nous lui demandons : il sera servi en critiques, en intrigues... Imaginons donc que ce DAF satisfasse 4, 5, voire 10 personnes, ces gens, à moins qu'ils soient de mauvaise foi, peuvent-ils critiquer les agissements des DAF sans avoir affaire à leur propre conscience ? Certes, on rétorquera que la vie est dure dans ce Faso-là, mais la vertu est-elle nécessairement absente là où sévit la misère ? Rien n'est moins sûr, car au lieu d'obliger le DAF à commettre ce crime, nous aurions pu faire autre chose de moralement plus acceptable pour gagner ces 5 000 F.

Malheureusement, tous les jours et à tout instant, ils sont de plus en plus nombreux à arpenter les couloirs de ceux qui ont une parcelle de pouvoir, qui pour demander ceci, qui pour requérir cela. Le paradoxe est que ce sont les mêmes qui font le plus souvent le procès des gestionnaires du pays. Ces gestionnaires ne sont pas des extraterrestres, mais l'aboutissement du processus socio-historique de notre communauté. Ce qui signifie que les tares qu'ils traînent sont en grande partie ce que nous leur avons légué.

En fait, ce ne sont pas les dirigeants qui transforment les mentalités d'une population dans l'Etat de droit moderne même s'ils doivent être des modèles (ce qui est beaucoup). De même que c'est une société transformée qui définit l'école qui doit être la sienne, de même c'est une communauté nationale dont les individus sont conscients de la nécessité de promouvoir certaines valeurs qui élit des hommes et des femmes pour relever ce défi. Or, au Burkina, ce sont ces gens qu'on accuse qui ont été élus. On dira qu'il y a eu des achats de conscience par-ci, de la tricherie par-là ; malheureusement, c'est encore là la preuve que nous avons des dirigeants que nous méritons, car nous sommes encore ce peuple dont on peut acheter la conscience et que l'on peut tromper.

Sans faire dans le pessimisme et sans nier le rôle important que peut jouer un pouvoir dans l'observance des lois et des valeurs, ce serait s'exposer à l'erreur que de croire que ce phénomène est exclusivement le fait du système politique en vigueur alors qu'il plonge ses racines dans la conscience collective.

Si la Révolution d'août a eu le succès que l'on sait en la matière, cela était dû, nous semble-t-il, à deux facteurs conjugués : elle est intervenue dans une société qui, sans conceptualiser le système de valeurs, vivait déjà dans ce contexte (refus de l'injustice, humilité, modestie, amour du travail...) et elle a opéré par contrainte et obligation.

Aujourd'hui, ni l'un ni l'autre ne semble avoir droit de cité. Alors, la tête du poisson a beau se battre pour rester fraîche et comestible (ce qui est souhaitable), il faut craindre que l'état du reste du corps n'hypothèque cette bonne volonté.

 

Z.K.

L’Observateur Paalga du 23 janvier 2008

 



23/01/2008
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