L'Heure du Temps (Blog d'Information sur le Burkina Faso)

L'Heure     du     Temps (Blog d'Information sur le Burkina Faso)

Le processus démocratique africain a échoué

Hermann Yaméogo

Le processus démocratique africain a échoué. 

Il faut refonder la démocratie

 

L'Evénement : On constate qu'au niveau du Sénégal, Abdoulaye Wade est passé avec 55%, mais son poursuivant immédiat n'a même pas 15%. C'est un scénario à la burkinabè ça ?

 

Hermann Yaméogo : C'est un problème de fond que vous évoquez. Pour moi, que ce soit au Sénégal ou au Burkina Faso, ce n'est pas dans la pure transparence que ces élections se déroulent. On observe toujours qu'il y a dans tous ces pays une méconnaissance du droit de suffrage. On ne permet pas au peuple d'exprimer dans la transparence sa volonté. L'élection, au bout du compte étant maîtrisé par les hommes au pouvoir, ne peut pas être le reflet de la réalité au niveau populaire. Sinon, je ne peux m'imaginer qu'un parti comme le parti socialiste qui a tellement d'emprise dans la vie publique sénégalaise s'en sorte avec ce score de moins de 15%. Il n' y a pas une libre expression de la démocratie aujourd'hui.

 

L'Evé : En fin de compte, sur quoi faut-il tabler en Afrique afin que les élections reflètent, comme vous le dites, le droit de suffrage des citoyens ?

 

H.Y : C'est un problème que l'Union africaine même a constaté, parce que si la Commission de l'union, en se retrouvant à Brazzaville, a fait le constat que le processus démocratique a échoué en Afrique et qu'il faut refonder la démocratie, c'est tout dire. Ce qui est beaucoup plus intéressant, c'est que dans les causes qu'ils ont évoquées, entrent en ligne de compte la maîtrise des instruments électoraux par le pouvoir en place, le refus du dialogue démocratique, la pérennisation des hommes d'Etat au pouvoir. Tout cela était ressorti, mettant directement en cause la responsabilité de ceux mêmes qui sont à la tête des Etats, à la tête de l'Union africaine. Si ceux qui sont au pouvoir accaparent tous les organes de l'Etat, on prend l'exemple du Burkina Faso, c'est Blaise Compaoré, le Législative, c'est Blaise Compaoré, le Judiciaire, c'est Blaise Compaoré. A partir de là, le jeu est faussé. Au niveau des partis politiques d'opposition même, on voit des partis qui se créent, se réclament de l'opposition et qui manifestement ne sont pas des partis d'opposition. Ils sont instrumentalisés par le pouvoir. Le cas qu'on a ici est unique en son genre : un parti politique d'opposition, chef de file de l'opposition, qui est récupéré par le pouvoir et qui se trouve dans le gouvernement. On n'a jamais vu ça. Cela montre que le pouvoir lui-même n'est pas respectueux de la différence, de la différenciation des organes, n'est pas respectueux de la démarcation qui doit exister entre majorité et opposition.

 

L'Evé : Est-ce qu'aujourd'hui, le problème ne se pose pas en terme d'homme ?

 

H.Y : Je ne dis pas que les partis politiques et les opposants eux-mêmes n'ont pas une part de responsabilité dans ce qui se passe. Mais si on fait l'histoire politique et constitutionnelle de notre pays, on n'a jamais vu ce qui se passe aujourd'hui sous la 4è République. C'était agréable de faire la politique sous Lamizana. On ne constatait pas tout ce qu'on constate aujourd'hui. Il y avait des ballottages. A l'Assemblée, les débats étaient animés, parce que c'est un homme qui a laissé les choses se dérouler normalement. Même s'il y avait quelques fraudes, c'était tellement minime. Donc, il n'y avait pas autant de transhumances politiques. Il n' y avait pas autant d'implication de l'Etat dans la vie intérieure des partis politiques. On n'a jamais vu Lamizana faire créer un parti politique, un journal, un syndicat ; on n'a jamais vu ça. Voir le coutumier pour l'acheter, on n'a jamais vu ça. C'est pour cela que dans les années 1970, on nous présentait comme le modèle dans toute l'Afrique.

 

L'Evé : Lors de votre dernier congrès, vous avez parlé de pause démocratique. En quoi elle va consister dans notre situation présente ?

 

Quand je fais le point avec la petite expérience que j'ai, quand on est sorti de situation des coups d'Etat en 1966, quand il y a eu la guerre du Mali que Lamizana a tenté le MNR et que ça n'allait pas, tout le monde s'est mis d'accord avec les syndicats, les hommes politiques. On était avec les Jo Weder et tout ça, on a mobilisé et il a accepté de faire une pause, pour ausculter le pays : qu'est-ce qui ne va pas, au plan économique, au plan politique, au plan social. Il a fait la Commission spéciale, je dis souvent que quand on parle de Conférence Nationale dans tous les ouvrages, on croit que cela a commencé au Bénin, mais c'est avec Lamizana que ça commencé, puisque la Commission spéciale, il y avait des partis politiques, il y avait des coutumiers, il y avait toutes les catégories socio-professionnelles dans la Commission spéciale et qui avait pour vocation d'ausculter le pays pour recenser des propositions de solutions au plan politique, économique et sociale. On a fait une pause pour repartir sur de bonnes bases. Blaise a promis de démocratiser le pays, c'est pour tout cela qu'après les événements tragiques du 15 Octobre 1987, nous avons décidé de l'accompagner pour instaurer la démocratie, mais c'est parti d'un mauvais pied. Il instaure la démocratie, il continue les ingérences à l'extérieur, il monopolise tous les organes de l'Etat, Lorsqu'après l'assassinat de Norbert Zongo, le 13 décembre 1998, il y a eu le consensus, qu'on est arrivé à avoir un minimum d'entente sur certains points, cela a été révoqué. On fait une pause et on revoit les institutions, la nature même des institutions, tout ce qu'on peut adopter comme mesure, relever le niveau d'éthique politique qui est tombé très bas.. Sinon, si on fonce comme ça, tête baissée, on va droit dans le mur.

 

L'Evé : La pause consisterait en quoi ?

 

Techniquement, on se donne 6 mois à un an pour tout remettre à plat. Est-ce que le régime qu'on a, est-ce que les institutions que nous avons sont fonctionnelles ? Est-ce qu'il ne faut pas aller vers une 5è République ? Est-ce qu'il ne faut pas faire en sorte de diminuer le pouvoir du Président ? Est-ce que ce n'est pas parce que le Président est omnipotent, qu'il a tellement de pouvoir qu'on arrive à des situations de blocage intérieur et d'ingérence à l'extérieur ? Est-ce qu'il ne faudra pas prendre une autre voie pour mieux acclimater la démocratie en Afrique ? Est-ce qu'il ne faudra pas donner plus de pouvoir au parlement ? Réduire un peu les attributions du Président du Faso, mieux responsabiliser le Premier ministre ? Est-ce qu'il ne faudrait pas opérer un partage de pouvoir, un partage de prérogatives, c'est-à-dire aller vers une décentralisation beaucoup plus sincère, transférer des compétences au niveau des collectivités décentralisées. Donc c'est une vision d'ensemble. Cela concerne les institutions, les instruments électoraux et les textes que nous allons adopter pour essayer d'appliquer une nouvelle démocratie.

 

L'Evé : Est-ce qu'il ne faut pas des préalables, vu que le Président lui-même est omnipotent aujourd'hui, n'y a-t-il pas de risque que tout cela soit récupéré à son profit ?

 

C'est pour cela que nous voulons partager cette idée. Pas seulement avec les acteurs politiques, tout le monde est concerné. La société civile, les médias, tout le monde est concerné, que nous mettions dans un même panier les propositions que nous allons avoir. Si la pression est nationale, peut-être que cela amènera le pouvoir à négocier. Nous avons vu ce que les militaires ont fait, il a suffi qu'ils sortent, qu'ils tirent en l'air ; ils ont, eux, les moyens de persuasion, le pouvoir a reculé.
Je sens au fond de moi- même comme une désespérance vis-à-vis de la démocratie. Il y a eu une époque, quand on allait en campagne, quand on allait dans les villages, il y avait de l'enthousiasme, il y avait l'idéal, les gens se disaient, on a la capacité avec son bulletin de vote de changer le cours des choses. Aujourd'hui, je suis désolé, j'ai une certaine tristesse de voir qu'on ne croit même plus en la démocratie, qu'on ne croit plus à l'élection. Puisque le paysan lui-même voit comment on fraude, il voit comment on lui amène les listes parallèles, il voit comment on lui amène 15, 20 cartes pour voter, il voit comment le chef coutumier qui est là l'oblige.

 

L'Evé : Cette proposition venant de Hermann et dans une situation actuelle assez délicate pour lui pourrait prêter à interprétation ?

 

Heureusement, beaucoup ont la mémoire de l'histoire de ce pays. Beaucoup ont le courage de reconnaître que jamais il n'y a eu un tel acharnement contre un parti et contre un homme. A l'extérieur, on n'est pas dupe, on est arrivé soit au Togo soit en Côte d'ivoire, d'entendre dire si on t'en veut tant, c'est que tu pèses, c'est que tu représentes quelque chose. Donc, c'est une vérification à contrario que ce n'est pas les résultats électoraux qu'il faut voir. Je vous donnerais pour preuve après tout ce qui s'est passé comme mesure d'acharnement contre mon parti et moi-même, voila qu'au jour d'aujourd'hui, nous avons donné la preuve qu'a part le CDP, il n' y a pas un parti qui peut mobiliser comme nous. Nous avons donné la preuve à la Maison du Peuple et à tout moment, on peut donner cette preuve là. C'est pour vous dire que les gens qui ont la mémoire de l'Histoire et qui observent tout ce qui s'est passé, se disent que cet homme n'a pas fait la politique pour lui-même, pour ses intérêts personnels.
Cet homme là, s'il le dit, c'est peut-être parce qu'il aime son pays. Donc, c'est ça qui peut donner de la crédibilité à mon propos.

 

L'Evé : On sait qu'en 1991-1992, vous aviez le vent en poupe. Les gens avaient espoir en vous. On disait même que vous seriez le prochain président. Pourquoi il y a eu ce dérapage qui aujourd'hui se répercute sur l'ensemble du processus ?

 

Ça ne résulte pas d'un calcul, ça ne résulte pas d'une pression, d'un marchandage, c'est une conviction et qui reste toujours la mienne aujourd'hui. Ça n'a pas marché avec Blaise Compaoré parce que pour pratiquer la démocratie consensuelle, il faut avoir l'esprit de partage. Je n'ai jamais fait la politique sous la contrainte. Je vous ai dit que ce n'est pas l'argent qui m'intéresse dans la politique. Je ne vois pas aussi quelqu'un qui va m'influencer, au point que je mette de coté mes opinions. C'est tout ça qui a expliqué qu'à un moment donné, j'ai pensé qu'il fallait évoluer vers la démocratie consensuelle. Je ne pense pas que l'Histoire m'ait donné tort. Vous voyez en Allemagne, c'est ça qui est appliqué avec la chancelière Markel, en France même, l'opinion pousse à la démocratie consensuelle.


L'Evé : Maître, vous préconisez de porter l'affaire Norbert Zongo devant un tribunal international. Est-ce que les procédures internes sont épuisées au point qu'on puisse y aller. Qu'est-ce qui sous-tend cette idée ?

 

H.Y : Je crois que les conventions qu'on a signé au plan international intéressant la justice pénale et le droit pénal international reconnaissent que lorsque dans un pays, la justice est défaillante, lorsque manifestement, on sent qu'il n' y a pas possibilité de rendre justice à des victimes, on peut élever la question au plan international. Donc, c'est sur ces éléments que nous nous basons. Le constat qui est fait et qui est reconnu par tout le monde, qu'il y a une volonté manifeste de bloquer le dossier, nous amène à chercher d'autres voies de sortie. Il n' y a pas que nous d'ailleurs. Au plan national, l'opinion est acquise et convaincue par les faits que s'il ne tenait qu'aux autorités, ça ne va pas avancer. Même certains partenaires financiers n'hésitent pas à interpeller le pouvoir par rapport à cela. Donc, si on laisse les choses en l'état, dans 10 ans, le non-lieu disparaît et l'affaire est enterrée. Voilà pourquoi nous disons qu'il faut nous battre pour chercher une porte de sortie.

 

L'Evé : Le modèle qui vous inspire est celui de Rafik Hariri au Liban. Or le Burkina n'est pas en crise . Comment on peut franchir ce cap et mettre en place une idée comme la vôtre ?

 

H.Y : Je me dis que c'est vrai que c'est la situation géo-politique qui donne l'envergure au dossier Hariri. Mais les puissances qui se sont intéressées à l'affaire n'ont pas mis ça en avant, même si on sait que en bas, ce sont des raisons de forme. Ils sont révoltés par un acte terroriste, un acte terroriste qui a ôté la vie à un homme et à 22 autres ; donc c'est ça qui a amené la réaction au plan international pour qu'on aille jusqu'a faire un tribunal pénal international pour Hariri. Nous aussi, on se base sur les mêmes considérations. Norbert Zongo aussi a été tué par un acte barbare, un assassinant suivi d'acte de barbarie. On peut même dire que Hariri a été victime d'un attentat comme ça, mais lui, on l'a sauvagement défiguré, on l'a brûlé après l'avoir tué avec ses compagnons.
Et dans les motivations, pour saisir le Conseil de sécurité, on a dit simplement que c'est un acte terroriste. Donc, on se prévaut de la même jurisprudence que ce qui a été fait pour Hariri. C'est ce qui nous fonde à dire qu'on peut invoquer le parallélisme des situations pour réclamer un tribunal international pour Norbert Zongo.

 

L'Evé : Qui peut mettre en musique une telle idée ? Qui peut la porter ? Est-ce que ce sont les partis politiques, la société civile ?


H.Y : Sur ce plan, nous allons entreprendre des démarches en votre direction. Au niveau des médias, au niveau des ONG, les mouvements des droits de l'homme. Si cela agrée votre attention, si vous estimez que cela vaut la peine, tout le monde se met derrière vous pour que ce soit comme à l'époque du Collectif, une demande populaire. Mais si c'est un parti, on va suspecter ce parti de calcul. On a même posé la question lors de notre focale avec les avocats qui sont constitués dans le dossier Norbert Zongo. Me Farama a trouvé que c'était tout à fait juste, qu'ils en ont même parlé, qu'ils vont voir le cadre au sein duquel ils vont essayer d'avancer le dossier. Maintenant, il y a peut-être 3 procédures. Le schéma habituel, c'est que les Nations-unies, le Conseil de Sécurité prenne sur lui de faire un tribunal pénal international. Il est arrivé qu'après la 2è Guerre mondiale, d'autorité, ils créent ces tribunaux ad hoc. Cela peut se faire aussi sur l'initiative d'un pays qui décide de créer une juridiction et lui donne une compétence internationale. Mais il ne faut pas trop rêver avec le Burkina Faso ; s'il ne veut pas juger en interne, on ne voit pas pourquoi il le ferait à l'international. Cela peut se faire enfin dans la négociation. Le Conseil de Sécurité négocie avec nos autorités pour voir comment mettre en place un tribunal mixte qui va statuer sur la base du droit national et du droit international. Il y a aussi le chapitre 7 qui peut contraindre un pays à faire certaines choses.

 

L'Evé : La situation en Côte d'ivoire, vous êtes heureux quand même de l'évolution des choses?

 

Vraiment, (rires…) parce que j'en ai beaucoup souffert, pas seulement dans le parti, mais dans la famille. Les frères et sœurs qui sont partis à cause de cela. Vraiment, cela m'a beaucoup fait souffrir. Aujourd'hui, je suis doublement satisfait parce que pour m'avoir traité d'apatride, (vous avez d'ailleurs en son temps fait un article célèbre à ce sujet), parce que j'ai demandé qu'on fasse attention à ne pas encourager la déchirure en Côte d'ivoire. Aujourd'hui, il n' y a qu'une seule solution, c'est la négociation. Il faut que rebelles et loyalistes se mettent ensemble pour trouver des solutions à la Côte d'ivoire, il faut surtout que nos autorités lâchent un peu la bride, qu'elles se retirent de cette affaire. Si ça c'est fait, il y a la réconciliation en Côte d'ivoire. Cela va dans l'intérêt de nos deux peuples et de nos deux Etats. C'est donc comme une récompense de l'Histoire. Je n'ai jamais approuvé à 100 pour 100 ce qui se passe en Côte d'ivoire. Moi-même, quand j'y étais, combien de fois n'ai- je pas été arrêté et conduit au poste de police, parce qu'on voit le nom mossi, le Burkina, tout ça, c'est arrivé, mais on a essayé de trouver des explications à cela. Ce n'est pas seulement politique, ce n'est pas seulement lié à l'ivoirité ; il y a d'autres causes économiques liées à l'ingérence extérieure de nos autorités, mais l'essentiel, c'est que tout le monde se dise, il faut sortir de cette situation là. Plus ça dure, plus ça complique les choses. Donc, nous souhaitons qu'il y ait un accord et que très rapidement, les deux pays retrouvent leurs relations d'antan (l'interview a eu lieu le 2 mars soit 3 jours avant la signature de l'accord).

 

L'Evé :En même temps, on se demande sur quelle base nouvelle parce que apparemment, sur cette affaire de la Côte d'ivoire on a tout investigué, je crois que c'est l'une des crises pour laquelle on a eu beaucoup plus d'imagination que par le passé en Afrique. Qu'est ce qu'on peut trouver de nouveau à Ouagadougou qu'on n'a pas trouvé ailleurs ?

 

Moi je vais vous parler sincèrement. Depuis le début de la crise, on a refusé de voir les raisons et les vraies solutions. La crise ivoirienne, dès que ça démarré, on nous a balancé au visage que c'est un problème ivoiro-ivoirien, un point un trait. Il ne fallait pas chercher au-delà, c'est l'ivoirité ; mais c'est faux ! L'hypocrisie internationale qui a été fouettée par certains médias, on s'est dupé du peuple africain. La cause essentielle de cette crise est économique et liée à la volonté de dominer la Côte d'ivoire. C'est ça, l'ivoirité est dedans, mais les causes politiques substantielles, ce n'était pas ça. On sait très bien que sans le soutien de la France, du Burkina Faso et à l'époque d'une certaine façon du Mali, il n'y aurait pas eu ces rebelles là, on n'aurait pas pu préparer ces rebelles ici pour les faire attaquer la Côte d'ivoire. Donc, dès lors qu'on veut situer les responsabilités, on ne doit pas omettre celle des rebelles et des parrains.
Au jour d'aujourd'hui, personne ne peut objectivement imaginer que les rebelles puissent continuer dans la partition, dans cette situation de crise, s'ils n'ont pas la base arrière qui est le Burkina Faso et le soutien de certaines puissances. Pour moi, je le dis, il y a eu l'hypocrisie internationale. Est-ce que Laurent Gbagbo ne connaît pas l'implication du Burkina Faso dans la crise ? Il voit très bien, il sait très bien, mais il vient auprès de Blaise pour qu'il règle l'affaire, c'est parce que tout le monde sait qu'il n'y a que Blaise pour régler l'affaire.

 

L'Evé : C'est donc l'affaire du voleur…comme disent les mossis


(Rires…).

 

L'Evé : En même temps, il y a une question de fond… Le soutien des parrains a peut-être permis d'enclencher et d'entretenir la crise, mais il y a une cause qui a rendu cela possible.

 

Cela est juste. Je pense qu'à Marcoussis, ils ont mis l'accent sur la question de nationalité, sur le foncier rural, sur la carte de séjour, tout ça a été réglé. Maintenant, la succession a été admise, les textes ont été pris dans leur ensemble. Ce qui reste en suspens, c'est l'identification, le désarmement. Au niveau de l'UNDD, nous disons que ce n'est même pas suffisant. Si après avoir réglé le foncier rural, la nationalité, la carte de séjour, on obtient le désarmement, la réunification, ce n'est pas réglé pour autant. Il y a toujours beaucoup d'étrangers, notamment des Burkinabè en Côte d'ivoire dont la situation n'est pas claire. Il risque d'en venir encore ; et s'il en vient, on risque d'avoir les mêmes problèmes.

Premièrement, il faut des mesures d'apaisement, il faut que nos autorités acceptent que nos compatriotes qui sont en Côte d'ivoire puissent voter. Qu'ils aient leur carte d'électeur et que cette carte d'électeur soit comme un sauf conduit. Avec cela, on rassure les Ivoiriens : nous ne sommes pas dans votre pays pour nous mêler de vos affaires politiques, nous sommes là pour nos affaires, ce qui nous préoccupe, c'est notre pays. Ensuite comme vous le dites, la Côte d'ivoire est un espace qui aspire l'immigration parce qu'il y a des investissements là-bas. Il y a des possibilités d'emplois, c'est sa vocation, mais si on ne trouve pas de système de régulation, ça va exploser. Nous pensons qu'il faut revenir à cette politique régionale de gestion des flux migratoires, d'investissement équilibré dans des zones, pour promouvoir des pôles de développement. Si cette politique n'est pas mise en œuvre dans le cadre de l'intégration, il y aura toujours des problèmes.

 

L'Evé : Maître, on ne comprend pas votre positionnement idéologique actuel ? Hier, vous étiez libéral, aujourd'hui, vous êtes socio-démocrate. Finalement, quel est le rôle que vous assignez à l'idéologie dans la politique ?Croyez-vous encore à la force de l'idéologie ?

 

H.Y : Je veux vous faire une révélation dont aucun journal n'a entendu parler. Quand je suis revenu des études, dans les années 1977, 1978, c'était pour faire des enquêtes sur un doctorat de 3è cycle et je suis tombé sur l'affaire du Mali. On parlait de MNR. J'ai été happé, le papa m'a dit, va voir Kargougou, va voir Gérard etc. Je faisais les commissions et lui il était à Koudougou, il ne pouvait pas bouger. Je me suis retrouvé embarqué dans une contestation pour bloquer le MNR. De fil en aiguille, on a fait un petit groupe qu'on appelait le petit groupe de Koudougou. Il y avait Bougouraoua, Palé Walté, il y avait Gérard au début. Il était question de faire ce petit groupe pour influencer Lamizana afin qu'il aille vers les réformes. Donc, on a travaillé comme ça et enfin de compte, on s'est dit, pourquoi ne pas faire un parti, puisque les choses semblaient se dessiner qu'on allait vers une vie démocratique normale. On a lancé l'idée du PSV (Parti Socialiste Voltaïque), Ki-Zerbo est venu avec les Henri Guissou, on a préparé les statuts, mais à la dernière minute, ça n'a pas pris. On s'est retrouvé avec Bougouraoua, les indépendants, pour lancer l'idée de l'UNDD en 1978. C'est comme ça que l'UNDD est née. Gérard a envoyé ses hommes, les Nouhoun Barry sont venus à Koudougou et on a fait les statuts de l'UNDD. Entre temps, Gérard nous a dit qu' il y a le congrès du RDA qui se tient à Ouaga et qu'il va aller jeter un coup d'œil là-bas. Il y avait une crise entre lui et Joseph Ouédraogo. Dans son esprit, si c'est Joseph Ouédraogo qui gagne, il revient. Si c'est lui qui gagne, il reste là-bas. Il nous a laissé ses gens dans le bureau de l'UNDD et il est parti à Ouaga. C'est lui qui a gagné et il a été porté à la tête du RDA. Maintenant, qui fallait-il mettre à la tête de l'UNDD ? Il est revenu dire au vieux (Maurice Yaméogo, père d'Hermann): nous allons vers une bataille Gérard et le vieux. Ils sont venus me voir pour me dire qu'il faut que j'accepte être à la tête de ce parti. Ça posait un problème. Je me suis dit, moi je viens des études, je ne vous cache pas, le vieux le savait, dans ma maison, c'était Che Guevara, c'était Castro, les cellules communistes en France (rires). Je dis, mais honnêtement, moi je dois rentrer, je ne peux pas être à la tête d'un parti comme ça, ce n'est pas mes convictions. Ils ont dit ça ne fait rien, c'est en mission que tu es et c'est ça qu'il faut faire. C'est comme ça que j'ai été propulsé à la tête de l'UNDD à cette époque là. Mais que ce soit pour ces élections, que ce soit quand on était MDP après la rectification jusqu'à maintenant, vous avez observé que nos prises de position étaient toujours du coté du plus faible. C'était toujours des prises de position du coté des forces de progrès. A la longue, on s'est dit, mais il faut harmoniser. Nos amis ? On est beaucoup plus proche du MPLA, du FPI, des partis de gauche que des partis typiquement de droite.

 

L'Evé : L'élection en France, qu'est- ce que Hermann en pense ?

 

H.Y : C'est malheureux de le dire, mais notre situation aussi est conditionnée par la situation en France. Nous fondons beaucoup d'espoir dans ces élections là. Parce que ce qui est certain, c'est que ça ne pourra plus être comme avant. Pendant longtemps, on a rien vu venir sauf quand Sarkozy est passé au Mali et au Bénin, il a eu alors un discours très fort, très puissant, parce qu'il a appliqué à la politique africaine de la France, la rupture. En disant que c'en est fini avec la politique des réseaux, le soutien aux dictateurs. Nous nous sommes dit, même si on dit qu'il est de la droite, l'opposition qu'il y a entre lui et Chirac, l'orgueil de l'homme, le sentiment qu'il est un nouveau Mitterrand ou un nouveau De Gaulle peut l'amener à différencier sa politique pour y apporter sa griffe personnelle. Entre-temps, il a dilué un peu sa rupture. On a senti qu'il y aura peut-être des changements, mais pas des changements radicaux.

Maintenant du coté de Ségolène, les choses aussi ont été très claires. Elle a dit quelque chose de fondamental, elle a dit qu'il fallait soutenir l'opposition, qu'il fallait qu'il y'ait un dialogue dans le pays. Nous nous disons que s'il y a ça, l'Afrique va un peu souffler de la politique des réseaux, de la politique des multinationales, des rebellions, des coups d'Etat pour avoir tel marché. Il ne faut cependant pas rêver et croire que tout va changer du tout au tout. On pense quand même que les mentalités ont évolué et qu'en Afrique, de même qu'en France, les gens veulent avoir un droit de regard sur la politique africaine de la France. Pour conclure, c'est une élection importante qui peut changer le cours des choses en Afrique n

Interview réalisée Par

Germain B. Nama et Newton Ahmed Barry

Evénement du 10 Mars 2007



21/03/2007
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