L'Heure du Temps (Blog d'Information sur le Burkina Faso)

L'Heure     du     Temps (Blog d'Information sur le Burkina Faso)

Les artistes burkinabé et la révolution d’août

Projecteur

Les artistes burkinabé et la révolution d’août

 

La révolution burkinabé du 4-août semble lointaine ; elle a été interrompue, il y a de cela deux décennies. C’est une parenthèse de sang ouverte une nuit d’août 83 et refermée un jeudi noir d’octobre 87 par une salve de mitraillettes. Quatre années qui ont radicalement modifié l’histoire de notre pays. Cependant, hormis quelques politiciens qui puisent dans ce patrimoine quelques articles pour leur marketing, et les rares tentatives de cinéastes, tel Balufu Bakupa kanyindé, et de dramaturges africains, comme Lamko Koulsi, qui s’intéressent à la figure de proue de cette révolution, le devoir de mémoire n’est pas entrepris. Comme si une certaine omerta œuvrait à rendre le Burkinabé amnésique. Les créateurs burkinabé, par une sorte d’évitement qui ne s’explique pas, zappent aussi sur cette période qui fut pourtant la plus féconde en termes de réalisation matérielle, d’implication d’un peuple à son devenir ; donc riche de matériaux pouvant nourrir l’imaginaire du créateur.

 

Si l’Histoire, c’est le moment où un peuple ayant pris conscience de sa force s’approprie son destin et fomente un avenir à la hauteur de ses rêves, on peut assurément dire que le Burkina est réellement entré dans l’Histoire avec la révolution d’août. Pour la première et unique fois (?) les fils de ce pays avaient la vision d’une destinée commune ; un rêve de grandeur et d’émancipation s’allumait dans les yeux du paysan et du berger, du soldat et du fonctionnaire, de l’homme et de la femme. C’est pourquoi en ces périodes troubles où les conflits fonciers, les régionalismes, la corruption et la fracture sociale lézardent l’unité nationale, il est nécessaire  que l’artiste, par un travail de mémoire et de recréation, nous montre qu’un autre Burkina est possible. Parce qu’un autre Burkina a existé ! Celui né du 4-Août. Il ne s’agit pas par une incantation de sorcier de ressusciter cette époque, étant entendu que le temps, comme les fleuves, ne revient jamais en arrière, mais de témoigner par devoir.

Le créateur peut et doit montrer comment cette terre, désolée, chauffée par un brûlant soleil, balayée par les souffles chauds des vents du Sahara et arpentée d’une année à l’autre par des sécheresses terribles, cette terre de bergers faméliques et d’agriculteurs affamés, ce pays d’exode, grand pourvoyeur de main-d’œuvre pour les plantations de café et de cacao, ce réservoir de lave-vaisselle et de bandits de faits-divers de Fraternité Matin a réussi à se réhabiliter aux yeux des pays voisins et à devenir le porte-flambeau d’une Afrique sans complexe. Par quelle alchimie, le Burkinabé est passé, dans la perception des autres, de l’infra-humain au stade d’homme libre montrant la voie de la dignité ?

Que le poète chante les grandes combustions de l’esprit, les jaillissements de l’énergie créatrice, les ébullitions et les explosions d’un génie créateur qui, en trois ans, ont fait reculer la désertification, ont vaincu la faim, et ont jugulé les épidémies endémiques. Ce peuple mettant dans un sol longtemps chauve des millions de plants et substituant à l’ocre et au rouge latéritique des sols, le vert des frondaisons pour intimer au désert d’arrêter sa marche et au ciel d’étancher la soif d’un sol craquelé. Qu’il nous parle de ce peuple d’assistés dont la main a longtemps tenu la sébile devant les institutions onusiennes et dont les greniers  ventrus étaient, en cette période-là, pleins à ras bord. Qu’un diptyque de peintre juxtapose les yeux  suppliants et le ventre cave du paysan voltaïque et le regard assuré et le corps apaisé du cultivateur burkinabé. Et aussi le défi insensé de vacciner toutes les couches vulnérables du Burkina et être le premier pays au monde à le réussir !

Que le poète, le cinéaste ou le dramaturge nous montre, dans sa dignité et sa vérité, ce leader charismatique qui rêva pour chaque Burkinabé un lopin de terre, un ventre rassasié, un corps sain, et vécut dans une austérité de moine.  Dans la course actuelle à l’enrichissement illicite, que la statuaire nationale taille dans le roc le visage de celui dont le pouvoir ne servit ni à bâtir des palais ni à ouvrir des comptes dans des banques off shore, ni à créer une ploutocratie. Celui qui comprit que «faire la révolution, c’est oublier d’exister pour que les autres existent».

Que le tragédien nous montre la solitude du visionnaire abandonné par un peuple harassé par trois années de travaux titanesques et aspirant à la trêve tandis que, lui, pressent que la marche doit continuer jusqu’à l’achèvement de l’édifice. Et que le comédien de théâtre incarne le héros qui sent les gigantesques mâchoires de la trahison s’entrouvrir pour son anéantissement et attend lucidement la mort imminente ; en somme, nous montrer un homme qui préféra mourir que de forfaire à une certaine idée supérieure de l’honneur. Un homme qui aurait pu dire comme Saint-Just : «Je méprise cette poussière qui me compose et qui vous parle ; on pourra la persécuter et faire mourir cette poussière ! Mais je défie qu’on m’arrache cette vie indépendante que je me suis donnée dans les siècles et dans les cieux».  Celui qui accepta de mourir pour vivre éternellement.

Mais que les créateurs nous exhument aussi la part d’ombre de cette révolution, ce versant honteux de l’édifice,  ce côté bas et mesquin des acteurs de cette époque.

Qu’un cinéaste nous retrace les turpitudes de milliers d’enseignants licenciés. Qu’il dissèque la descente aux enfers du maître d’école respecté qui, du jour au lendemain, devient un paria. Et les enfants de ce travailleur licencié, qui découvrent les privations, les jours où l’âtre est froid et sans feu, les matins sans repas et les nuits sans chaleur. Les expulsions des maisons pour cause d’impayés, le retour forcé au village dans la gêne, les scolarités interrompues… Les rêves d’enfants brisés , les familles disloquées et les carrières compromises… Et l’exode de ces hommes anéantis vers les pays limitrophes, l’incertitude du lendemain dans les yeux. Et parfois l’extrême : dans la nuit, la corde accrochée à la charpente d’une chambre ou à une branche de caïlcedrat et le nœud coulant que l’homme passe au  cou comme une cravate et le saut final… dans la mort. Le matin, un cadavre qui se balance, une famille éplorée et des orphelins désemparés. Combien de suicidés, combien de fous et combien d’êtres brisés pour toujours ce licenciement a engendrés ? Quels dommages cette mesure a portés au système éducatif ? Qu’un chroniqueur nous en fasse le macabre décompte !

Que l’on nous parle des liquidations extrajudiciaires et des basses besognes des CDR. Des balles qui ont fauché des citoyens qui se sont malencontreusement trouvés dans la ligne de mire d’un CDR ivre ou drogué. Qu’un long métrage prenne pour sujet ces petits délinquants ou cette racaille qui s’est incrustée dans les Comités de Défense et qui, sous le couvert du sécuritaire rackettaient la population, terrorisaient les honnêtes gens et même assassinaient impunément… Ces CDR dans l’Administration qui, tels des boas constrictors, s’enroulaient autour de l’organigramme  et paralysaient le fonctionnement des services. Car à l’ordre du chef hiérarchique se substituait le contre-ordre aboyé par le planton délégué CDR. Que l’on nous peigne ces monstres qui utilisaient leur position dans l’appareil d’Etat pour commettre des abus, condamner des innocents et se venger de ceux qu’ils jalousaient.

Que les créateurs nous entretiennent du calvaire de ceux qui ont été exclus de la révolution : les anciens politiciens, les officiers supérieurs mis à la retraite anticipée, les rares médecins spécialistes congédiés et condamnés à l’exil. Qu’une pièce dramatique nous introduise dans le quotidien du Burkinabé ostracisé et frappé du sceau «Apatride». Qu’il nous retrace le chemin de croix  de l’exilé. La douloureuse géographie des paysages intérieurs de ceux qui n’habitent plus leur pays, mais sont habités par l’absence de la Terre des pères. Qu’on nous restitue l’écho des cris d’outre-tombe de ces nombreux exclus  morts hors de leur pays avec le regret de ne pas reposer sous la terre du Burkina.

Et tutti quanti.

Il est clair que cette période de notre histoire fut lumineuse et sombre, claire et obscure, pleine d’espoir et de force,  mais aussi de fureur et de violence. Néanmoins, elle contient tous les éléments qui donnent à une nation la force de se penser et de s’élancer vers l’avenir ; et aussi les enseignements de tous les périls qui guettent une nation en gestation. Que le créateur burkinabé soit un contempteur ou un panégyriste de cette époque, il trouvera matière pour agonir ou louer. Et il ne lui est pas demandé l’objectivité du chercheur, car à la sécheresse de la vérité, nous préférons les parures et les accommodements de la fiction.  En revanche,  aucun artiste n’a le droit d’aider à refermer les battants sur cette époque unique de son pays. Car «Nul n’a le droit d’effacer une page de l’histoire d’un peuple, car un peuple sans histoire est un peuple sans âme».

 

 Barry  Alceny Saïdou

L’Observateur Paalga du 20 septembre 2007



19/09/2007
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 1021 autres membres