Les casseurs sont avertis (procès Nana Thibaut et compagnie)
PROCES NANA THIBAULT ET COMPAGNIE
Les casseurs sont avertis
Les lampions se sont éteints sur le procès de ceux qui ont manifesté violemment contre la vie chère dans les rues de Ouagadougou le 28 février, et de celui qui est présenté comme l'instigateur du mouvement, Nana Thibault, président du Rassemblement démocratique et populaire (RDP). Utilisant la procédure du flagrant délit, la justice a fait vite et fort. Elle a fait vite : siégeant sans désemparer, le tribunal a réglé ce procès médiatique dans des délais assez brefs. Le tribunal a siégé jusqu'au bout de la nuit : de 8h à 5h du matin, malgré la fatigue et l'épuisement. Elle a fait fort aussi : faut-il rappeler que ce sont 18 personnes qui ont ainsi été piégées ? Et que c'est la première fois qu'au Burkina, des manifestations sur la voie publique suivies de destructions de biens publics et privés se soldent par des condamnations s'élevant à une telle hauteur ? Nana Thibault qui a été considéré comme responsable a écopé en effet de 36 mois de prison ferme.
Et maintenant, qu'est-ce qui va se passer ? Quels sont les objectifs poursuivis dans ce procès et dans le prononcé des peines ? Ces objectifs pourront-ils être atteints ? Quelles seront les conséquences sur les manifestations à venir et sur la carrière politique personnelle du principal accusé et maintenant condamné ? Telles sont les questions que l'on ne peut manquer de poser à l'issue de ce procès.
Les magistrats, on le sait, ne sont pas chargés simplement d'appliquer la loi, mais de travailler à la restauration de la paix sociale. La loi et la justice ne sont que des instruments que la société se donne pour promouvoir le vivre ensemble. Par conséquent, il est permis de chercher derrière un procès et un verdict des messages d'ordre politique, ce mot étant à prendre ici dans un sens large.
On peut penser par exemple qu'au-delà de la nécessité de dire le droit, ce procès et le verdict qui le sanctionne s'inscrivent dans un ordre de préoccupations pédagogiques.
D'abord à l'intention des citoyens, désireux d'exprimer leurs opinions ou leurs sentiments par des manifestations sur la voie publique. Celles-ci ne doivent pas entraîner la destruction de matériels appartenant à l'Etat, aux collectivités ou aux particuliers. Est-il besoin d'insister sur le fait que le vandalisme contre les biens publics entraîne une dégradation des infrastructures communes, et que cela affecte négativement l'existence quotidienne des citoyens et bride l'action de développement du pays ? Il n'y a qu'à subir les embouteillages monstres dans les croisements où les feux tricolores ont fait les frais de la rage destructrice des manifestants pour comprendre ce que ce genre de destructions a d'irresponsable. Quant aux citoyens innocents qui ont connu l'injustice de la destruction de leurs biens, ils éprouvent une colère et une rancoeur des plus compréhensibles.
Ensuite, ce procès peut être perçu comme un avertissement aux hommes politiques et aux leaders d'opinion en tous genres. Dans leurs actions, dans leurs prises de positions ou de parole, dans l'expression de leurs opinions ou de leurs sentiments, ils doivent faire preuve de la plus grande circonspection et du plus grand esprit de responsabilité.
Enfin, ce procès et le verdict auquel il a donné lieu peuvent être une source de consolation pour les victimes dont nous venons de parler. Elles savent désormais qu'il y a des responsables reconnus des dommages qu'elles ont subis.
Toutefois, l'erreur serait de considérer qu'il s'agit simplement d'intimider les futurs manifestants (par exemple ceux du 15 mars prochain) pour que les problèmes soient résolus. Il faut le dire et le redire : la responsabilité des pouvoirs publics est grandement engagée dans les événements déplorables de février dernier. C'est l'incurie des dirigeants, leur manque d'anticipation et l'attentisme qui est chez eux une manière de gouverner, qui ont débouché sur les débordements que l'on a vécus ici ou là. Gouverner, c'est prévoir : on n'a jamais dit mieux. Comment des autorités peuvent-elles penser que des millions de gens vont voir, chaque jour, leur pouvoir d'achat s'effondrer, rencontrer quotidiennement de plus en plus de difficultés à faire face à leurs charges incompressibles et rester sans réaction ? Et l'on peut dire que la fièvre n'est pas totalement retombée. Si les Burkinabè désapprouvent la violence aveugle des casseurs, ils n'en éprouvent pas moins de la déception, du dépit ou de la colère quand ils constatent que ceux qui les gouvernent ne se penchent sur les problèmes des gens que quand "ça chauffe dans la rue" ! Peut-être est-il temps, aujourd'hui, de prendre de bonnes habitudes politiques qui consistent, quand une crise de cette importance éclate, à voir si quelqu'un, au coeur de l'Etat, a manqué à son devoir et d'en tirer les conséquences.
Quant à Nana Thibault, son personnage controversé et la réalité des dégâts tempèrent les réactions en sa faveur pour le moment. S'il ne fait pas appel du verdict, ou si celui-ci était confirmé, c'est sa carrière politique qui se trouverait sérieusement compromise. Mais peut-être que quand le calme sera revenu et puisque la leçon a été donnée, on s'arrangera pour ménager sa peine.
Au total, on peut dire que la morale de ces événements est que chacun doit veiller à être responsable dans la façon dont il accomplit sa mission et dans la manière dont il intervient en public.
Le Pays du 13 mars 2008
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