Nana Tibo, martyr à peu de frais
Emeutes contre la vie chère
Nana Tibo, martyr à peu de frais
Avec une célérité parfois incompréhensible pour le commun des justiciables qui se perdent dans les arcanes du droit, incapables donc de faire la différence entre une procédure de flagrant délit et les fameux dossiers pendants politico-judiciaires, les vandales qui ont mis Bobo-Dioulasso sous coupe réglée les 20 et 21 février 2008 sous prétexte de lutte contre la vie chère ont été jugés le vendredi 29. "Wassa wassa" comme on dirait dans la ville de Sya.
Au bout d'un procès marathon qui s'est terminé tard dans la nuit, 29 prévenus, convaincus de manifestation illicite sur la voie publique, de vols, de destruction de biens publics et privés, ont été condamnés à des peines allant de 3 ans ferme à 6 mois de prison avec sursis. 124 autres ont été purement et simplement relaxés faute de charges suffisantes.
Bientôt, ce sera le tour de Ouaga, puisque, selon les chiffres officiels, 184 personnes ont été appréhendées jeudi lors de la journée ville prétendûment morte mais qui a très vite dégénéré en casses et autres actes de vandalisme.
Force devant rester à la loi, il est sans doute juste et bon que ceux qui ont troublé l'ordre public réparent leur faute et s'amendent vis-à-vis de la société en allant réfléchir sur leurs méfaits derrière les barreaux de Bolomakoté ou de Nioko.
Quelque part, c'est une façon d'encourager l'impunité que d'exiger que les chenapans soient libérés sur l'autel de la paix sociale. Quand on a cassé des feux tricolores, brûlé des pneus sur un bitume parfois flambant neuf, volé ou détruit des biens privés, il est quand même normal qu'on aille goûter aux délices d'une maison d'arrêt et de correction.
Il ne viendrait donc à l'idée de personne d'encourager de tels agissements. Après tout, le bitume et le feu tricolore, figés dans leur être, ne sont pas responsables de l'inflation et ceux qui se sont déchaînés sur eux auraient mieux fait de réfléchir par deux fois avant de poser leurs actes.
De la prochaine fournée d'incriminés, celle de la capitale, un cas pourtant pose problème : c'est celui de Nana Tibo (ou Thibault) comme chacun le sait, ce José Bové de pacotille, qui s'agite à propos de tout et de rien et que les tenants du pouvoir ont même parfois utilisé quand ça servait leur dessein (comme ce fut le cas au plus fort de la crise ivoirienne), avait déclaré : "Autorisation ou pas, nous allons marcher le 28". C'était dans un entretien accordé à L'Observateur paalga (1) et non à "une certaine presse" comme on l'a entendu lundi dernier lors de la conférence de presse gouvernementale ; une expression dont on perçoit l'évidente connotation péjorative voire méprisante. Pour la gouverne donc des membres du gouvernement, L'Obs. n'est pas "une certaine presse" et il n'y avait aucun mal à nous citer courageusement.
C'est tout juste d'ailleurs si, pour avoir ouvert ses colonnes à un leader d'opinion qui est, bon gré malgré lui, au centre de l'affaire, notre canard n'est pas accusé de complicité de "propos séditieux", la charge qui pèse sur "Wend sik manegré" (2).
La justice dira sans doute s'il a vraiment bravé l'autorité de l'Etat, si c'est vraiment sur ordre de ce personnage à la réputation, il est vrai, sulfureuse, que la horde de vandales, apparemment incontrôlés, a déferlé sur Ouagadougou la semaine dernière. Surtout que, par une interview à Sidwaya (3), le fétiche (4) qui n'était plus sûr de son affaire parce que, soutenait-il, "il y a des infiltrés" avait dû faire machine arrière, préférant désormais parler de "ville morte" (ce qui suppose un doux farniente à la maison) plutôt que de marche.
En vérité, on peut raisonnablement douter que la capacité de mobilisation (d'aucuns diront de nuisance) de ce monsieur soit aussi grande car s'il lui suffisait de claquer du doigt pour faire descendre dans la rue une armée de badauds, il aurait pu tout aussi bien utiliser ce pouvoir pour les diriger vers les urnes afin d'accéder à l'Assemblée.
On en vient donc à se demander si le sieur Nana une poitrine bien confortable pour que certains y battent leur propre coulpe, s'il n'est pas un bouc-émissaire idéal pour expier les péchés de tous, notamment de ceux qui disaient avoir pris toutes les dispositions pour poser à toute éventualité mais qui n'ont finalement pas vu partir le coup et se sont trouvés très vite débordés par la guérrilla urbaine de
En vérité, en le victimisant à bon compte, on fait de ce personnage pittoresque un martyr à peu de frais. Lui qui n'est déjà pas à son premier séjour à
Il n'en demandait peut-être pas tant mais comme il s'en trouve pour fabriquer des mythes de toutes pièces...
Ousséni Ilboudo
L’Observateur Paalga du 6 mars 2008
Notes :
1. Dans son édition du vendredi 22 février 2008
2. Littéralement, "que Dieu fasse descendre le bien" ; cette expression mooré est le slogan fétiche de l'intéressé
3. "Nana Thibault renonce à sa marche" titrait en effet le quotidien d'Etat Sidwaya à sa "une" du lundi 25 février 2008
4. Signification de "tibo" en langue nationale mooré
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