Ô Ousmane, mon beau Sembène ! (*)
Projecteur
Ô Ousmane, mon beau Sembène ! (*)
Le film le plus long du réalisateur Sembène Ousmane, celui de sa vie, s’interrompait brutalement le 9 juin 2007. La bobine, après avoir tourné pendant 84 ans et déroulé des kilomètres de pellicule sur une vie d’écrivain prolixe, de cinéaste talentueux et d’homme d’engagement, s’arrêtait dans la nuit du samedi au dimanche. Le cinéma africain perdait le plus illustre de ses pères fondateurs. Cet écrit est un hommage à l’immense homme que fut Sembène Ousmane.
Sur le tournage de Molaadé, le dernier film du patriarche, une équipe de
La réplique est cinglante, désagréable. Elle claque comme un fouet sur la face livide du grand journaliste, pris de court. Celui-ci de rattraper le coup.
- Je pensais…
Sembène Ousmane, souffle court, regard courroucé, tonne :
- Quand on ne sait pas penser, on vous dispense de penser.
On sent le journaliste déstabilisé par cette dernière estocade, ses yeux tournent dans ses orbites comme ceux d’un épileptique, sa bouche se fend d’une grimace à l’appel d’un bol d’air comme frappé d’apoplexie. Il est groggy.
Quelques anges passent et l’interview reprend. Oubliée, la passe d’arme.
Tout Sembène Ousmane se trouve dans cet instant. Cet instant qui montre l’homme de combat, son refus de la dérobade, sa promptitude à l’attaque et laisse deviner la longue vie de lutte pour s’affirmer qui fut la sienne.
Sembène Ousmane, c’est l’homme des colères homériques, des grands défis, des entêtements infructueux, et aussi des sacrifices payants. C’est aussi un homme avec ses errements, ses erreurs et ses faiblesses. «Humain, trop humain», dirait Nietzsche. Mais un homme debout face à l’adversité et affirmant son humanité, les poings serrés, la tête droite. Et exigeant de l’Autre le respect.
Sembène Ousmane, c’est l’écolier refusant de tendre l’autre joue, et laissant les empreintes de ses minces doigts d’enfant sur la face gironde du maître corse qui l’avait giflé avant de quitter cette école primaire pour l’école plus ardue de la vie. S’enchaînent alors les petits boulots de mécano, de charpentier, de maçon, de débardeur à Marseille. Et suivent les cours du soir, les livres prêtés par des amis et lus tard dans la nuit à la lumière blafarde d’une lampe bien que le corps fourbu quête le sommeil, et la lutte syndicale… et les premières phrases malhabilement tracées sur un cahier d’écolier jusqu’au premier roman, «Docker noir», qui paraît en 1956. Et les douze romans et recueil de nouvelles, tels les douze travaux d’Hercule pour cet autodidacte.
Sembène Ousmane, c’est en outre l’écrivain confirmé de quarante-deux ans qui laisse une carrière toute tracée en plan et se rend en URSS pour apprendre à réaliser des films, convaincu que ce médium atteindra un plus large auditoire, contrairement à ses livres, seulement accessibles à une élite. Son dessein était de faire du cinéma «une école du soir» où les peuples d’Afrique prendront conscience de problèmes du continent et de leur pouvoir de s’inventer un futur radieux. Sa caméra s’intéressera aux brûlures de l’Histoire (Camp de Thiaroye), aux grands problèmes du continent (Guelwaar), à
Sembène, c’est l’homme qui, pour une querelle orthographique (Senghor exigeant que Ceddo soit écrit avec un unique d), refuse de retoucher le titre de son film, quitte à voir cette œuvre censurée au Sénégal. Sur les plateaux de tournage, il exigeait de ses techniciens et acteurs qu’ils aillent au bout d’eux-mêmes chercher l’étincelle qui illuminera leur travail. Il était celui-là qui faisait siennes les paroles du Roi Christophe : «Je demande trop aux hommes mais pas assez aux Nègres, Madame. (…) Un pas, encore un pas, un autre pas et tenir gagné chaque pas. Malheur au pied qui flanche !».
Son amour de l’Homme en faisait un être peu accommodant pour l’individu. Rêvant d’un homme africain, libre et digne, il ne souffrait la faiblesse de quelque nature chez son interlocuteur.
Sembène Ousmane a traversé le siècle sans rien concéder de son idéal. Il ne s’est pas effeuillé comme le baobab entre deux saisons. Il n’a marchandé ni ses rêves ni ses convictions. Entier, il est resté. Les hivernages se sont accumulés, les cheveux ont blanchi, les muscles sont devenus flasques, mais le cœur et le regard sont restés inchangés. Rebelle à toute subordination et à toute injustice, prompt à serrer les dents et les poings pour découdre avec toute contradiction. Automne du patriarche mais printemps perpétuel des idées, idées fleurissant sur les pages des livres, floraison sur la pellicule des films. Si le corps a pris des rides, l’esprit, lui, est resté jeune et inentamé.
La dernière image que nous avons du vieux Sérère est celle d’un corps recouvert d’un linceul noir brodé de versets coraniques en lettres d’or dans son domicile «Galle Ceddo» (la maison du rebelle en Wolof). Et pourtant nous le savions agnostique. Est-ce un signe que pour la première fois, la famille et la société ont imposé leur volonté à cet esprit insoumis, au dernier des Mohicans?
A cette image d’un homme allongé et sans vie nous préférons substituer celle d’un Sembène Ousmane debout dans le soir, regard adouci, sourire apaisé, corps sculptural de lutteur sénégalais, telle une œuvre d'Ousmane Sow, marchant dans la lumière crépusculaire de l’éternité.
Barry Alceny Saidou
L’Observateur Paalga du 12 juin 2008
Note :
Déjà une année que «l’aîné des anciens» nous a quittés. Un anniversaire que
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