L'Heure du Temps (Blog d'Information sur le Burkina Faso)

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Petites activités lucratives des élèves : La ronde des apprentis commerçants

Petites activités lucratives des élèves

La ronde des apprentis commerçants

 

Simple passe-temps pour les uns, véritable nécessité pour les autres, la pratique du commerce de rue par des élèves durant les vacances scolaires gagne du terrain dans la ville de Ouagadougou. Une activité lucrative mais à hauts risques.

 

"Les bénéfices serviront à l'achat de ma tenue scolaire", explique-t-il, un sachet de biscuits en main. Ali a 11 ans. Il est élève en classe de CM2 dans une école de Ouagadougou.

Comme dans le cas d'Ali Zida, les vacances ne sont pas du tout des moments de repos pour beaucoup d'élèves de la capitale. Partout, ils sont présents : dans la circulation, se faufilant entre engins à deux roues et bolides ; devant les feux tricolores, exhibant leurs bagatelles ; dans les "maquis", bars et restaurants, flânant sous le regard méfiant des clients qui les suspectent souvent d'être des maraudeurs.

Ce sont des enfants, parmi lesquels des écoliers et des élèves dont la plupart ont tout au plus 15 ans. Ils se livrent, ambulants, au petit commerce  pendant les vacances.

"Monsieur, "lotus" ! Tonton, vous n'allez pas acheter des bonbons ? Tantie, il y a de bons biscuits pour vous", proposent-ils, pêle-mêle, aux passants.

Dans les bars et souvent à des heures tardives, pendant que les uns savourent la bière ou d'autres boissons, et les autres, le poulet braisé ou flambé, un essaim de "bambins" fait la ronde, camelote en exergue.

Ces mineurs, dont la majorité est issue de familles pauvres, pratiquent ce petit commerce pour subvenir à leurs besoins, encouragés par leurs parents ou leurs  tuteurs.

"Je vis avec ma maman. Mon père est en Côte d'Ivoire. C'est elle qui m'a suggéré l'idée de faire ce commerce",   confie Ali Zida, alors qu'il "officiait" devant la maison du Peuple.

C'est aussi le cas d'Abdou, un écolier en classe de CE2. Agé de 10 ans, il vend, lui, des objets en plastique (assiettes, bouilloires)  pour assurer ses fournitures scolaires.

Zakalia Zida, élève de 3e (16 ans) et Souleymane Traoré en classe de CE2 (10 ans) embouchent la même trompette : vendre pour pouvoir aller à l'école.

Sourire toujours aux lèvres, Souleymane, lui, a dû quitter son patelin, Koubri (25 km de Ouaga), pour la capitale.

Les petites filles ne sont pas en reste dans cette activité commerciale.

Pour Maïmouna Sanfo,  les vacances oisives sont un luxe qu'elle ne peut se permettre : "J'ai 11 ans et dois faire le CM2 à la rentrée prochaine. Mes parents sont commerçants et je vends des arachides pour pouvoir acheter mes cahiers et ma tenue scolaire", a-t-elle laissé timidement entendre.

Si certains savent pourquoi ils font le commerce, d'autres, en revanche, ignorent pourquoi. "C'est mon grand frère, avec qui j'habite, qui m'a dit de faire ce petit commerce. Et j'ai obéi", dit, candide, Souleymane Sawadogo.

Pour les parents, l'argent rapporté par leur progéniture est parfois un appoint nécessaire au bien-être de la famille tout entière. "La plupart de ces élèves font le commerce par nécessité. Issus de familles peu nanties, ils se débrouillent ainsi pour compléter leur scolarité et s'habiller", fait remarquer Zéna Ouédraogo, stagiaire dans une société située dans la zone commerciale.

Et Mahamadi Compaoré, parent d'élève, de rappeler ce refrain musical du groupe "Karavane" : "Viima ya kanga", (1) devenu, depuis, le cri de ralliement contre la cherté de la vie au Burkina. "Par conséquent, les enfants doivent lutter pour subvenir à leurs besoins"  et aider du mieux qu'ils peuvent leurs parents.

 

Des embûches sur le terrain

 

Commerce fructueux, activité périlleuse. Ces pratiquants sont souvent victimes de la malhonnêteté de certains adultes. Vols, harcèlement, viols, menaces sont le quotidien de ces commerçants de circonstance.

"Un jour, un homme m'a bousculé sur le pont du barrage du secteur 23 de Ouagadougou. Mes articles, d'une valeur de 2500 FCFA, sont tombés dans l'eau. Pour toute compensation, il ne m'a remis que 125 F CFA. Les autres passants ne s'en sont pas préoccupés", témoigne Lassané Tapsoba, élève en classe de CM1, vendeur de bonbons et de jouets d'enfants.

Maïmouna Sanfo,  quant à elle,  se rappelle une tentative d'extorsion de sous. Elle y a échappé grâce à la vélocité de ses jambes. Depuis ce temps, elle est devenue méfiante vis-à-vis des clients.

Dangers, insécurité et effets pervers de la fréquentation de certains lieux menacent ces enfants, et les parents s'en  inquiètent. "Les enfants ne se contrôlent plus en traversant  les rues, une fois qu'ils aperçoivent un client", dit, alarmé, le même Mahamadi Compaoré. "La rue est une jungle, le lieu de mauvaises compagnies et de dépravations", déplore à son tour  Sétou Rabaloum, mère de famille. "Une fois qu'un enfant gagne un peu d'argent, il se croit déjà grand et ne veut plus poursuivre les études", ajoute-t-elle.

L'appât du gain est souvent la cause d'écarts de comportement constatés chez certains de ces bambins : "Un élève qui, durant les trois mois de vacances, est habitué à s'autoalimenter ne peut plus se contenter des 100 FCFA que lui donnaient ses parents pendant l'année scolaire. Cela peut conduire l'enfant à la débauche. Il peut tomber dans les travers de la délinquance, du vol, de la prostitution..." estime Casimir Kaboré, membre d'une association de jeunes.

Sur la question, le chef du service de l'insertion sociale des enfants et de l'adolescent en difficulté du ministère de l'Action sociale et de la Solidarité nationale, Arsène Bagré, trouve que tout travail n'est pas forcément destructeur pour les gosses.

Pour lui, "il faut différencier les pires formes de travail des enfants des travaux socialisants, qui participent à leur éducation. Ce n'est pas mauvais que celui-ci accompagne ses parents dans ce qu'ils font".

Toutefois, précise-t-il, "cela ne doit pas l'empêcher d'aller à l'école ni nuire à sa santé et à son épanouissement. L'aspect contraignant du travail est à proscrire". Il s'insurge en outre contre la présence des élèves dans les rues ou dans les débits de boissons. De son point de vue, même si cela ne peut pas être considéré comme un fléau, il n'appartient pas aux mineurs de travailler pour subvenir à leurs besoins.

Le travail lucratif des gamins est donc une activité encouragée par certains géniteurs, mais condamnée par l'Action sociale quand il nuit à leur santé, à leur épanouissement ou leur est imposé.  Alors, que faire ? "Le meilleur rempart contre le travail des mineurs reste la sensibilisation des parents et la promotion d'activités de prise en charge", assène le fonctionnaire de l'Action sociale.

"Les gosses dans la rue, c'est comme un cri de détresse, ils forment un jugement sur les adultes", a-t-il lancé, visiblement désolé.

C'est peut-être en réponse à cet état de fait que l'Etat burkinabè a procédé, en août 2007, au lancement d'une distribution gratuite de manuels scolaires aux élèves de l'école primaire. Cela pourrait soulager les parents et surtout les élèves contraints à toute forme d'activités lucratives et pour lesquels, finalement, les vraies vacances risquent de commencer avec la rentrée des classes.

 

Maïmouna Ouédraogo

Eric Aimé Ouédraogo

Stagiaires

 

L'Observateur Paalga du 19 septembre 2007

 

(1) : "La vie est dur" en langue nationale mooré

 

 

ENCADRE

Le travail des enfants : ce que dit la loi

 

Les différentes conventions nationales et internationales définissent l'enfant comme tout être âgé de moins de 18 ans. Des textes ont été adoptés pour régir le travail des enfants.

Ainsi, le séminaire d'Arusha (Tanzanie) d'avril 1997 pose le problème en termes de "distinction entre le travail autorisé, celui qui procure une formation et qui n'entrave pas l'éducation, l'épanouissement physique, mental et social de l'enfant, c'est-à-dire la socialisation de celui-ci, et le travail interdit, qui conduit à l'exploitation économique et aux mauvais traitements causés aux enfants".

Par ailleurs, la convention 138 de l'Organisation internationale du travail (OIT), adoptée en 1973 et ratifiée par le Burkina Faso en 1997, fixe l'âge minimum à l'emploi à 15 ans. Cette même loi stipule que cet âge ne doit pas être en dessous de l'âge auquel cesse la scolarisation obligatoire.

Mais comme on le sait, entre les bonnes résolutions légales et la réalité, il y a bien souvent un fossé abyssal, surtout dans des pays pauvres très endettés comme le Burkina, où malgré les grands discours, l'Etat ne parvient pas à enrayer le phénomène.

 

M.O.

E.A.O.



19/09/2007
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